
Je souhaite porter à votre attention les risques grandissants qui pèsent sur la paix et la sécurité régionales en Asie du Sud en raison de la militarisation continue de l’eau par l’Inde.
Sous le prétexte fallacieux de l’attentat commis le 22 avril 2025 à Pahalgam, le Gouvernement indien a officiellement notifié, le 24 avril 2025, sa décision de suspendre l’application du Traité sur les eaux de l’Indus. À première vue, la décision de l’Inde pourrait sembler être une réaction à l’attentat de Pahalgam : elle signifie en réalité une escalade marquée dans la guerre d’usure que l’Inde mène contre le Pakistan au sujet des cours d’eau transfrontaliers. La suspension unilatérale de l’application du Traité sur les eaux de l’Indus est essentiellement le reflet de la politique de longue date de l’Inde consistant à saper progressivement les dispositions de ce Traité, ce qui porte atteinte au caractère sacré des traités internationaux, aux principes du droit international et à la conduite responsable des relations entre États.
Le Traité sur les eaux de l’Indus a été signé en 1960 entre l’Inde et le Pakistan sous les auspices de la Banque mondiale. Il attribue les trois fleuves de l’ouest (Indus, Jhelum et Chenab) au Pakistan, le pays riverain situé en aval, et les trois fleuves de l’est (Ravi, Beas, Sutlej) à l’Inde, le pays riverain situé en amont. L’article VIII du Traité prévoit un minutieux mécanisme de coopération et d’échange d’informations entre les deux pays concernant leur utilisation respective des fleuves, à savoir la Commission permanente de l’Indus, au sein de laquelle chacun des deux pays a nommé un commissaire. L’article IX prévoit un mécanisme détaillé pour le « règlement des différends et des litiges ». L’article XII (4) stipule expressément que « [L]es dispositions du présent Traité (…) demeureront en vigueur jusqu’à ce qu’elles soient abrogées par un Traité conclu à cet effet entre les deux Gouvernements, qui devra être dûment ratifié. »
Il est extrêmement préoccupant que l’Inde ait contourné les mécanismes prévus aux articles VIII et IX du Traité sur les eaux de l’Indus et qu’elle ait choisi unilatéralement de le suspendre : le Traité ne contient pas une telle disposition. Au contraire, le Traité prévoit expressément sa continuité à perpétuité, jusqu’à ce que les deux parties conviennent de le modifier ou d’y mettre fin.
Le Traité sur les eaux de l’Indus représente un engagement international solennel, fondé sur le principe pacta sunt servanda (les accords doivent être exécutés de bonne foi) tel qu’il est consacré par le droit coutumier international et codifié à l’article 26 de la Convention de Vienne sur le droit des traités. La suspension unilatérale du Traité par l’Inde constitue une grave violation de ce principe et porte atteinte au caractère sacré des traités qui constituent le fondement de l’ordre juridique international.
Le Traité sur les eaux de l’Indus est un accord transfrontalier de partage de l’eau empreint d’un caractère unique et spécial, différent de celui d’autres traités. Les traités sur les eaux transfrontalières ne changent pas avec le temps, et ce Traité ne peut donc ni être résilié ni être mis en suspens unilatéralement. Le principe rebus sic stantibus codifié dans la Convention de Vienne sur le droit des traités, qui permet l’inapplicabilité d’un traité sous certaines conditions, ne s’applique pas au Traité sur les eaux de l’Indus. Les allégations sans fondement portées par l’Inde pour se justifier sont sans rapport avec le champ d’application du Traité sur les eaux de l’Indus. Un traité ne peut être suspendu sur la base de griefs sans rapport avec son objet. Le droit international exige la proportionnalité et la cohérence et ne saurait être guidé par l’opportunisme politique, la coercition et l’unilatéralisme.
Je tiens également à souligner que le Traité demeure juridiquement intact. La Cour permanente d’arbitrage, dans ses récentes décisions de juin et d’août 2025, a réaffirmé que le Traité et ses mécanismes contraignants de règlement des différends restaient valables. Ces décisions ne laissent place à aucune ambiguïté : aucune partie n’a le pouvoir de suspendre ou d’abandonner unilatéralement cet accord. Le Traité sur les eaux de l’Indus conserve toute sa force et ses dispositions demeurent contraignantes pour les parties. L’Inde ne doit pas être autorisée à créer un nouveau précédent portant atteinte au droit international.
La démarche de l’Inde est de plus contraire au droit international coutumier de l’eau. La Convention sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation codifie trois principes distincts dont il est largement admis qu’ils relèvent du droit coutumier : a) l’utilisation équitable et raisonnable ; b) l’obligation de ne pas causer de dommage ; c) le devoir de coopérer. L’action illégale et unilatérale de l’Inde porte atteinte à chacun de ces trois principes. Le principe de « l’utilisation équitable » interdit de dévier ou d’entraver unilatéralement l’écoulement des eaux vers des États co-riverains. L’obligation de « ne pas causer de dommage » exige que l’Inde évite de causer un dommage significatif au Pakistan – obligation qu’elle risque d’enfreindre en altérant les flux d’eau vers un pays dont l’agriculture dépend à plus de 80 % de l’Indus et des deux autres fleuves pour l’irrigation. Le « devoir de coopérer » requiert une gestion commune, l’échange d’informations et le règlement pacifique des différends. En se désengageant des obligations que lui impose le Traité, l’Inde porte atteinte non seulement à la confiance bilatérale, mais aussi à la responsabilité partagée de la gouvernance des eaux transfrontalières qui découle des principes du droit international coutumier de l’eau.
