• dim. Sep 29th, 2024

« Les voilà ! » Ces huit buffles réintroduits pour sauver les Landes de Gascogne


Lacanau (Gironde), reportage

Les serres agrippées à l’écorce d’une bourdaine, une pie-grièche enfouit son bec crochu sous son plumage ébouriffé. Les douces ondulations des eaux sombres trahissent la présence de quelques amphibiens fantomatiques. Au loin, ronronne le moteur d’un tracteur… Bientôt escorté d’un mugissement guttural. Les yeux de François Sargos, conservateur des lieux, s’écarquillent et d’un souffle empreint d’émotion, il chuchote : « Les voilà ! »

Le 11 avril, huit buffles d’eau — Bubalus bubalis — ont été introduits près de l’étang de Cousseau, en Gironde. Blottie entre Bordeaux et l’océan Atlantique, cette réserve naturelle créée en 1976 abrite le marais de Talaris et ses 600 hectares d’étendue vierge et humide. Un écosystème confronté dès le XIXe siècle à la sylviculture intensive. Chaque année, les forêts de pins maritimes grignotent ces landes dépourvues de défense. Il existe toutefois une parade : la réintroduction de vaches, buffles et autres grands herbivores. En piétinant le sol, ils limitent l’expansion infinie de la forêt et laissent s’épanouir une riche biodiversité.

« L’humain élimine tous les grands herbivores, véritables ingénieurs écologiques, depuis des millénaires », sermonne François Sargos.
© Emmanuel Clévenot / Reporterre

« L’humain élimine tous les grands herbivores, véritables ingénieurs écologiques, depuis des millénaires, sermonne François Sargos. Les bisons, les tarpans et les aurochs ont tous été chassés. L’effondrement de la biodiversité n’est pas un mythe. Or, au même titre qu’une recette de gâteau, retirez un ingrédient et tout l’écosystème déraille. »

En 1990, quelques vaches landaises ont été sauvées in extremis de l’abattoir et réintroduites dans leur territoire ancestral. En pâturant, elles maintiennent la mosaïque du marais de Talaris, au grand bonheur d’autres habitants, comme les loutres ou le fadet des laîches, un petit papillon ocre.

Sans les herbivores, les pins auraient tout englouti

Des oiseaux nicheurs, comme le vanneau huppé, le courlis cendré ou le héron pourpré, ont pu de nouveau conquérir l’étendue. Des migrateurs et des hivernants, comme la bécassine des marais ou la spatule blanche, y font désormais escale. « Chaque année, des milliers de grues cendrées nichent ici, s’enthousiasme l’écologue Cyril Forchelet. Sans cette intervention des herbivores, ce refuge aurait déjà été englouti par les chênes et les pins, et avec lui toute cette biodiversité. »

Seulement, un autre obstacle a vite pointé le bout de son nez. Chaque année, au crépuscule de l’automne, ces vaches endémiques migrent vers la forêt des dunes. Jusqu’au retour des beaux jours, les bois encerclant le marais jouissent alors d’une éclaircie pour poursuivre leur colonisation. C’est là que les buffles d’eau entrent en scène.

Huit buffles d’eau, issus d’un élevage, ont été introduits près de l’étang de Cousseau.
© Emmanuel Clévenot / Reporterre

Cyril Forchelet décroche de sa ceinture un talkiewalkie, et en inspecte les fréquences. À l’autre bout du fil, crépite la voix d’un homme. L’heure est venue. Abritées par de modestes barrières métalliques, quatre-vingt-dix personnes dégainent leurs smartphones, prêtes à filmer le lâcher. À l’ouverture des portes, la bestialité associée à ces mastodontes qui pourrait peupler nos imaginaires ne colle pas vraiment avec l’allure – presque nonchalante – des starlettes du jour, à peine débarquées d’élevages du Morbihan et du Finistère.

Domestiqués, ces huit buffles d’eau marchent toutefois dans les traces de leur ancêtre, le Babulus murrensis, disparu à la fin du Pléistocène.
© Emmanuel Clévenot / Reporterre

Leurs déjections disperseront les graines

Jusqu’à 3 m de long, 1,7 m au garrot et 450 kg sur la balance, ces grands herbivores inspirent toutefois une certaine contemplation. Une boucle d’identification accrochée aux oreilles et un collier GPS autour du cou offriront aux scientifiques le loisir d’analyser leurs comportements alimentaires et leurs déplacements.

En comblant l’absence hivernale des vaches landaises, ces colosses devraient restaurer des processus écologiques altérés par les activités humaines. Les saules, les bouleaux et autres arbustes aux désirs d’expansion ne pourront échapper aux imposants sabots et aux mâchoires gourmandes des buffles d’eau. En se vautrant dans la boue, les bovins créeront dans leur sillage de micro-habitats pour la petite faune. Leurs déjections disperseront les graines, et fourniront un habitat aux insectes coprophages.

Quatre femelles, trois génisses et un mâle castré ont été relâchés le 11 avril.
© Emmanuel Clévenot / Reporterre

Débordant d’euphorie, François Sargos assure que ces nouveaux venus restaureront des processus écologiques altérés par les activités humaines : « Bientôt, les travaux mécaniques opérés chaque septembre par les tracteurs pour entretenir le marais pourront être réduits. Une empreinte en moins au compteur. » Avec une gestion anthropique minime, de nombreux services écosystémiques seront ainsi rétablis, de la séquestration carbone à la prévention des inondations.

Domestiqués, ces huit buffles d’eau marchent toutefois dans les traces de leur ancêtre, le Babulus murrensis, disparu à la fin du Pléistocène, il y a 11 700 ans. Formeront-ils un jour une population sauvage ? Une chose est sûre, leur lâcher cultive, en François Sargos, un petit brin d’espoir : « Les conservateurs doivent-ils se contenter d’empailler les ultimes spécimens d’espèces au bord de l’extinction ? Sommes-nous voués à les contempler dans les allées désertes et empoussiérées d’un muséum ? »

Les saules, les bouleaux et autres arbustes aux désirs d’expansion ne pourront échapper aux imposants sabots et aux mâchoires gourmandes des buffles d’eau.
© Emmanuel Clévenot / Reporterre

Le cheptel s’efface au loin dans le camaïeu verdâtre, où gentianes et faux cressons de Thore virevoltent au gré de l’autan blanc. « En Italie, beaucoup vivent enfermés dans des étables, détaille le conservateur. Leur lait est utilisé pour fabriquer la mozzarella. Ici, au moins, les buffles pourront s’immerger toute la journée, en ne laissant dépasser que leur tête, comme les hippopotames. » À côté de lui, un œil mi-clos, l’autre dans l’objectif, une femme s’abandonne à son imagination : « Et si l’on y ajoutait quelques bisons et des élans ? »



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