• lun. Nov 11th, 2024

« Le tout-technologique ne sauvera pas les coraux »


Dissimulés sous les eaux chahutées des océans, les récifs coralliens luttent actuellement pour leur survie. Le 15 avril, l’agence américaine d’observation océanique et atmosphérique (NOAA) a signalé qu’un nouvel épisode massif de blanchissement des coraux était en cours. À ce jour, 30 à 50 % de ces récifs ont déjà péri du fait des précédentes vagues de chaleur et des pressions humaines.

Directrice de recherche à l’IRD, rattachée au laboratoire Locean, Aline Tribollet étudie le devenir de ces espèces, confrontées au changement climatique, dans l’océan Indien. Auprès de Reporterre, elle détaille les terribles conséquences – pour la biodiversité et les humains – de leur disparition progressive.

Reporterre — L’épisode de décoloration des coraux actuel est-il rarissime ?

Aline Tribollet — Les récifs coralliens affrontent le quatrième événement mondial majeur de blanchissement jamais enregistré. Les précédents datent de 1998, 2010 et 2016. Ces épisodes sont de moins en moins rares. Sous l’effet du changement climatique, les anomalies de température de l’eau à la surface deviennent de plus en plus positives. Or, ces vagues de chaleur marine font terriblement souffrir les coraux, et par là même, les récifs.

Les taux de mortalité corallienne sur la Grande Barrière australienne l’ont érigé en triste emblème. Certains récifs y ont perdu jusqu’à 100 % de leurs coraux. Toutefois, ces phénomènes de décoloration sont aussi observés en Floride, dans les Caraïbes, au Brésil, dans le Pacifique Sud et le Pacifique tropical oriental, ou encore ici, dans l’océan Indien et notamment à Mayotte.

Quels mécanismes concrets entraînent ces pertes de couleur ?

Partons du commencement. Les coraux sont des animaux appartenant à l’embranchement des Cnidaires, au même titre que les méduses et les anémones. Lors d’une période particulière, liée à la Lune, les coraux émettent des gamètes mâles et femelles dans l’eau. Celles-ci se mélangent et forment des œufs, qui deviendront bientôt de petites larves d’environ un millimètre.

En prospectant le fond récifal, ces larves détectent un substrat de fixation avant de se transformer en un premier polype, semblable à une petite anémone. Constitué d’un pied et de tentacules, ce polype sécrète un petit disque de calcaire sur lequel reposer et s’encrer au fond récifal. Au bout de quelques jours, ce polype se clone, encore et encore, jusqu’à former une colonie avec des milliers de polypes. Résultat : à la fin, un grand squelette de corail a été façonné, créant divers habitats pour d’autres organismes.

Il faut ensuite se nourrir ! Avec leurs tentacules, les coraux sont censés capturer du zooplancton. Seulement, bien souvent, ils vivent dans des eaux oligotrophes, c’est-à-dire pauvres en substances nutritives. Alors pour survivre, ces animaux marins s’allient avec de microalgues, appelées zooxanthelles.

Abritées à l’intérieur du tissu corallien, celles-ci leur apportent près 95 % des éléments nutritifs dont les coraux ont besoin, grâce à la photosynthèse. Ces microalgues sont aussi à l’origine de la palette de couleurs des coraux. Cet échange de bons procédés entre ces deux partenaires s’appelle la symbiose.

Jusqu’ici… Tout va bien.

Oui. Toutefois, quand elles subissent un stress thermique — à cause des anomalies de température — ces algues se mettent à produire des oxydants toxiques pour le corail. Pour se défendre, celui-ci expulse alors les zooxanthelles dans l’eau et rompt la symbiose. Dès lors, le corail devient blanc. Non pas parce qu’il est mort ! Simplement parce que ses tissus sont transparents et laissent ainsi, en l’absence de l’algue, apparaître son squelette calcaire.

« Près de la moitié de la surface des récifs coralliens a disparu »

Cet état est transitoire, au même titre que nous, êtres humains, pouvons tomber malade. Si le stress thermique est bref et de faible intensité, le corail peut à nouveau entrer en symbiose avec des zooxanthelles et se rétablir. En revanche, si les épisodes sont longs, forts et répétés, le corail n’a pas le temps de récupérer. Alors, il meurt.

