Ce reportage est réalisé dans le cadre de la Résidence de journaliste « médias alternatifs et défis environnementaux », créée par les chercheuses Audrey Alvès et Carole Bisenius-Penin, membres du Centre de recherche sur les médiations (Crem) de l’université de Lorraine, en partenariat avec Reporterre.
Folschviller (Moselle), reportage
Tatouages imposants aux avant-bras et lunettes bleutées lui donnent un petit air de chanteur des années 1980. Didier Zimny, le maire de Folschviller, a les yeux qui s’illuminent quand on lui parle d’hydrogène. « Il fallait que ça soit découvert ici », dit ce fils de mineur, qui nous reçoit dans un bâtiment sens dessus dessous. Perchés sur une nacelle à l’extérieur de la mairie, des ouvriers installent des panneaux isolants. L’équipe municipale s’est, elle, réfugiée dans une pièce encombrée de cartons, juste à côté, en mode camping. Entre deux coups de perceuse et une fin de visioconférence, le maire reprend : « Votre présence est un témoignage du buzz de l’hydrogène. J’ai eu des coups de fil de journalistes de toute la France, des Pays-Bas. Le New York Times est venu en décembre. C’est un truc de fou et ça nous fait bien rire. »
Sur la table, une maquette de l’ancien carreau de la mine, le « phare de Folschviller ». La tour en acier de 58 mètres de haut, située sur une colline, est visible dans toute la vallée. La mine a fermé en 1979, mais le « carreau » reste une fierté pour cette commune de 4 000 habitants. « C’est le dernier exemplaire de ce genre sur terre », s’enorgueillit Didier Zimny, qui l’a fait acheter par la mairie il y a deux ans pour 100 euros. « Je me dis que si cet édifice est resté là, c’est pour symboliser la transition de notre passé vers notre avenir. » Et cet avenir, c’est évidemment l’hydrogène, trouvé par hasard par des chercheurs, dans un champ situé derrière le stade de football municipal « de la mine », dont le symbole est le carreau.
L’édile anticipe déjà des retombées économiques comme à Bure, en Meuse, le département voisin, où le site d’enfouissement de déchets nucléaires dit Cigéo a permis de construire « des gymnases pour toutes les communes aux alentours et des routes nickel », mais aussi l’intérêt de grands industriels, avec de potentiels emplois à la clé. « Tous les loups vont venir, même Total. Ça va intéresser tout le monde. On a déjà des industriels qui spéculent sur comment ils peuvent récupérer ce site. Renault s’y intéresse beaucoup », affirme le maire.
Il voit bien, aussi, l’intérêt que suscite l’hydrogène chez ses administrés. « Les familles d’anciens mineurs restent très informées. Elles savent que la Française de l’énergie [une entreprise spécialisée dans l’exploitation de gaz de charbon en Lorraine] est tombée sur de l’hydrogène par hasard, en cherchant du méthane. Ils anticipent déjà le coup d’après et pensent qu’on va être riches. »
Dans ce département meurtri par la désindustrialisation, Didier Zimny rêve d’un avenir radieux : « C’est peut-être l’occasion de renaître de nos cendres, comme le phénix. » De quoi faire rêver une municipalité où le taux de pauvreté atteint les 25 % et le taux de chômage 19,6 %.
« Tout simplement énorme »
Pour découvrir ce qui suscite un tel engouement, il faut se rendre à la sortie de la ville et suivre une piste caillouteuse, cachée derrière une zone artisanale et le stade municipal. Arrivés dans un champ, derrière une grille, on aperçoit un conteneur de stockage métallique, bleu et jaune, qui tranche avec le vert des pâturages. C’est dans cette simple boîte en tôle de 15 m2 que se joue, peut-être, l’avenir de la région.
À l’intérieur, des instruments de mesure, une armoire pleine de capteurs, des câbles jaune et orange et un enrouleur qui permet de descendre une sonde par un trou d’à peine quelques centimètres. Celle-ci a été malicieusement baptisée « GH2asbusters » par son inventeur. Une référence au film Ghostbusters, qui raconte les aventures de chasseurs de fantômes. Ici, on traque du gaz (H2 est le symbole du dihydrogène) bien réel et qui suscite des attentes tout autant fantastiques que dans le film.
