Les amnésies de la vie politique française, par Anne-Cécile Robert (Le Monde diplomatique, décembre 2025)


La Révolution demeure-t-elle une référence ?

Du parc à thème le Puy du Fou, créé par M. Philippe de Villiers, au spectacle « Murmures de la cité » de Moulins, financé par le milliardaire Pierre-Édouard Stérin, l’extrême droite diffuse une vision conservatrice de l’histoire, avec l’appui de médias tels que CNews. Les pouvoirs publics et la classe politique abandonnent le récit national à des courants contre-révolutionnaires et anti-Lumières.

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Bertrand Lavier. – « Aux armes citoyens », 2025

© Adagp, Paris, 2025 – Bertrand Lavier – Courtesy the artist and Mennour, Paris – Photo : Centre Pompidou-Metz / Marc Domage

Paris, 12 janvier 2010. L’Assemblée nationale au grand complet rend hommage à Philippe Séguin, figure majeure de la vie parlementaire, récemment décédé. Son président, M. Bernard Accoyer, s’attarde sur l’une des qualités du défunt : son intérêt pour « l’histoire, cette autre discipline qu’il aimait au plus haut point et dans laquelle il s’illustra avec brio ». Et d’ajouter : « Comment oublier que cet authentique républicain, rompant avec la tradition héritière de Victor Hugo, entreprit de réhabiliter la mémoire de Napoléon III, substituant au personnage caricatural de Badinguet la vision d’un empereur moderniste et soucieux du bien commun, qui équipa et enrichit la France ? » Avec une simplicité déconcertante, le président de l’Assemblée nationale lave ainsi l’opprobre qui couvrait jusqu’alors au Palais-Bourbon le coup d’État du 2 décembre 1851. Ce putsch supprima le Parlement, déporta et tua des milliers d’opposants, et précéda l’avènement d’un Second Empire policier et affairiste. L’admiration de M. Accoyer va jusqu’à créditer Séguin d’avoir donné tort à Hugo, député contraint, à partir de 1851, à dix-neuf ans d’exil. Plus extraordinaire encore : cette réhabilitation inouïe du criminel au détriment de son accusateur n’a pas, ni ce jour-là ni les suivants, suscité de réaction sur les bancs de la gauche, où siègent traditionnellement depuis 1789 les partisans de la République (radicaux, socialistes, etc.).

Le temps n’est pourtant pas si éloigné où le souvenir du 2-Décembre s’invitait régulièrement dans les joutes politiques françaises pour délégitimer les dérives oppressives et les tentations césaristes venues de la droite. Réciproquement, la figure d’Hugo, dont le recueil de poèmes Les Châtiments, écrit en exil, entretenait le souvenir du douloureux combat des républicains pourchassés, faisait l’objet d’un consensus.

Loin d’être anecdotique, cette séance de l’Assemblée nationale n’est qu’un exemple d’une vie politique (…)

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