Si l’Inde est autorisée à suspendre impunément un traité relatif au partage de l’eau, elle pourrait créer un nouveau précédent alarmant et déclencher un effet domino qui conduirait les États à décider de se retirer de traités en se prévalant d’un « changement de circonstances » pour dissimuler leurs objectifs stratégiques et politiques sous-jacents. Ce serait là un affront direct à l’ordre juridique international et aux normes régissant les relations interétatiques. Il est donc impératif de préserver le caractère sacré des traités internationaux pour éviter les conflits, maintenir l’ordre et préserver la paix et la sécurité internationales. Le Conseil de sécurité a déjà reconnu le lien entre la gestion des ressources naturelles et la paix et la sécurité internationales. Ce lien n’est nulle part plus évident que dans le cas des eaux de l’Indus.
Outre le fait qu’elles contreviennent au droit international, les actions de l’Inde ont de graves conséquences humanitaires. Le système fluvial de l’Indus est crucial pour l’agriculture et la sécurité alimentaire du Pakistan. Toute perturbation des flux d’eau arrivant dans ce système menace la stabilité socio-économique de plus de 240 millions de Pakistanais. Dans un pays aux prises avec l’enjeu de la pénurie d’eau, une telle perturbation pourrait déclencher une crise humanitaire d’une ampleur colossale.
Dans plusieurs résolutions, l’Assemblée générale et le Conseil des droits de l’homme ont reconnu l’accès à l’eau comme un droit humain, dont le déni constitue une violation du droit international des droits humains. Des millions de Pakistanais seraient privés de leur droit à l’eau potable, de leur droit à l’alimentation et de leur droit à la santé et à l’hygiène si les flux d’eau ne s’écoulaient pas de manière adéquate de l’Inde vers le Pakistan.
En maintenant le Traité en suspens, l’Inde a mis un terme immédiat à l’application de toutes ses dispositions, y compris le partage des données, la surveillance conjointe et toute forme de dialogue ou de coopération, laissant le Pakistan sans aucune information préalable sur le débit de l’eau des rivières en aval, les prévisions d’inondation ou les risques de sécheresse. Cette situation a gravement compromis nos efforts d’atténuation des changements climatiques et d’adaptation à ces changements et notre capacité de faire face aux conséquences dévastatrices des inondations. Les ravages causés par les récentes inondations au Pakistan ont été aggravés par le refus de partager les données en temps utile, obligation clairement inscrite dans le Traité. L’absence d’informations essentielles a transformé une catastrophe naturelle en une tragédie humanitaire, qui a coûté des vies, déplacé des familles et érodé la confiance. Cet épisode douloureux a mis en évidence ce qui est en jeu lorsque de telles obligations découlant du Traité ne sont pas respectées et que les gens ordinaires en subissent les conséquences : les agriculteurs voient leurs récoltes noyées, les enfants n’ont plus de maison et les infrastructures critiques sont détruites.
Le non-respect par l’Inde du Traité sur les eaux de l’Indus risque d’aggraver le différend prolongé du Jammu-et-Cachemire et d’en faire un point de tension encore plus dangereux. Les différends relatifs à l’eau sont susceptibles de déclencher des conflits majeurs, en particulier lorsque le différend qui oppose les parties concernées s’envenime depuis longtemps, comme c’est le cas de celui du Jammu-et-Cachemire, qui n’est toujours pas résolu en raison de la non-application par l’Inde des résolutions du Conseil de sécurité prévoyant l’exercice du droit du peuple cachemirien à l’autodétermination. Les déclarations des dirigeants indiens ont montré qu’ils avaient l’intention de bloquer les flux d’eau vers le Pakistan. La militarisation de l’eau par l’Inde est devenue en Asie du Sud un facteur de conflit omniprésent, dont les implications sont considérables.
Compte tenu de l’action illégale de l’Inde qui viole le Traité sur les eaux de l’Indus, le Comité national de sécurité du Pakistan a déclaré le 24 avril 2025 que toute tentative d’arrêter ou de détourner le flux d’eau appartenant au Pakistan en vertu du Traité sur les eaux de l’Indus serait considérée comme un acte de guerre. Le Pakistan est pleinement habilité à prendre toutes les mesures appropriées pour sauvegarder la part d’eau qui lui revient, telle qu’elle est garantie par le Traité. Dans le même temps, le Pakistan reste fermement attaché au dialogue, à la compréhension et à la coopération, qui sont les seules voies durables vers la paix et la sécurité.
Compte tenu de ce qui précède, le Conseil de sécurité, qui a la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales en vertu de la Charte des Nations Unies, doit se saisir de cette question urgente et grave, demander le rétablissement immédiat du Traité sur les eaux de l’Indus et empêcher la militarisation de l’eau par l’Inde, qui fait peser un danger considérable sur la paix et la stabilité en Asie du Sud.
Je vous serais obligé de bien vouloir faire distribuer le texte de la présente lettre comme document du Conseil de sécurité, au titre de la question intitulée « La question Inde-Pakistan ».