Pour les préserver, il faut donc limiter au maximum la hausse des températures.

Exactement. Lutter contre le changement climatique en réduisant drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre est primordial. En revanche, on peut aussi agir dans l’immédiat en supprimant toutes les autres sources de stress, liées aux activités anthropiques locales, que subissent les coraux au quotidien.

Prenons l’exemple de Mayotte, ou de La Réunion. Là-bas, une déforestation importante s’opère au profit de l’agriculture et de l’urbanisation des bassins versants. Et cela contribue à la dégradation des récifs coralliens. En effet, dès que des pluies torrentielles s’abattent sur ces îles, l’érosion des sols est décuplée, entraînant d’énormes quantités de sédiments, polluants, déchets et matière organique vers les récifs coralliens.

Les coraux sont des animaux appartenant à la grande famille des Cnidaires, au même titre que les méduses et les anémones.
Flickr / CC BYNCND 2.0 / heroesbed

Or, ces apports dits terrigènes sont souvent riches en nitrates, phosphates, et contiennent beaucoup d’intrants et de pesticides. Combinées à des réseaux d’assainissement insuffisants, ces eaux pluviales polluées et boueuses finissent dans le lagon, et empêchent la lumière d’atteindre les zooxanthelles. Résultat : la photosynthèse est ralentie et les coraux sont impactés de diverses manières — maladies, croissance et densité de leur squelette ou encore blanchissement.

On aurait aussi pu parler des conséquences délétères de la surpêche. Le tout forme un cocktail de perturbations impactant fortement les coraux. Alors, ajoutez-y des anomalies de températures et ça devient presque mission impossible de résister.

La disparition de ces coraux aurait-elle des répercussions à grande échelle ?

Oui. Les écosystèmes récifaux abritent 25 % de la biodiversité marine – poissons, mollusques, crustacés, algues, etc. Et ce, alors qu’ils ne constituent que des confettis : même pas 0,1 % de la surface des océans.

Par ailleurs, ces récifs permettent à environ 1 habitant sur 15 dans le monde de survivre par la pêche, le tourisme ou l’économie que ça génère. Et ce n’est pas tout : en formant des barrières naturelles, ces coraux protègent aussi le trait de côte de l’assaut des vagues, des tempêtes ou encore des tsunamis. Moins il y en aura, plus l’érosion côtière et les risques de submersion augmenteront.

« Ces récifs permettent à 1 habitant sur 15 dans le monde de survivre »

Aujourd’hui, près de la moitié de la surface des récifs coralliens a disparu. En 2019, le rapport du Giec [Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat] sur la cryosphère et l’océan estimait qu’avec +1,5 °C sur Terre par rapport à l’ère pré-industrielle, on perdrait 70 à 90 % des récifs coralliens. Malheureusement, les scénarios actuels tendent plutôt vers un réchauffement à plus de 3,8 °C. Inutile de mettre à jour les calculs sur les coraux pour saisir l’ampleur du danger. Nous sommes très pessimistes.

L’agence américaine se félicite toutefois des techniques développées contre le blanchissement. Elle évoque notamment le déplacement de pépinières de coraux vers des eaux plus profondes et plus fraîches, ou encore l’installation d’ombrages pour protéger les récifs des rayons du soleil. Est-ce souhaitable ?

Je n’émettrai pas de jugement sur ce point. Simplement, je crains que la tâche soit extrêmement compliquée. J’ai du mal à imaginer que l’on parvienne à développer des parasols au-dessus de chaque récif pour les protéger des UV et du réchauffement. Quant à les déplacer vers des eaux plus profondes, les études récentes ont montré que les coraux des profondeurs ne sont pas les mêmes que ceux vivant en surface. Il y a alors fort à penser que ce ne sera pas une solution miracle.

Soyons raisonnables. Limitons déjà au maximum les impacts anthropiques locaux aux abords des récifs coralliens et abaissons nos émissions de CO2. Essayons d’appliquer l’Accord de Paris et les décisions prises à la COP28 sur les énergies fossiles plutôt que de faire reposer tous nos espoirs de solutions sur le tout-techno. Celui-ci ne sauvera pas les coraux. Alors que nous, les consommateurs, en avons le pouvoir via nos choix de société.



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