Le rêve américain selon Jake Paul : anatomie d’une mascarade


Vanité. Vacuité et illusions. Le pic de la civilisation occidentale dans une image… Voici Jake Paul, un des plus gros « influenceurs » américains. Le 22 décembre 2025, il publiait cette photographie dans son avion privé de 20 millions de dollars. Des liasses de billets, des marques et des flingues. Son cliché est présenté comme l’objectif suprême de l’existence : « Le rêve américain », dit-il, suivi d’un mot d’encouragement pour ses millions de followers pauvres : « Commencez aujourd’hui ! Croyez-y ! Échouez ! Travaillez ! » et autres bullshit type coach de chez Wish.

Cette photo est absolument géniale et devrait finir dans un musée du capitalisme après effondrement tant elle symbolise l’ère du vide et le vulgaire comme valeur ultime d’une civilisation paumée sans repère. Analyse point par point.

Jake Paul sur Instagram. 

Le sophisme du survivant : Clé de voûte du contrôle social

Le sophisme du survivant est un biais de perception qui consiste à mettre en avant une singularité d’un système inégalitaire en occultant la majorité des échoués, disparus du champ de vision. Jake Paul est arrivé parmi les premiers utilisateurs des réseaux sociaux –  sur Vine, puis YouTube, surtout à partir de 2013–2014. Il a fondé sa popularité sur le clash et le vulgaire, utilisant les plus bas instincts humains pour gagner en popularité.

Sa fortune est construite sur du placement de produits et la vente de goodies bas de gamme à des millions de pauvres qui rêvent d’être comme lui mais ne le seront jamais. Sa richesse n’est pas le fruit d’un travail mais un miroir déformant du nombre d’influencés. Plus tu manipules, plus tu capitalises.

Dans la même période, les inégalités ont explosé. Les données économiques montrent que le taux et le nombre de personnes pauvres ont connu des variations importantes au cours des années 2000, 2010 et après la pandémie de COVID-19, et que les inégalités ont tendance à être plus élevées depuis les années 1980 comparées aux décennies précédentes.

On compte désormais 40 millions de pauvres aux USA. C’est une personne sur dix. Chez les non-pauvres, ceux qui gagnent tout juste de quoi survivre sont bien plus nombreux encore. La majorité du peuple américain est aujourd’hui constituée de gens qui vivotent péniblement dans l’espoir d’un rêve qui n’existe pas.

Des figures comme Jake Paul et d’autres servent à maintenir en vie l’illusion que tout le monde peut réussir. Et plus ils affichent une richesse toujours plus astronomique, plus l’illusion se renforce. Et ce, même si mathématiquement, un Jake Paul est le fruit d’un déséquilibre total dans la distribution des richesses produites, voire même un symbole d’accaparement. Il suffira de dire que ceux qui ne sont pas d’accord avec ce principe sont jaloux (et ça marche !).

Jake Paul sur Instagram. 

Le culte du paraître

Tout dans ce rêve préfabriqué est artificiel. Le mérite ? Artificiel. Comme on l’a vu plus haut, la richesse n’est pas le résultat du travail mais le fruit du capital. Le travail, lui, est le fardeau des masses laborieuses qui n’ont parfois rien à envier aux ouvriers du XVIIIe siècle.

Tout est artificiel jusqu’à l’image elle-même. Jake Paul, comme d’autres milliardaires, ne se balade pas vraiment avec des millions de dollars en liquide ni avec des armes de guerre dans son véhicule. Fruit d’une mise en scène étudiée, chaque petit paquet de billets a été placé ici et là pour donner le sentiment de quantité. Les armes servent également de symbole pour accentuer une image bon marché de virilité. Jake Paul n’en a aucune utilité. Ces armes, largement banalisées dans l’imaginaire américain, sont rarement utilisées comme le suggère leur mise en scène ; leur usage effectif contre des civils relève surtout de la criminalité violente, dont les fusillades de masse sont l’expression la plus visible. Mais, « les flingues, c’est cool, duh »

Et quand on retire ces couches de superficialité, que reste-t-il ? Un mec seul dans un avion qui ne va nulle part, se mettant en scène pour la caméra. L’important étant l’impact sur le spectateur, pas la réalité. Le faux devient ainsi la composante centrale de toute la carrière de Jake Paul, mais aussi celle d’un grand nombre d’influenceurs dont le seul talent est : organiser le clash, distiller la frustration, vendre du rêve.

