Le RN, on n’a jamais essayé, vraiment ?


À l’approche des échéances politiques, l’idée selon laquelle le Rassemblement national (RN) n’aurait « jamais été essayé » revient régulièrement dans le débat public. Ce raisonnement vise souvent à présenter le parti d’extrême droite comme une option inexplorée, dont il serait légitime de tester l’accès au pouvoir. Mais que recouvre réellement cet argument ?

« Le RN, on n’a jamais essayé ». Ce postulat est évidement contestable que ce soit d’un point de vue historique ou géopolitique. Il peut également interroger sur sa vacuité, construite pour éviter d’aborder de véritables idées de fond et ne pas rentrer dans le cœur du sujet.

Une idée absurde

L’argument consistant à affirmer qu’il faudrait mettre le RN à la tête de la France, parce qu’on ne l’a « jamais tenté » soulève plusieurs objections d’ordre logique. Pourquoi serait-il forcément nécessaire d’expérimenter quelque chose que l’on n’a jamais essayé pour savoir s’il serait bon ou non ?

Le fait qu’une option politique n’ait jamais été appliquée ne constitue pas en soi un argument suffisant pour en démontrer la pertinence ou l’efficacité. La France n’a jamais mis ses services publics en gestion par un comité de fans de télé-réalité chargé de prioriser les urgences à l’applaudimètre. Et pourtant, cela aussi serait une “première”. La France n’a jamais tenté de remplacer le Parlement par un grand conseil d’influenceurs ni confié l’écriture des lois à une intelligence artificielle de comptoir. Et bizarrement, personne ne réclame de tester ces idées pour vérifier si la démocratie tiendrait le choc.

Les défenseurs de cet argument présentent le Rassemblement national comme s’il constituait la dernière formation politique n’ayant jamais exercé le pouvoir en France. Or, la même observation pourrait être faite à propos de nombreux partis de gauche – tels que La France insoumise ou Europe Écologie-Les Verts – et d’extrême gauche, comme Lutte ouvrière ou le Nouveau Parti anticapitaliste. Fait notable : cette absence d’expérience gouvernementale n’est pourtant jamais mobilisée pour ces mouvements

Et si on ouvrait un livre d’Histoire ?

Au-delà de ces questions, l’argument « Le RN, on n’a jamais essayé » peut être réfuté en s’appuyant sur la nature même du Rassemblement National, qui est un parti d’extrême droite, comme Mr Mondialisation le rappelait dans un précédent article.

L’histoire du RN repose sur un courant idéologique qui a bel et bien exercé le pouvoir en France : celui du régime de Vichy, mené par Philippe Pétain. Et avant lui, les mouvements monarchistes et bonapartistes, indéniables cousins de cette famille politique.

En 1972, quand le Front National (ex-Rassemblement National) voit le jour, il compte, parmi ses fondateurs, nombre de collaborationnistes avec les autorités nazis, des nostalgiques d’Hitler et même d’ex-Waffen-SS. Inutile de rappeler à quel point le gouvernement de Pétain fut néfaste et honteux pour la France, que ce soit dans les persécutions des minorités (et notamment des juifs), mais également dans ses mesures antisociales, comme l’interdiction des grèves et des syndicats dans sa fameuse « charte du travail ». Des dispositifs au détriment des classes populaires et des plus pauvres et au profit du patronat et des plus aisés ; une constante à l’extrême droite toujours présente au sein du RN.

Lors de sa fondation en 1972, le Front national — aujourd’hui Rassemblement national — réunit en son sein plusieurs personnalités issues de l’extrême droite radicale, parmi lesquelles des anciens collaborationnistes, des admirateurs déclarés du régime nazi et même d’anciens membres de la Waffen-SS.