« On a trouvé une énergie pure, de l’hydrogène à l’état naturel »
« Cet équipement permet de mesurer des choses qui n’avaient jamais été observées auparavant. Ça nous a pris vingt ans pour le développer », explique Médéric Piedevache, le directeur de l’entreprise nancéienne Solexperts qui a inventé Sysmog, le nom officiel de la sonde. Grâce à elle, capable de mesurer la présence des différents gaz à plusieurs centaines de mètres sous la terre, y compris quand ils sont présents dans l’eau, « on a trouvé une énergie pure, de l’hydrogène à l’état naturel, c’est ça qui est révolutionnaire. On ne pensait pas qu’il pouvait y avoir de telles quantités d’hydrogène dans l’eau », raconte, émerveillé, Médéric Piedevache.
Ces travaux de sondage, dans le cadre du projet Regalor [1], cherchaient du méthane dans les anciennes veines de charbon. À 1 200 mètres sous terre, c’est un véritable or blanc qui est apparu : « Il n’y a pas d’équivalent au monde de ce que l’on a trouvé », explique Jacques Pironon, l’un des deux chercheurs du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) qui supervise ce projet avec l’université de Lorraine. Veste de chantier orange fluo sur le dos floquée « GeoRessources », du nom du laboratoire de recherche auquel il appartient, Philippe de Donato poursuit : « On a trouvé 20 % d’hydrogène dans le mélange gazeux à 1 200 mètres de profondeur. C’est tout simplement énorme. »
Les deux scientifiques ont fait un rapide calcul en fonction de la superficie de la zone de recherche : « On projette un potentiel de 250 millions de tonnes d’hydrogène en hypothèse haute et 34,6 millions en hypothèse basse. » Des chiffres pharaoniques : la production mondiale n’est que de 80 millions de tonnes. Mais les perspectives de production sont régulièrement revues à la baisse, comme si les annonces euphoriques du départ se dégonflaient peu à peu. 95 % de l’hydrogène est actuellement fabriqué avec des énergies fossiles, hautement émettrices de CO2. Pouvoir remplacer cette énergie carbonée, utilisée pour le raffinage du pétrole et la synthèse de l’ammoniaque, par une énergie propre serait bénéfique, d’autant que l’hydrogène dit « natif » (ou blanc) est directement disponible dans le sous-sol.
Cette découverte fait donc tourner quelques têtes. À commencer par la Française de l’énergie. Cotée en bourse (sur le marché Euronext), l’entreprise spécialisée dans l’exploration des ressources gazières est partie prenante de ce projet de recherche et a bénéficié à ce titre de financements publics (822 000 euros versés par la région Grand Est). Dans un document officiel, l’entreprise basée en Moselle annonce avoir investi 5 millions d’euros. Elle promet à ses potentiels investisseurs une production d’hydrogène naturel de 680 tonnes rapportant chaque année 4,2 millions d’euros et annonce vouloir installer chaque année pendant quatorze ans, entre deux à quatre sites d’extraction sur la concession appelée « bleue Lorraine » qui lui a été attribuée par l’État.
