Autrefois vue comme un allié difficile, la France réinvestit massivement l’Otan depuis le retour de la menace russe, en parallèle de son désengagement militaire en Afrique.
Membre fondateur de l’Alliance atlantique créée en 1949 pour faire face à la menace soviétique, organisation qui fête ce jeudi son 75e anniversaire, la France en avait quitté le commandement militaire intégré (qui définit la stratégie) en 1966, sous l’impulsion du général de Gaulle, en raison de désaccords avec les Etats-Unis.
Elle y est revenue en 2009, sans toutefois intégrer le groupe des plans nucléaires de l’Otan, pour garder son indépendance en matière de dissuasion.
En 2019, une phrase du président Emmanuel Macron déclarant l’Otan en “état de mort cérébrale” a réactivé une certaine méfiance envers l’allié français, notamment en Europe de l’Est dont la sécurité dépend des Etats-Unis, principal contributeur de l’Alliance.
Mais l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022 a rebattu les cartes.
Dans un retournement de l’histoire, cinq ans plus tard, la France est aujourd’hui “quasiment alignée avec la Pologne et les pays baltes”, parmi les plus transatlantiques, relève le chercheur français Pierre Haroche, maître de conférence en sécurité internationale à l’université Queen Mary de Londres.
Fin février, les déclarations controversées d’Emmanuel Macron sur l’hypothèse d’un envoi de troupes au sol en Ukraine ont reçu un écho positif dans ces ex-pays soviétiques, pour qui la Russie est une menace existentielle.
“Cette évolution inédite est le fruit d’un double mouvement, d’un côté l’européanisation de la défense française, de l’autre l’incertitude transatlantique qui rend acceptable” l’idée d’un “pilier européen”, poursuit le chercheur.
Au moment où une éventuelle réélection de Donald Trump aux Etats-Unis fait planer des doutes sur l’engagement américain auprès de ses 30 alliés européens, engagement stipulé dans le traité original, Paris cherche à construire un noyau de pays européens qui serait moteur au sein de l’Otan.
– L’Ukraine rebat les cartes –
La France “est de plus en plus proactive. Elle est aussi davantage entendue sur la complémentarité entre l’Otan et la défense européenne”, fait valoir l’ambassadrice à la représentation permanente de la France auprès de l’Otan, Muriel Domenach.
Aujourd’hui, la France est considérée comme un allié “militairement très engagé. Tout le monde a remarqué que les militaires français étaient de retour”, renchérit le général Jérôme Goisque, représentant militaire permanent de la France auprès de l’UE et de l’Otan.
Quatre jours après l’invasion russe, elle a déployé 500 hommes en Roumanie, à la frontière de l’Ukraine, où elle tient le rôle de nation-cadre pour l’Otan.
Les militaires français y sont aujourd’hui plus de 1.000, et un exercice interallié doit permettre en 2025 de tester le déploiement d’une brigade (plus de 6.000 hommes), sous la houlette de la France.
La France est le 4e plus gros contributeur financier de l’Alliance après les Etats-Unis, l’Allemagne et le Royaume Uni, à hauteur de 203 millions d’euros en 2022, et elle pourrait dépenser en 2030 quelque 830 millions d’euros, selon la trajectoire du budget de l’Otan, relève un rapport de la Cour des comptes.
En revanche, déplore ce rapport, seuls 75% des postes réservés aux militaires français sont pourvus, “un taux des plus bas parmi les alliés”.
La France a toujours contribué aux exercices et missions de l’Otan, même lorsqu’elle était absente des instances de décision. Mais en raison d’une parenthèse de plus de 40 ans, il se trouve peu d’experts Otan parmi les hauts gradés français. Chef d’état-major de 2017 à 2021, le général François Lecointre confiait à l’époque qu’il ne s’était “jamais vraiment intéressé à l’Otan” avant de prendre la tête des armées françaises.
Un phénomène qui “est en train de changer avec une nouvelle génération de généraux”, assure le général Goisque.
Reste dans le pays un fort courant anti-atlantiste favorable à une nouvelle sortie du commandement militaire intégré.
“L’Otan n’est pas notre culture militaire. A terme, notre principale crainte c’est qu’on ne soit plus capables de faire seuls”, estime par exemple Bastien Lachaud, co-rapporteur LFI d’une mission parlementaire d’information sur la France dans l’Otan, dont le rapport sera publié en mai.
Le Rassemblement national, lui, a récemment nuancé sa position sur ce point : pas question d’en sortir tant que la guerre en Ukraine est en cours, a déclaré son président, Jordan Bardella.