Jake Paul sur Instagram. 

La mort de toutes valeurs humaines

Même si ce n’est pas explicitement affiché, Jake Paul et d’autres existent uniquement parce qu’ils ont abandonné les valeurs humaines essentielles et éthiques telles que l’entraide, l’empathie, le vivre-ensemble, l’honnêteté, les bonheurs simples, la construction collective d’une société vivable pour tous.

Tout ceci est liquidé pour ne laisser place qu’à une seule donnée : l’accumulation. Le culte du nombre. Et tous les moyens sont bons pour y arriver. Mentir. Manipuler. Vendre daube sur daube. Diviser. Clasher. Et le message d’une telle débauche de richesse est clair : si vous n’avez pas le nombre, vous êtes un raté. Pour devenir le prochain Jake Paul, abandonnez tout ce qui fait de vous un être humain !

La pédagogie de la résignation

On en vient naturellement au dernier point qui agglomère tous les autres. Cette photographie n’enseigne pas la réussite individuelle. Elle enseigne l’acceptation de l’échec collectif. Elle est le miroir de l’éducation américaine abandonnée. De l’incapacité à se soigner. De l’abandon insidieux des droits humains. De la paupérisation galopante. Du chacun pour soi porté au rang de quasi-religion nationale. Les individus isolés, seuls devant leur écran à contempler la réussite du 0,001 %, intériorisent l’idée qu’ils ont raté leur vie. En somme, que « si vous échouez, c’est de votre faute ».

Ce cliché, comme d’autres du même acabit, transforme une anomalie statistique – le survivant – en norme morale du modèle capitaliste. Et quelle morale… S’il a réussi, c’est que LUI a « cru en lui », pas vous. C’est faux, mais ça fonctionne. Ce récit est extraordinairement utile au monde marchand. Il dépolitise la misère qui découle de la concentration des richesses. Il individualise l’échec. Il rend toute critique structurelle inaudible car, comme ce texte, la chemin intellectuel est trop long, trop complexe, incapable de rivaliser contre l’illusion et le choc des images. Comme expliqué dans un article sur Mr Mondialisation, la méritocratie est un leurre.

Pourquoi parler de redistribution, de services publics, de justice sociale, de sociologie des institutions, quand il suffirait juste d’y croire plus fort en ce rêve américain ? Toi aussi, lance ta boîte en drop-shipping, vends de la merde made in China en montrant tes abdos sur TikTok ! Moque toi des gros. Insulte les femmes. Titille ce mascu frustré sur Instagram. C’est vendeur. Dans l’air du temps ! Et surtout, ça rapporte gros. Le rêve américain n’est ainsi plus une fondation collective fondée sur l’effort de chacun pour tous, mais l’espoir d’une sortie individuelle par le haut, quoi qu’il en coûte, même si cette sortie est mathématiquement inaccessible à l’immense majorité.

Le rêve américain version influenceur n’est pas un moteur d’émancipation. C’est un outil de domination sociale dans un monde au bord de l’explosion. Une cuillère de sucre pour faire avaler le poison de ce qui est pourtant intolérable au commun. Un sédatif idéologique de masse. Il maintient ainsi des millions de gens courageux et (vraiment) travailleurs dans un état intermédiaire très pratique : pas assez pauvres pour se révolter, pas assez riches pour être libres, occupés à admirer ceux qui les écrasent en vérité.

Jake Paul sur Instagram. 

Et pendant que les regards sont rivés sur des jets privés, des flingues et des liasses de pognon posées sur le sol à distances égales pour la photo, le système, lui, continue tranquillement à fonctionner, bien protégé, indiscuté.

J’aimerais pouvoir me dire que tout ceci n’est qu’une triste farce, si seulement l’état de la planète et des ressources n’était pas à ce point inquiétant. Car tant que l’illusion d’une croissance infinie tient encore debout dans assez de cerveaux, on tolère tranquillement le fait qu’une minorité puisse tout s’accaparer. Mais quand nous aurons trop tiré sur la corde, ce qui est inévitable selon l’ensemble des données scientifiques, ce sera sauve-qui-peut et autres hurlements plus vite qu’il ne faut de temps pour le dire.

Vanité. Vacuité et illusions. Les piliers d’un empire qui ne veut pas mourir.

Mr Mondialisation


Photo de couverture : Jake Paul sur Instagram

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