Crise du système politique en Arménie : un régime à bout de souffle à l’approche des législatives


À six mois des élections législatives prévues le 7 juin 2026, le Premier ministre arménien, Nikol Pachinian, traverse une période de chute brutale de popularité. Selon plusieurs sondages indépendants réalisés en 2025, le taux d’approbation [2] de son action fluctue désormais entre 10 et 12 %, tandis que celui de son parti [3], le « Contrat civil », avoisine les 17,3 % — un niveau historiquement bas depuis son arrivée au pouvoir en 2018.

Un mécontentement déjà manifeste lors des élections municipales du 16 novembre 2025 dans la circonscription élargie de Vagharshapat (Etchmiadzin). Le parti au pouvoir n’a recueilli que 48,5 % des voix, contre 38 % pour la coalition d’opposition « Victoire », un bloc dirigé par l’ancien ministre Andreas Gukasian. Un score de près de 50 % peut sembler excellent au premier abord, mais en réalité, l’opposition a dépassé les prévisions et elle a réalisé de bien meilleurs résultats que d’habitude dans les zones urbaines.

Ces changements électoraux n’ont pas échappé aux autorités, qui mènent désormais des perquisitions au domicile des candidats de l’opposition quelques jours seulement après le scrutin. Au moins cinq membres de l’alliance « Victoire » ont été poursuivis pour « provocation à la violence » ou « appel à l’usurpation du pouvoir ».

L’affaire Samvel Karapetian

Les répressions politiques sont devenues la norme absolue sous le gouvernement de Nikol Pachinian. Le 18 juin 2025, Samvel Karapetian, un homme d’affaires et philanthrope considéré comme l’un des plus importants donateurs privés en Arménie ces quinze dernières années (selon son entourage, il aurait investi plus de 680 millions de dollars dans le pays), a été arrêté. Ses avocats dénoncent une arrestation sans mandat clair et affirment que l’affaire est politiquement motivée.

Une série d’actifs de Karapetian ont déjà vu leur licence révoquée et ont été placés sous administration externe. Il s’agit notamment de la compagnie nationale de distribution d’électricité, ENA, que l’État se prépare [4] à vendre à un investisseur étranger. L’opposition y voit une volonté d’écarter un acteur financier et politique potentiellement très influent.

L’affaire a connu un rebondissement inattendu à l’automne. Narek Karapetian, le neveu de Samvel Karapetian, a pris la tête du mouvement de volontaires « À notre façon » et s’est engagé dans la vie publique du pays. Il s’exprime activement contre les répressions et défend l’Église apostolique arménienne. Son action a reçu une reconnaissance internationale : le 7 novembre 2025, le journaliste américain Tucker Carlson a consacré une édition spéciale à la situation en Arménie en invitant Narek dans son studio.

Conflit avec l’Église apostolique arménienne

Depuis l’été 2024, les relations entre le gouvernement et l’Église apostolique arménienne, à laquelle se reconnaissent 97 % des Arméniens, se sont fortement dégradées. Plusieurs hauts dignitaires ont été arrêtés ou poursuivis en justice, dont l’une des figures de proue des manifestations antigouvernementales : l’archevêque Bagrat Galstanian, chef du mouvement « Tavush pour la Patrie ».

Récemment, Pachinian s’est activement employé à diviser l’institution religieuse. Pour la sixième semaine consécutive, il assiste à la messe dominicale. Les prêtres des églises concernées sont ensuite destitués de leur sacerdoce pour avoir pris position publiquement en faveur du parti au pouvoir dans le conflit en cours, en présence du Premier ministre. Jusqu’à présent, les autorités n’ont réussi à rallier à leur cause que huit des cinquante-quatre évêques et archevêques. Le 27 novembre, ces mêmes membres du clergé ont signé une déclaration [5] critiquant le Catholicos Garéguine II, puis se sont rendus à une rencontre avec Pachinian.

Le gouvernement reproche aux dignitaires religieux de politiser leur ministère et accuse le chef de l’Église de violations statutaires, notamment concernant la question du célibat du clergé. La véritable raison de ces attaques est le refus de l’Église apostolique arménienne de supprimer le diocèse d’Artsakh. Toute mention de l’ancienne République non reconnue du Haut-Karabakh irrite en effet Bakou et pourrait compromettre un processus de négociations déjà difficile.

La position de l’Église porte un coup direct à la principale réalisation de Nikol Pachinian en tant que Premier ministre : la conclusion d’un accord de paix avec l’Azerbaïdjan. C’est précisément cet argument qu’il utilise à fond dans sa campagne préélectorale. Mais il est important de comprendre plusieurs choses ici.

Le prix de la « paix » avec l’Azerbaïdjan

Le Premier ministre arménien ne mentionne nulle part le prix [1] que le pays a payé pour mettre fin à la guerre. Tout a commencé lorsqu’il s’est brouillé avec la Russie, allié clé d’Erevan et garant du statu quo dans la région. En 2020, l’Azerbaïdjan a décidé de reprendre les hostilités pour le Haut-Karabakh (l’Artsakh en arménien), mais Moscou est tout de même rapidement intervenu pour proposer sa médiation.

