Des vies en quête d’avenir, par Robinson Jousni (Le Monde diplomatique, décembre 2025)


JPEG - 33.8 kio

Trois cinéastes entreprennent de rendre compte de la Chine d’en bas tout en mettant en lumière la dynamique majeure que représentent les migrations internes dans le pays depuis plusieurs décennies. Le premier, Guan Hu, est un réalisateur de blockbusters célèbre en Chine. Et inconnu en France, où ses films n’étaient pas distribués. Avec Black Dog, de façon inattendue, il offre une fable d’auteur, satirique et « cartoonesque », qui n’a pas manqué de séduire la Croisette en 2024, et a été couronnée du prix Un certain regard (1). Lang, fraîchement sorti de prison, revient chez lui, dans une petite ville pétrolière aux portes du désert de Gobi. Son père travaille au zoo ainsi qu’au parc d’attractions, désaffectés et promis à être bientôt réduits en poussière. Dans cette cité en ruine, l’acmé de la prospérité, symbolisée par les festivités des Jeux olympiques de 2008 qui se préparent, semble appartenir à une époque parallèle. Le rayonnement de l’essor pétrolier a cédé la place à l’obscurité, comme lors de l’éclipse solaire… La ville lance une opération pour se débarrasser des chiens errants. Lang y participe. Il s’attache au lévrier noir, réputé le plus dangereux, qu’il était chargé d’attraper. Lang le paria s’occupe de l’animal paria. De rencontres surprenantes en traversées de ce paysage hanté, il décide de partir pour s’émanciper ; avec lui, le silencieux, s’entend la voix de tous les laissés-pour-compte des provinces de l’intérieur.

JPEG - 38.5 kio

JPEG - 49.8 kio

De son côté, Wang Bing, dans les deux derniers volets de sa trilogie documentaire intitulée Jeunesse, tournée entre 2014 et 2019, continue d’accompagner les inquiétudes et les espoirs de quelques-uns des 300 000 travailleurs migrants (mingong) venus des zones rurales plus ou moins lointaines pour tenter de se donner un autre avenir (2). Avec Les Tourments, il retrouve ceux qu’il a filmés dans Le Printemps, les petites mains du textile des ateliers de fortune de Zhili dans la province côtière du Zhejiang, confrontées à un stress permanent et des patrons malhonnêtes, sinon violents. Il donne à voir de façon saisissante comment, spoliés lors de rudes négociations, ces jeunes opprimés prennent leur mal en patience et, à l’approche du Nouvel An lunaire, à bord de trains bondés ou de routes escarpées, empruntent la longue route du Retour au pays (titre du troisième opus).

JPEG - 63.8 kio

C’est un tout autre genre de départ et de voyage que conte le dernier film de Jia Zhangke, Les Feux sauvages (3). Bin a quitté sa compagne Qiaoqiao, jouée par Zhao Tao, la grande interprète des films de Jia Zhangke, pour chercher un avenir plus radieux dans une autre province. Qiaoqiao décide de le retrouver. Seule, elle se lance sur ses traces, comme emportée par la marée. Le projet est exceptionnel. Jia Zhangke a tourné pendant plus de vingt ans, de 2001 à 2023, dans trois provinces, du nord-est à l’extrême sud du pays, en passant par le bassin du barrage des Trois-Gorges, au centre. C’est à partir d’une montagne de rushs et d’extraits de ses précédents films qu’il compose cette fresque poétique mêlant images documentaires et fiction narrative, où bat le pouls de la Chine du XXIe siècle. Au fil de la quête de Qiaoqiao, visages et paysages se succèdent. On croise des ouvriers au visage noirci par le charbon dans le Shanxi, des gens sur le départ dans la ville en démolition de Fengjie sur les hauteurs du fleuve Yangzi, un jeune créateur de contenus sur TikTok dans le poumon économique du delta de la rivière des Perles. Le titre chinois est explicite : Feng Liu Yi Dai signifie littéralement « une génération à la dérive ».



Source link

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *