Crise ouverte entre la Chine et le Japon à propos de Taïwan


Le 7 novembre dernier, Mme Takaichi, Première ministre du Japon, a indiqué devant son Parlement qu’une crise à Taïwan incluant des opérations militaires chinoises pourrait constituer « une situation menaçant la survie » du Japon et qu’en conséquence ses forces d’auto-défense pourraient « intervenir en légitime défense collective ».

Le ministre chinois des affaires étrangères rétorqua immédiatement qu’il s’agissait là d’une ingérence dans les affaires intérieures chinoises et d’une violation du principe de l’Unité de la Chine, ainsi que d’une entorse aux documents diplomatiques régissant les relations entre les deux pays

La Chine a demandé à ses citoyens de ne plus se rendre au Japon et décidé d’interrompre les évènements culturels japonais en Chine. Des exercices militaires supplémentaires ont été organisés autour de Taiwan.

De son côté, Takaichi a assuré n’avoir nulle intention de rétracter ses déclarations. Il s’agirait bien sûr d’une perte de face.

Que signifie cette crise ? Le Japon avait conquis Taïwan en 1895 dans le cadre du ‘traité inégal’ de Shimonoseki mettant fin à la première guerre sino-japonaise : l’empereur chinois avait dû céder Taïwan, qui se défendit encore contre l’envahisseur, mais l’armée japonaise eu vite le dessus. Les accords de fin de seconde guerre mondiale et d’organisation du monde d’après-guerre, notamment la Déclaration du Caire de décembre 1943, incluent la rétrocession – après 50 ans de colonisation – de l’île à la Chine par le Japon vaincu. La rétrocession eut lieu le 25 octobre 1945. 

Si Taïwan est resté le seul bastion du régime Kuomintang de Tchang Kaï-Chek après la victoire totale de l’armée du régime communiste sur le continent, les deux gouvernements qui se disputaient la légitimité chinoise étaient d’accord pour considérer que la Chine est une, Taïwan en faisant partie. Taïwan a longtemps représenté la Chine à l’ONU et notamment à son conseil de sécurité : ce n’est qu’en 1971 que l’ONU accueillit la République populaire de Chine (RPC) après avoir exclu Taïwan.

Après la France en 1964, c’est en 1972 que la Chine est reconnue par les USA (politique Nixon – Kissinger visant à l’éloigner de la Russie) et d’autres pays comme le Japon. L’ouverture de ces relations diplomatiques inclut la reconnaissance du principe « Une seule Chine » et l’engagement de ne pas considérer Taïwan comme un pays indépendant. Du coup, Taïwan n’a aujourd’hui de relations diplomatiques qu’avec un petit nombre de pays d’Amérique latine, des Caraïbes et du Pacifique.

Le soutien occidental à l’autonomie de Taïwan est ainsi peu conforme aux accords passés lors de l’ouverture des relations diplomatiques avec la RPC.

La déclaration de Mme Takaichi est remarquable, venant du premier ministre du pays vaincu de la seconde guerre mondiale qui a dû ‘rendre’ Taiwan à la Chine en 1945 après 50 ans d’occupation militaire et de colonisation. Considérer que le plein retour de Taïwan dans le giron chinois, acquis depuis l’ouverture des relations diplomatiques de 1972, voire dès la rétrocession de 1945, serait aujourd’hui un problème stratégique menaçant la survie du Japon a – sans surprise – constitué une sorte de provocation vu de la Chine, d’où sa rapide et forte réaction.

