Il y a trente ans, les grandes grèves contre le plan Juppé
Lorsque les mouvements sociaux piétinent, que l’austérité budgétaire domine le débat public, qu’un président français et une bureaucratie européenne voient dans le réarmement et la rhétorique guerrière les remèdes à leur folle impopularité, il est bon de se rappeler qu’en novembre-décembre 1995 un grand refus populaire avait grippé la machine et ouvert de nouveaux horizons.

Gérard Paris-Clavel. — « Joyeux bordel », 1993
© Gérard Paris-Clavel – Ne pas plier
Le 15 novembre 1995, M. Alain Juppé, premier ministre, exposait devant l’Assemblée nationale les grandes lignes d’une réforme de la Sécurité sociale qui visait, déjà, à réduire les déficits sociaux en abaissant la qualité du système public de soins, et à renforcer la « crédibilité financière » de l’État dans le contexte d’une marche à l’euro actée par l’adhésion au traité de Maastricht en 1992. Il était ovationné par la très large majorité de droite issue des législatives de 1993, alors que le président de la République, Jacques Chirac, avait été élu quelques mois plus tôt sur le refus de la « fracture sociale » et sur une critique voilée des politiques d’austérité.
Bien préparé par une alliance de technocrates et de communicants, ce que les commentateurs désignèrent alors vite comme le « plan Juppé » bénéficie d’un alignement parfait des planètes : le principal syndicat réformiste, la Confédération française démocratique du travail (CFDT) dirigée par Mme Nicole Notat, approuve le « courage » gestionnaire de l’exécutif, suivi par un groupe d’intellectuels et d’experts sociaux-libéraux.
Ces derniers concrétisent rapidement leur adhésion en publiant dans Le Monde (2 décembre 1995) un appel de soutien qui prit naissance dans les locaux de la revue Esprit et doit son succès aux réseaux déjà anciens constitués autour de la Fondation Saint-Simon — ce think tank symbolise alors la fusion idéologique de la droite et de la gauche technocratiques, médiatiques et intellectuelles dans le néolibéralisme triomphant. À l’unisson, les grands médias, notamment de centre gauche (Le Monde, Libération, Le Nouvel Observateur), célèbrent le tête-à-queue de Jacques Chirac. Éditorialistes et essayistes (Alain Minc, Bernard-Henri Lévy, Pierre Rosanvallon, Alain Duhamel…) cadrent d’emblée le débat selon la grille d’analyse dominante depuis les années 1980 : la modernité (l’austérité) contre l’archaïsme (les conquêtes sociales).
Le contexte (…)
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