Ce qui inquiète les militants écologistes locaux, qui craignent que la Moselle se transforme en petit Texas français de l’hydrogène. La « Française », comme on l’appelle ici, ne ménage pas sa peine pour allumer des contre-feux : « [Les militants écologistes] sont à peine une dizaine, ça ne nous empêche pas d’avancer, dit Fady Nassif, ingénieur de production de la FDE. On est loin de Bure ou des mobilisations contre l’A69. Nos sites sont petits, maximum 2 hectares. Il n’y a pas d’opposition, car il n’y a pas d’enjeu. Ils peuvent en parler à Greta Thunberg [militante écologiste suédoise], elle ne viendra pas : les gaz de couche, c’est pas cancérigène ! »
Supposer n’est pas prouver
Les couloirs labyrinthiques du Laboratoire énergies et mécanique théorique et appliquée (Lemta), situé près de Nancy, ne sont pas des plus accueillants. Il faut un doctorat en géolocalisation pour trouver le bureau de Giuseppe Sdanghi. Ce jeune Italien reçoit dans un petit bureau. Sur les murs, un article relate avec fierté le titre de champion d’Italie obtenu par Naples après trente-trois ans de disette. Sur un autre, un schéma décrit le processus de l’électrolyse, qui permet de créer de l’hydrogène avec de l’électricité. Ce spécialiste du stockage de l’hydrogène est perplexe : « L’annonce du gisement de Folschviller est importante, mais il faut aussi savoir si cet hydrogène découvert est renouvelable. La formation a-t-elle eu lieu il y a des millions d’années ou le processus se déroule-t-il encore aujourd’hui ? »
Car dans le premier cas de figure, on aurait découvert une énergie stockée dans le sous-sol et dans le second, une source miraculeuse reproductible, donc infinie. Le chercheur poursuit de son accent chantant : « Je vais être honnête : cet enthousiasme général, cette troisième révolution industrielle, je n’y crois pas. On n’aura jamais une énergie 100 % hydrogène. » C’est justement tout l’objet du projet Regalor 2 qui devrait débuter en juin 2024, pour trois nouvelles années de recherche, avec 8 millions d’euros accordés par la région Grand Est. La présence dans le projet d’un partenaire industriel ne laisse aucun doute sur la finalité de cette étude : une exploitation industrielle et commerciale de l’hydrogène.
Giuseppe Sdanghi n’est pas le seul à se montrer sceptique. Les militants écologistes locaux se posent eux aussi beaucoup de questions. Comme Daniel Schwartz, membre de plusieurs associations comme Apel57 ou le Collectif de défense des bassins miniers lorrains. Ancien ingénieur de mine à Forbach, il connaît particulièrement bien le sous-sol mosellan. « Creuser dans cette région, ce n’est pas neutre. Les terrains sont fracturés, c’est très dur de forer proprement. La cimentation [du ciment coulé en coffrage du tube] est médiocre entre le tube utilisé et le terrain, ça crée des fuites de boue. Or, la concession “Bleue Lorraine” se situe là où la nappe phréatique est la plus propre de la région », explique le retraité.
Entre deux bouchées de cordon bleu assis à La Table d’Humerich, où il a ses habitudes, il poursuit : « Un autre forage d’exploration, dans la commune de Lachambre, c’est une catastrophe. Ils ont perdu 6 300 tonnes de boue qui sont allées directement dans la nappe. Moi, je veux bien des projets, mais creusez au moins correctement ! » s’emporte-t-il au dessert. Des critiques balayées par La Française de l’énergie, qui assure que « les nappes phréatiques ne sont pas du tout à la même profondeur (200 m) que la zone de génération d’hydrogène ciblée (3 000 m) ». « Toutes nos études montrent que nous n’avons pas d’impacts environnementaux, sinon la Dreal [Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement] nous aurait arrêtés », affirme Fady Nassif.
Les relations entre les associations et le projet Regalor sont en tout cas tendues depuis plusieurs années. « La Française de l’énergie a attaqué en justice en 2022 une militante d’Apel57 parce qu’elle disait dans une interview que la Moselle allait devenir le Texas. Ils ne rigolent pas ! » dénonce Daniel Schwartz, au moment du café. Une mise en demeure « de cesser des propos diffamatoires » a bien été envoyée à la militante. L’histoire n’est pas allée plus loin. Les chercheurs du projet accusent quant à eux la cofondatrice de l’association Apel57 d’être entrée illégalement sur le site de recherche de Folschviller et d’avoir dégradé du matériel, ce qu’elle dément formellement. Là encore, aucune poursuite n’a été engagée. Folschviller n’est peut-être pas le Texas, mais cette histoire d’hydrogène fait toute même penser à Dallas, le feuilleton télé, et à son univers « impitoyable ».