« Si on ne fait rien aujourd’hui, on va tout droit vers la fast fashion de l’automobile ! » alerte Lætitia Vasseur, déléguée générale de Halte à l’obsolescence programmée (HOP). L’association a publié le 17 avril un rapport sur l’obsolescence accélérée des voitures thermiques et électriques.
Elle a enquêté pendant plusieurs mois et auditionné un large spectre d’acteurs du secteur : manufacturiers, constructeurs, équipementiers, garagistes, experts des mobilités… Aujourd’hui, les véhicules thermiques ont une longue durée de vie, en moyenne dix-neuf ans. Et le marché de l’occasion est très dynamique. En 2023, plus de 74 % des immatriculations de véhicules concernaient des véhicules de seconde main, considérés comme un marché très fiable. Mais qu’en sera-t-il des voitures de demain ?
Si la voiture électrique émet 71 % moins de CO2 que la thermique sur 200 000 km, son impact à la production est plus important, notamment en raison de la batterie. « On a donc tout intérêt à la faire durer le plus longtemps possible », note Flavie Vonderscher, responsable du pôle plaidoyer à HOP. Or, l’association dénonce trois pratiques de la part de certains constructeurs qui pourraient nuire grandement à la durabilité des voitures électriques.
Batteries irréparables
Sur le papier, la voiture électrique paraît plus fiable que la thermique, avec un moteur beaucoup plus simple, pas de système d’embrayage et moins de pièces d’usure : ni durites, ni courroies à remplacer régulièrement, des plaquettes de frein moins sollicitées… En revanche, les difficultés apparaissent quand la batterie tombe en panne ou subit un choc. Pour ne pas la remplacer toute entière, il est en théorie possible de réparer seulement les modules en panne, mais dans les faits, les constructeurs ne facilitent pas la tâche des réparateurs.
HOP cite la pratique consistant à sceller les couvercles avec du silicone obligeant à les découper avec des lames, une opération fastidieuse pour le garagiste — et donc plus onéreuse en main-d’œuvre. Cette opération rend parfois certains couvercles inutilisables. Il faut alors les reconstruire si on veut continuer d’utiliser la batterie. Pire, dans certains cas, les modules sont irréparables. « Tesla s’avère être l’un des mauvais élèves, en injectant 29 kg de mousse collante rose dans ses batteries jusqu’à fin 2022, remplacée en 2023 par 4 kg de mousse blanche », explique HOP. Selon le centre de recherche CarStudio, seule la moitié des constructeurs proposeraient aujourd’hui des batteries réparables. Or, réparer les modules coûterait jusqu’à dix fois moins cher que remplacer l’intégralité de la batterie.
Pire, l’association relève qu’aujourd’hui aucune loi n’impose aux constructeurs de mettre à disposition une nouvelle batterie. En cas de panne ou de choc de celle-ci, « l’automobiliste pourrait donc potentiellement être contraint de remplacer la voiture entière ». Autre inquiétude de HOP : la charge rapide, facteur de choix crucial aux yeux du consommateur, pourrait réduire sensiblement la durée de vie des batteries, d’après les experts interrogés.
Des désassemblages impossibles
Second frein à la durabilité des voitures électriques : le giga-casting. Derrière cet anglicisme se cache une nouvelle méthode de fabrication. Il s’agit d’une giga-presse moulant en un seul bloc des dizaines de pièces auparavant séparées les unes des autres. Tout désassemblage devient impossible. « Au moindre choc, il faudra remplacer une partie si importante de la voiture qu’il sera probablement plus rentable de la mettre à la casse », écrit HOP dans son rapport. Elle cite, là encore, l’exemple de Tesla qui, pour son Model Y, a remplacé la partie arrière, initialement constituée de 70 pièces sur le modèle précédent, par 2 uniques pièces de métal. Ce qui lui aurait permis de réduire de 40 % son coût de production.
« Sans un cadre réglementaire clair et contraignant, les autres constructeurs devront rapidement choisir entre suivre cette tendance ou perdre en compétitivité sur le marché de l’électrique », prévient HOP, qui craint que ce phénomène ne touche aussi les voitures thermiques. Tout ceci au détriment des automobilistes qui achèteront, certes, des voitures à prix très compétitifs, mais avec des coûts cachés exorbitants à la moindre réparation. D’ailleurs, le loueur Hertz a décidé en janvier dernier de se séparer de 20 000 voitures électriques, dont les modèles Tesla, justement pour cette raison.
Des garanties sur les batteries
Enfin, troisième risque pointé par HOP : l’obsolescence liée à l’électronisation des véhicules. La réparation à prix abordable pourrait être fortement remise en cause, comme dans le cas des smartphones, en raison de la miniaturisation et de l’obsolescence des composants, de l’obsolescence logicielle, des entraves à l’accès aux données par les constructeurs, etc.
Face à ces pratiques, HOP réclame un meilleur encadrement avec des normes de réparabilité des batteries et des autres pièces, une garantie légale étendue à dix ans pour les batteries, une disponibilité des pièces détachées pendant au moins vingt ans, une durée minimum de vingt ans pour la maintenance et les mises à jour logicielles.
« Notre objectif est qu’il soit impossible de vendre un véhicule irréparable en Europe afin de protéger les consommateurs, mais aussi les constructeurs européens qui ont un réel savoir-faire en termes de réparation. Il faut agir maintenant, dans dix ans il sera trop tard », conclut Lætitia Vasseur. HOP a décidé d’interpeller les candidats aux élections européennes sur ce sujet en lançant une pétition.