La Chine a d’ailleurs rappelé aux USA lors d’une conversation Trump-Xi le 25 novembre, demandée par Trump, que « les deux pays doivent maintenir les fruits de la victoire lors de la 2nde guerre mondiale », à l’issue de la « lutte contre fascisme et le militarisme ». Cette formule est souvent utilisée par la Chine et la Russie. Xi aurait ajouté que « le retour de Taïwan à la Chine est ainsi une part importante de l’ordre international d’après-guerre ». Le Japon de Mme Takaichi – marquée politiquement comme faisant partie de l’aile la plus nationaliste du parti libéral-démocrate, militariste et nostalgique du Japon pré-1945 – était évidemment visé. Il est d’ailleurs étonnant de conférer une étiquette nationaliste à des leaders d’un pays occupé et largement vassalisé par les USA depuis 1945, comme en a témoigné l’acceptation d’une forte réévaluation du yen (25%) lors des accords de Plaza en 1985, qui a déclenché une stagnation économique du Japon qui dure encore. S’intéresser maintenant plus à Taïwan qu’à sa propre souveraineté en est une nouvelle manifestation. Mme Takaichi a cependant refusé récemment la demande de Trump d’une interruption des achats d’hydrocarbures russes par le Japon.

Le blogger Arnaud Bertrand souligne qu’avec ce rappel historique la Chine aurait ainsi indiqué à Trump qu’elle entend inscrire ses relations avec les USA dans le cadre d’une co-gestion de l’ordre international actuel, issu de 1945, et non seulement dans celui des accords bilatéraux de 1972.

De son côté, si Trump n’a pas relevé ce point dans son compte-rendu, axé sur les achats de soja américain par la Chine, il a commencé à ‘lever le pied’ sur l’affaire de Taïwan, par exemple en refusant en août dernier une escale à New York du leader de Taïwan lors d’un voyage en Amérique du Sud. Après son échange téléphonique avec Xi, Trump aurait appelé Takaichi pour l’inciter à ne pas provoquer la Chine à propos de Taïwan ; et le Japon se plaindrait du manque de support de Trump après les déclarations de Takaichi. 

En fait Trump attend du Japon un effort d’équipement et de préparation militaire, pas un discours inutilement belliciste. Dans la stratégie nationale US 2025, parue fin novembre, Taïwan occupe naturellement une place importante : ce en raison de son rôle de premier plan dans la production de semi-conducteurs, de l’importance du trafic maritime international (1/3), donc intéressant les US, y passant (la stratégie indique vouloir éviter que le détroit de Taiwan puisse devenir un point de péage chinois !), et de sa position dans la « first island chain » (avec le Japon, et les Philippines) entourant la Chine. C’est pourquoi la stratégie annonce pour objectif de dissuader un conflit armé sur Taïwan grâce ‘idéalement’ au maintien d’une supériorité militaire US. Cette rédaction signifierait-elle que les USA ne croient guère possible une telle supériorité ? En tout cas, il est précisé que cette dissuasion ne peut reposer sur les USA seuls, et doit passer par les efforts propres des « alliés » de la first island chain pour s’équiper militairement et être prêts à agir. 

Où peut aller la crise ? 

La Chine a écrit le 21novembre au SG de l’ONU pour souligner la menace japonaise de recours à la force contre la Chine qui constitue une atteinte au droit international. Il suggère que le Japon, vaincu en 1945, respecte ses engagements et réfléchisse à ses crimes historiques. Le Japon a rejeté la lettre de la Chine le 24 novembre. Dans un nouveau courrier du 2 novembre, la Chine a réitéré son exigence d’une rétractation par le Japon des propos de sa première ministre. La Chine semble déterminée à ne pas en rester là avec le Japon.

 

Documentation

Takaichi’s Provocative Taiwan Remarks – Whys, Wherefores, Geopolitics and the Taiwan Unification Question – World Geostrategic Insights 21 novembre 2025

Arnaud Bertrand – 25 nov 2025 Xi made his most consequential call to a US president ever. Trump missed the entire point.

Taiwan’s return to China is ‘part of the rules that defined the current world order’ – Global Times 25 octobre 2025

Trump told Japan’s PM to lower the volume on Taiwan, WSJ reports | Reuters 27 novembre 2025

Japan frustrated at Trump administration’s silence over row with China – Financial Times 7 décembre 2025

White House November 2025 2025-National-Security-Strategy.pdf (voir p 23-24)

La Chine adresse une lettre au secrétaire général de l’ONU pour exprimer sa position sur les propos erronés de la PM japonaise – Xinhua – french.news.cn 21 novembre





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