La littérature de Roumanie ne s’écrit pas qu’en roumain, comme le rappelait l’attribution, en 2009, du prix Nobel à une romancière roumaine d’expression allemande, Herta Müller (L’homme est un grand faisan sur terre, Gallimard, 1990 ; La Convocation, Métailié, 2001), née en 1953 dans une famille souabe du Banat, la région de Timișoara. Ces Souabes, des Allemands des régions danubiennes, étaient venus coloniser les terres reconquises au XVIIIe siècle par les Habsbourg sur l’Empire ottoman. Collectivement accusés de collaboration avec l’occupant nazi, ils subirent une farouche répression et furent massivement chassés de chez eux après 1945, tant en Roumanie que dans la Yougoslavie voisine.

La région du Banat, qui fut partagée, après la première guerre mondiale, entre la Roumanie et la Serbie (sans compter une zone moins importante, incorporée à la Hongrie), est un creuset de langues et de peuples. C’est ainsi en serbo-croate qu’écrit Milan Radin, né en 1973 dans une famille serbe de Timișoara, et qui a longtemps vécu en Autriche avant de revenir dans son pays natal. Le Garçon de l’avenue des Martyrs (1) raconte ses deux tentatives de fuite avec sa mère, en 1989, vers la Yougoslavie, « pays de cocagne » et terre de liberté dont rêvaient les Roumains sous Nicolae Ceaușescu. Chemin faisant, l’adolescent se remémore son enfance en ce temps où le régime allait sur sa fin : lui et ses copains jouaient au foot, regardaient en cachette la télévision yougoslave et s’employaient surtout à faire tourner en bourrique tous les représentants de l’autorité.


En Transylvanie, les Saxons, implantés depuis le Moyen Âge, signalent que la présence allemande en Roumanie ne se limite pas aux Souabes du Banat… Regroupés en communautés villageoises très organisées, ayant embrassé la réforme luthérienne, ils ont longtemps pratiqué une stricte endogamie et cultivé leur différence vis-à-vis de leurs compatriotes hongrois ou roumains (2). Les Saxons aussi furent soupçonnés de collaboration avec le nazisme mais ne furent pas tous expulsés après 1945. En revanche, depuis la chute du régime de Ceaușescu, leurs villages se sont vidés. Le pasteur Eginald Schlattner, lui, est resté, dernier habitant de son village de Rothberg/Roșia, à une vingtaine de kilomètres d’Hermannstadt/Sibiu. Né en 1933 à Arad, le petit garçon de 10 ans avait dû prêter serment au Führer. Jeune homme, il put néanmoins étudier la théologie dans la Roumanie socialiste, qu’il ne quitta jamais, malgré un passage en prison de deux ans. Auteur reconnu en Allemagne, il livre avec Les Sept Étés de ma mère (3) un texte pudique et poétique, entre autobiographie et évocation d’un monde disparu, le Siebenbürgenland des Saxons, un monde qui s’est effondré d’un coup, lors du « grand exode » de l’été 1990 vers la prospère Allemagne. Le pasteur écrivain reste le gardien de son église, de son cimetière et de ses souvenirs.