Ce contexte renvoie à l’héritage du régime de Vichy, qui collabora avec l’Allemagne hitlérienne et participa directement aux persécutions, aux rafles et aux déportations de Juifs, contribuant ainsi à la politique génocidaire du IIIᵉ Reich. Le gouvernement de Pétain mena par ailleurs une politique sociale autoritaire : suppression du droit de grève, mise au pas des syndicats, renforcement du contrôle patronal au sein de la Charte du travail. Autant de mesures qui ont lourdement pénalisé les classes populaires.

Cet ensemble — collaboration d’État, participation à des politiques criminelles et répression sociale — constitue une matrice idéologique structurante de l’extrême droite française, dont le RN reste aujourd’hui l’héritier, malgré les tentatives de rupture affichées

Toujours la même chanson

Évidemment, certains se cacheront derrière un autre argument souvent resservi par les sympathisants du camp nationaliste : « Jean-Marie Le Pen, Pétain, c’est du passé, le RN a changé ». La France n’aurait donc « jamais essayé » ce RN « nouvelle version », expurgé de ses lointains aïeux.

Et pourtant, il n’y a pas besoin de creuser bien longtemps pour constater qu’au contraire, les vieux démons du parti de Jordan Bardella sont bel et bien encore là. L’analyse de son programme suffirait déjà à avoir la puce à l’oreille.

Le RN a déjà des dizaines d’élus

Si cette lecture n’est pas encore assez convaincante, il suffit de s’intéresser de très près à ce que font les élus actuels du Rassemblement National. Que ce soit à l’échelle locale, du pays ou du continent, il est tout à fait possible d’observer les mesures que ceux-ci votent.

Le parti dispose, par exemple, de 126 députés à l’Assemblée nationale, 29 élus au Parlement européen, trois sénateurs, en plus d’une dizaine de maires, dont celui de Perpignan. Dire que l’«on n’a jamais essayé le RN » est donc trompeur, puisque tous ces élus prennent chaque jour des décisions desquelles on pourrait aisément déduire le visage de la France si le parti d’extrême droite arrivait aux manettes.

Ami des riches, ennemi des pauvres

Si certains pensent, par exemple, que le RN améliorerait la situation des classes populaires et aurait une « dimension sociale » dans son programme, ses choix au Palais Bourbon démontrent tout le contraire. Ainsi, à l’instar des soutiens d’Emmanuel Macron, le parti de Marine Le Pen a voté contre le rétablissement de l’ISF, la taxe sur les superprofits, l’augmentation du SMIC, ou le dégel du point d’indice des fonctionnaires. La retraite à 60 ans ne fait en outre plus non plus partie de ses projets depuis plusieurs années.

De manière générale, ses votes s’apparentent de plus en plus de ceux des députés du camp présidentiel. La formation de Jordan Bardella a, par exemple, sauvé le gouvernement Bayrou à de multiples reprises en refusant d’appuyer sa censure. De même, il n’a pas souhaité prendre part au processus de destitution d’Emmanuel Macron.

Plus loin encore, il s’approprie le discours de la droite libérale sur le salaire brut, expliquant qu’il faudrait le « rapprocher du net », comme le disait le programme du RN en 2022. En d’autres termes, Marine Le Pen et ses alliés veulent rogner sur les cotisations sociales des Français, qui servent à financer notre système (retraite, maladie, chômage, etc.) plutôt que d’œuvrer pour l’augmentation des salaires par le privé.

Le masque qui dissimulait le libéralisme du mouvement est définitivement tombé. Son rapprochement avec l’ultralibéral Eric Ciotti en est d’ailleurs sans doute l’une des meilleures preuves.

Un danger pour la planète

Dire que l’«on n’a jamais essayé le RN », c’est aussi faire fi des positions anti-écologiques tenues à de multiples reprises par ses représentants. On a ainsi pu les entendre parler d’« ayatollahs verts » et criminaliser les associations environnementales, comme les soulèvements de la terre. Et derrière des discours de façade, le climatoscepticisme du parti a été mis au grand jour à plusieurs reprises.

