A quatre jours de l’ultimatum américain fixé au 27 novembre, les puissances européennes E3 – Royaume-Uni, France et Allemagne – auraient dévoilé une contre-proposition musclée au plan de paix en 28 points pour l’Ukraine, drafté par Washington. Ce document, vu par Reuters et révélé ce dimanche, s’appuie sur la base américaine mais la revisite point par point avec des suppressions et ajouts, marquant une fracture transatlantique. Alors que le plan US impose des concessions territoriales immédiates et une démilitarisation stricte de Kiev, les Européens optent pour une ligne plus ferme : préserver la capacité défensive ukrainienne, reporter les négociations territoriales et exiger une garantie de sécurité « à l’article 5 de l’OTAN ». Cette riposte, préparée pour les pourparlers de Genève, souligne les divergences stratégiques : pragmatisme yankee contre intransigeance atlantique.
Les grandes différences : une Ukraine plus forte, moins de concessions
Le texte européen, structuré en 28 points comme l’original, supprime ou modifie des clauses jugées trop favorables à Moscou, tout en amplifiant les protections pour Kiev. Voici un aperçu comparatif des écarts majeurs, basé sur les drafts fuités :


En résumé, les grandes différences sont :
- Refus du gel territorial immédiat et de la reconnaissance de la Crimée/Donbass comme russes.
- Armée ukrainienne 33 % plus forte que dans le plan US.
- Garantie de sécurité quasi-OTAN avec pénalités sévères pour Moscou.
- Reconstruction financée exclusivement par les avoirs russes jusqu’à compensation totale (pas de partage 50/50 avec les États-Unis).
- Partage 50-50 de l’électricité de Zaporijjia et taskforce de sécurité incluant les Européens.
Une fracture stratégique : paix pragmatique vs. soutien inconditionnel
Cette contre-proposition E3, bien que bâtie sur les 28 points US, les durcit pour contrer les « concessions excessives » à la Russie, comme l’a noté un diplomate anonyme cité par Reuters. Les Européens, alliés de Kiev, visent à préserver sa souveraineté et sa force militaire (800 000 vs. 600 000), repoussant les gels territoriaux au profit de négociations « réalistes mais justes » depuis la ligne actuelle.
Cela expose un clivage : Washington, pressé par Trump, privilégie un gel rapide pour pivoter vers l’Asie ; l’Europe, hantée par une Russie revancharde, opte pour une garantie OTAN-like et une punition prolongée via des sanctions et les actifs gelés.
À Genève, où se tiennent les discussions ce dimanche, cette version modifiée pourrait rallier Kiev et l’UE, mais risque de froisser un Trump intransigeant. Si elle échoue, l’ultimatum du 27 novembre pourrait sceller un divorce atlantique, prolongeant un conflit que 87 % des Européens veulent voir s’achever par la diplomatie. Les E3 misent sur une paix « sécurisée », mais au prix d’une escalade potentielle des tensions avec Moscou.
L’Europe est-elle vraiment en position de négocier ?
Non, pas vraiment – et c’est le paradoxe cruel de cette contre-proposition. L’Europe parle fort, mais elle est faible sur presque tous les tableaux. Face à la Russie, elle n’a ni l’énergie, ni les munitions ni la volonté politique de mener une guerre longue sans les États-Unis. Face aux États-Unis, elle dépend à 80-90 % de la logistique, du renseignement et de la dissuasion nucléaire américains ; Trump peut couper le robinet d’un tweet. Face à la Chine, elle est en train de perdre le Mercosur (accord bloqué par la France), voit ses parts de marché s’effondrer en Asie et n’a aucune carte énergétique ou technologique à jouer. Face au Mercosur et au reste du Sud global, elle apparaît comme l’arrière-cour arrogante qui refuse la viande sud-américaine tout en prêchant la transition écologique. Et surtout, face à elle-même : grèves en Allemagne, budget français explosé, Royaume-Uni post-Brexit en récession technique, Pologne et pays Baltes qui exigent des troupes américaines sur leur sol, Italie et Hongrie qui freinent les sanctions… L’unité européenne n’apparait qu’un slogan.
En clair, les E3 rédigent des contre-propositions ambitieuses avec la main qui tremble. Ils savent que sans l’accord américain, l’Ukraine s’effondre militairement en quelques mois ; avec l’hiver 2025-2026 ; ils savent aussi que 70 à 88 % de leurs opinions publiques (selon les pays) veulent la paix maintenant, pas dans cinq ans après une « victoire stratégique ». Ils jouent donc le seul rôle qui leur reste : celui du « mauvais policier » qui fait monter les enchères pour obtenir un meilleur deal… en espérant que Washington ne claque pas la porte le 28 novembre.
En résultat, l’Europe semble négocier avec l’énergie du désespoir, mais sans les moyens de ses exigences. Et plus elle durcit le ton, plus elle risque de se retrouver seule face à une Russie qui, elle, a le temps, l’énergie et désormais l’appui discret de Pékin et du Sud. Le vrai ultimatum, en réalité, n’est pas celui de Trump à Kiev et Moscou ; c’est celui que les États-Unis posent à l’Europe :
« Soit vous montez dans le train de la paix réaliste, soit on descend et vous gérez le wagon vous-mêmes. »
Pour l’instant, Paris, Londres et Berlin répondent « non »… mais personne ne sait s’ils auront encore un siège dans six mois.