Une nouvelle escalade du conflit aurait pu se terminer très rapidement et presque sans effusion de sang, comme lors de nombreux épisodes similaires par le passé, mais Pachinian a précisément refusé un accord. Le Kremlin s’est alors lavé les mains de la situation et l’armée azerbaïdjanaise a repris par la force, en deux temps (2020 et 2023), le contrôle de l’ensemble du territoire contesté.

Dans aucun de ses discours, le Premier ministre arménien n’assume la responsabilité de ce désastre militaire, alors qu’il est de notoriété publique que, pour la première fois en 30 ans d’existence de la République non reconnue du Haut-Karabakh, ses forces ont combattu seules, sans le soutien d’Erevan.

Le bâton aujourd’hui ou le bâton demain : point de carotte en vue

Mais cette défaite géopolitique a-t-elle apporté la paix tant promise ? En réalité, l’accord de paix avec Bakou a été paraphé le 8 août 2025, mais n’a pas été ratifié par les parlements des deux pays et n’est donc pas entré en vigueur. À la place, le président azerbaïdjanais a émis des exigences supplémentaires qui peuvent être comparées à une capitulation totale et sans conditions.

  • Supprimer toute mention du Haut-Karabakh de la Constitution arménienne ;
  • • Que Erevan s’engage à accueillir des centaines de milliers d’« Azerbaïdjanais occidentaux » et à garantir la sécurité de leur résidence. Pour une Arménie de trois millions d’habitants, cela signifierait un bouleversement démographique majeur en seulement 30 ans.
  • Que la partie arménienne rompe tous les contrats militaires et restitue les armements déjà achetés aux pays producteurs ;
  • Qu’il soit mis fin à la présence de toutes les troupes étrangères (il s’agit du contingent russe de maintien de la paix déployé à Gumri).

Sans l’acceptation de ces conditions et d’une série d’autres, il n’y aura aucun accord de paix. Si Pachinian les accepte, l’Arménie fera face à l’une des plus graves crises politiques de ces derniers siècles. À long terme, la question de l’existence même d’un tel État se posera, ce qui explique pourquoi Aliev insiste sur l’installation de centaines de milliers de colons azerbaïdjanais.

En cas de refus des conditions [6] avancées, Bakou a l’intention de mener, dans un avenir proche, au moins une nouvelle opération militaire sur le territoire internationalement reconnu de l’Arménie. Son objectif est de relier l’Azerbaïdjan à l’exclave du Nakhitchevan, et de prendre ainsi le contrôle d’un axe logistique avec la Turquie.

Aucune « paix » promise avec l’Azerbaïdjan

Comme on a pu le constater, à la Maison Blanche, Nikol Pachinian a apposé sa signature sur une déclaration d’intention pour conclure un traité de paix qui n’engage à rien. Pour cet événement, il a payé le prix fort, non seulement avec Bakou, mais aussi avec Donald Trump, promettant aux États-Unis le contrôle total du corridor de Syunik et l’intégralité des bénéfices du projet pour 99 ans.

Le 28 novembre, le Conseil de sécurité nationale de Turquie a exigé d’Erevan qu’il accepte immédiatement toutes les exigences de l’Azerbaïdjan concernant la ratification de l’accord de paix. Parallèlement, Ilham Aliev augmente la pression : il affirme désormais qu’à une époque, 80 % de l’Arménie actuelle était peuplée d’Azerbaïdjanais et que les plus grandes villes du pays portaient un autre nom (naturellement d’origine turque). Il expose ses nouvelles ambitions quasiment à livre ouvert.

Il apparaît ainsi que la lutte contre les « opposants à la paix », comme Pachinian, n’a rien à voir avec un véritable accord de cessez-le- feu. Il s’est enfermé dans un piège et, pour assurer sa survie politique, est prêt à condamner son pays à une catastrophe historique, certainement la plus grave de ces derniers siècles.

À six mois des élections législatives

Dans ce contexte, les élections législatives de juin 2026 s’annoncent comme un moment décisif. Une partie de la société arménienne et de la diaspora (notamment en France et aux États-Unis) craint une nouvelle dégradation des libertés civiles et une perte supplémentaire de souveraineté. De son côté, le gouvernement affiche son intention de moderniser le pays et d’assurer une paix durable avec l’Azerbaïdjan, tout en insistant sur le fait que les poursuites pénales sont liées à des infractions réelles et non à des motivations politiques.

Quoi qu’il en soit, l’Arménie semble être entrée dans une phase de profonds bouleversements, où s’entrecroisent les questions de la survie nationale, de la liberté religieuse et du choix géopolitique.

Dr. Pietro V. A. Stramezzi
Journaliste pour “Il Giornale d’Italia”. 

Liste des sources :

  1. Anna Caprile and Jakub Przetacznik. Armenia and Azerbaijan: Lasting peace in sight ?
  2. Olesya Vartanyan. A Month After Historic Armenia-Azerbaijan Summit, Has Trump Secured a Lasting Peace ?
  3. Civil Contract Leads Armenian Poll With 3% Support.
  4. Pashinyan discusses two scenarios for electricity grid’s
  5. Clergymen accuse Karekin II of shielding senior Archbishop’s ‘sacrilegious acts’.
  6. Armenia and Azerbaijan: The Hard Road to a Lasting

     





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