
En 2007, quelques années après avoir commencé une carrière de metteur en scène, Milo Rau, né à Berne en 1977, fonde une maison de production nommée International Institute of Political Murder. Rau, qui est également dramaturge, essayiste et réalisateur, questionne tout particulièrement la violence et sa répétition au sein de la famille et de la société. Il en fait le point de départ de la tragédie humaine avec ses ruptures, attentats, guerres et exils. Ses spectacles (une cinquantaine depuis 2002) sont traduits et joués dans le monde entier. Au Festival d’Avignon, il présentait, avec Servane Dècle, pour une date unique, le 18 juillet 2025, Le Procès Pelicot, en un geste qui rendait hommage à Gisèle Pelicot et voulait faire le « procès du patriarcat » : une pièce en entrée libre, interprétée avec sobriété au Cloître des Célestins, portée sur plusieurs heures par de très nombreux comédiens, personnalités, témoins, avocats, experts… Au même moment, il donnait, en itinérance, La Lettre (d’après La Mouette, d’Anton Tchekhov, avec deux comédiens), en dehors des salles de spectacle : un dispositif très léger, une pancarte annonçant une « Critique du théâtre bourgeois », la volonté de dévoiler ce qu’il en est de la fabrication d’une pièce. Une démarche assez représentative de son travail.

En octobre 2025, il interpellait ses collègues, artistes et programmateurs, sur leur silence par rapport au génocide perpétré à Gaza. Si l’on en croit ses très nombreuses publications (1), son implication personnelle et politique ne fait aucun doute. Il se déplace en Europe de l’Ouest, mais aussi en Roumanie, au Rwanda, en République démocratique du Congo, en Irak (Les Derniers Jours des Ceausescu, Hate Radio, Le Tribunal sur le Congo, Oreste à Mossoul)… Il y va, physiquement, non pour rendre compte des décompositions en cours mais pour tenter de les comprendre, d’en saisir, et d’en faire saisir, le mécanisme de répétition.

Ses pièces, entre jeu et projection sur écran, sont d’ailleurs souvent plus intéressantes à lire qu’à voir, l’effet de mise en scène en figeant souvent le propos ou creusant l’écart entre son propre parcours et celui de ses personnages. Oreste à Mossoul (2019), son adaptation de l’Orestie d’Eschyle, entre tragédie grecque et conflit contemporain, entre passé et présent, en est l’illustration parfaite. Si l’on comprend son effroi et son trouble devant les exactions de l’Organisation de l’État islamique, les défenestrations d’homosexuels à Mossoul, on se demande cependant si cela suffit pour donner une image et un point de vue sur l’Irak et son terrifiant processus de destruction. On a parfois le sentiment que Rau franchit le cadre de son statut d’auteur pour flirter avec celui du reporter, mais qu’entre fiction et réalité il manque d’ancrage sur le terrain. Et les stéréotypes finissent par atténuer l’effet de souffle de ses créations.