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Vladimir Malacki / Jean Malaquais et André Gide, par Carlos Pardo (Le Monde diplomatique, avril 2024)

ByVeritatis

Avr 4, 2024


En décembre 1935, André Gide reçoit une lettre d’un jeune admirateur en colère qui lui reproche les pages de son Journal publiées dans la Nouvelle Revue française (NRF), où il exprime ses regrets de n’avoir jamais eu à gagner sa vie, de n’avoir jamais dû « travailler dans la gêne ». Comment un Gide qui a enseigné à toute une génération le « mépris des beaux sentiments » peut-il se livrer à de tels poncifs, s’interroge l’insolent nommé Vladimir Malacki. Né en Pologne en 1908, Malacki a quitté son pays à l’âge de 17 ans, bourlingué à travers le monde, occupé toutes sortes d’emplois, et passé ses nuits à lire et à rêver de la France, « le pays où faut vivre ».

Touché, Gide répond et joint un mandat de 100 francs de l’époque tout en s’excusant de ne pouvoir faire davantage. L’auteur des Nourritures terrestres, sympathisant communiste, est attentif à la condition des écrivains prolétaires. Il lit des manuscrits, signe des préfaces, et intervient souvent financièrement. Mais le jeune homme se sent humilié, renvoie le mandat et réclame en échange une heure de discussion : « Que voulez-vous, on n’est pas impunément André Gide… On n’éveille pas impunément au pressentiment de la joie et de la force toute une pléiade d’hommes ardents… » Ils se rencontrent début 1936, et vont tisser une solide et parfois orageuse amitié qui ne s’éteindra qu’avec le décès de Gide en 1951. En témoigne la réédition enrichie de leur correspondance (1). Gide encourage Malacki à écrire, fait jouer ses relations à la NRF, l’incite à s’essayer à la nouvelle…

L’été 1936 se déroule loin du milieu littéraire parisien. Malacki, enthousiasmé par la « solidarité prolétarienne », se rend à Barcelone au tout début de la guerre civile. Se rapprochant du Parti ouvrier d’unification marxiste (POUM), il s’oppose à l’enrôlement des milices au sein de l’armée républicaine, synonyme selon lui de l’échec de la révolution. Pris pour un agitateur fasciste, il échappe de peu à une exécution sommaire — ses instantanés d’Espagne demeurent à ce jour inédits. Dans le même temps, Gide, invité par les autorités, visite l’URSS en compagnie d’un petit groupe d’écrivains. Son Retour de l’URSS (1936, suivi de Retouches à mon « Retour de l’URSS », 1937) lui vaudra d’être attaqué par nombre d’intellectuels de gauche et défendu publiquement… par son disciple (2). Dont le premier roman, Les Javanais, que saluera Léon Trostki, tableau du « destin collectif d’une humanité » inspiré par son expérience parmi les mineurs immigrés de La Londe-les-Maures, signé Jean Malaquais et publié en 1939 (3), recevra le prix Renaudot.

Juif apatride, il est mobilisé par l’armée française sur le front de l’Est (4). « Les régions et les villes évacuées sont des sortes de poèmes de la dévastation, écrit-il, d’une tristesse indicible. » Fait prisonnier, il s’évade et gagne Marseille et son Comité d’aide aux intellectuels. Il s’y démène trois ans durant, malgré de nouvelles médiations de Gide, en vue d’obtenir un visa pour le Mexique. Le récit de cette période tumultueuse, Planète sans visa (1947, Phébus-Libretto, 2009), est resté fameux… En 1945, il est à New York, d’où il demande à l’administration française sa naturalisation. Il obtiendra finalement la nationalité américaine, rencontrera Norman Mailer, dont il traduira le premier roman, Les Nus et les Morts (Albin Michel, 1950), et signera Le Gaffeur (L’Échappée, 2016), récit d’anticipation politique dont les prédictions n’ont rien à envier à celles de 1984.

Il se tournera vers la philosophie, et « fermera le guichet » en 1998.



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