De la même façon, ses élus ont voté en direction de l’agro-industrie, de l’artificialisation des sols et des pesticides, destructeurs pour la biodiversité. Y compris d’un point de vue sanitaire, le parti d’extrême droite se dresse régulièrement contre les normes destinées à protéger les populations.

Si l’on est raisonnablement conscient des enjeux colossaux que représentent les questions environnementales pour la survie de l’espèce humaine, il apparaît donc irresponsable d’affirmer qu’il faudrait mettre le RN au pouvoir sous prétexte qu’il n’a « jamais été essayé ». Ses positionnements actuels prouvent indubitablement sa dangerosité sur ce point.

Gestion financière inquiétante

En plus de ces orientations, on peut aussi pointer les nombreuses affaires judiciaires touchant au détournement de fonds qui frappent le parti d’extrême droite. La dernière en date concerne David Rachline, ami de Marine Le Pen, fait l’objet d’une enquête pour corruption, qu’il conteste.

Marine Le Pen et plusieurs cadres du parti ont été condamnés en première instance dans l’affaire des assistants parlementaires européens, une décision qu’ils ont fait appel. plusieurs élus. Un salaire d’assistant parlementaire a, par exemple, été versé à un individu qui était en réalité majordome de la famille Le Pen.

Jordan Bardella est visé par une enquête pour emploi fictif présumé. S’il réfute ces accusations, l’enquête a notamment mis en cause des documents fournis par sa défense, selon Libération.

Des maires au bilan catastrophique

Certains pourraient arguer que les élus RN sont avant tout dans l’opposition, et qu’il faudrait les voir au pouvoir pour juger. C’est pourtant bien le cas dans quelques villes de France où le parti d’extrême droite a conquis les mairies.

Et le bilan y est très peu reluisant avec de nombreuses mesures très contestées. Dès 2014, l’un d’eux avait ainsi drastiquement augmenté son salaire avant de trancher dans les dépenses sociales. Un autre n’avait pas hésité à couper le chauffage et l’électricité au Secours Populaire.

Dans les villes dirigées par ce courant, l’opposition y est systématiquement maltraitée et les services publics se sont dégradés. Certains exemples parlaient également d’eux-mêmes, comme une charte illégale anti-migrants, ou encore la suppression de la cantine gratuite pour les enfants issus de familles précaires.

L’extrême droite déjà au pouvoir à l’étranger

Pour les derniers réfractaires, assurant que faire partie de l’opposition ou gérer une ville n’est pas suffisant pour juger un mouvement politique à l’échelle nationale, ils peuvent s’intéresser au bilan des partis du même courant que le RN dans les pays étrangers.

De Donald Trump, à Jair Bolsonaro en passant par Giorgia Meloni, Viktor Orban ou encore Javier Milei, l’extrême droite a largement été essayée à travers le monde. Et nulle part, elle n’a fait progresser la situation des classes populaires, bien au contraire.

En Italie, les inégalités et la pauvreté grandissent, le Brésil se relève à peine d’une catastrophe écologique, sanitaire et sociale et l’Argentine est plongée dans une crise économique. Le mandat de Donald Trump a été marqué par de nombreuses controverses politiques et institutionnelles, comme recensé dans un précédent article.

Éviter le fond du sujet

En définitive, se contenter de promouvoir le RN en affirmant qu’on ne l’a « jamais essayé » relève surtout d’un processus rhétorique fallacieux pour ne pas avoir à évoquer ce que propose véritablement ce parti. Ne pas parler du fond politique est une stratégie pour masquer la dangerosité réelle du mouvement.

Les sympathisants d’extrême droite n’ont pas d’intérêt à ce que les citoyens creusent trop loin le sujet. Examiner de près le programme du Rassemblement national sur les plans démocratique, social et environnemental suffit à montrer ses limites. Pour qui prend le temps d’analyser ses propositions, l’idée de confier le pays à ce parti devient une hérésie.

Simon Verdière


Photo de couverture : Flickr.

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