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« Nous avons été pris par surprise »


18 avril 2024 à 12h49
Mis à jour le 18 avril 2024 à 16h35

Durée de lecture : 4 minutes

Avignon (Vaucluse), reportage

Le fracas des pelleteuses retentit depuis l’ancien corps de ferme. Toutes les entrées du terrain bordé par une rangée de cyprès sont bloquées par la police. De loin seulement, l’on aperçoit des ouvriers débarrasser tables, fauteuils et matelas, des objets qui formaient encore la veille la Barzad, une zone à défendre installée en plein cœur de la ceinture verte, sur les terres fertiles de la périphérie d’Avignon.

Le 17 avril, au petit matin, les occupants de cette maison menacée de démolition par l’État ont été expulsés par les forces de sécurité. Neuf d’entre eux ont été placés en garde à vue et ont été convoqués le 21 juin prochain pour « occupation illégale d’un bâtiment à usage d’habitation ». « Nous avons été pris par surprise, réagit encore abasourdi Gabriel, membre du collectif Pour une autre mobilité à Avignon (Puma), qui lutte contre le projet routier de Liaison Est-Ouest d’Avignon (LEO). Sinon, nous aurions été plus nombreux à faire bloc pour défendre les lieux. »

« Une zad, c’est politique et une politique qui dérange ! »

La bâtisse est située sur le tracé du tronçon n° 2 de la LEO, projet ayant pour maîtresse d’ouvrage la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal). Elle était occupée depuis le 7 mars à l’appel d’associations locales qui luttent contre cette 2×2 voies de 15 km menaçant d’artificialiser 51 hectares de terres agricoles. Sur les murs, des inscriptions : « Bienvenue à la Barzad », « Paix et amour », « Zad partout ». En quelques jours à peine, la zad était bien installée : les parcelles attenantes ont été mises en culture, des projections, des débats, des ateliers et des fêtes organisés. « Une famille avec deux enfants sans logement a même trouvé refuge ici depuis plusieurs jours », décrit Kristell, du collectif Puma.

D’après la militante très engagée contre la LEO, ils étaient une vingtaine d’occupants quand les forces de sécurité sont intervenues sans crier gare. « Aucun avis d’expulsion n’a été déposé. Pourtant d’autres maisons alentour appartenant à l’État sont également squattées sans pour autant provoquer une telle intervention policière. »

Lors de l’expulsion de la Barzad, le 17 avril 2024.
© Estelle Pereira / Reporterre

La préfecture du Vaucluse justifie cette opération par la mise en sécurité du site. « Si l’opposition au projet LEO est parfaitement légitime, elle ne saurait justifier des actions d’occupations illégales qui sont autant d’atteintes aux droits de la propriété et à la légalité », dit le communiqué de presse publié quelques heures après l’intervention policière.

Pour Robert Rippert, agriculteur membre de l’Association de sauvegarde de la ceinture verte d’Avignon (Ascva), ce zèle de l’État n’est pas étranger aux activités militantes de la zad. « Une zad, c’est politique et une politique qui dérange ! » Cela fait des années que le producteur de salades, pastèques et concombres sur 20 hectares se bat pour préserver les terres et le bâti agricoles le long de la Durance contre ce projet « d’un autre temps ».

Vers un « déni de démocratie » ?

Imaginée dans les années 90, la LEO a été déclarée d’utilité publique en 2003. Les expropriations ont lieu en 2013. Puis le projet a été relancé en 2021 par Jean Castex, alors Premier ministre, aujourd’hui président de l’Agence de financements des infrastructures de transport en France, qui a promis l’octroi d’un financement de 142,7 millions d’euros par l’État, soit 40 % du budget. Un accord a été trouvé avec les cofinanceurs : la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca), les départements des Bouches-du-Rhône, du Vaucluse et la communauté d’agglomération du Grand Avignon, Terre de Provence.

L’autorisation environnementale, permettant le début des travaux, a été publiée le 31 mai 2021. Immédiatement, les associations dont France Nature Environnement (FNE) Paca et la Confédération paysanne du Vaucluse ont déposé un recours devant le tribunal administratif, pointant la faiblesse de l’étude d’impact du projet et le manque de concertation — la consultation du public s’est faite uniquement en ligne, Covid oblige. « L’État retire son autorisation et depuis le projet est en stand-by », décrit Robert Rippert.

L’agriculteur Robert Rippert milite depuis les années 90 pour la préservation des terres agricoles dans la ceinture verte d’Avignon.
© Estelle Pereira / Reporterre

Récemment, le conseil départemental du Vaucluse a suspendu sa participation financière à la phase 2 du projet LEO, ainsi que l’agglomération d’Avignon. « Si l’État s’obstine, c’est un déni de démocratie et écologique », réagit Kristell.

Ce rétropédalage des collectivités locales n’a pas empêché l’État, le 10 avril dernier, d’inclure le contournement sud d’Avignon dans de la liste des 167 projets exclus des objectifs de zéro artificialisation nette (ZAN). Cette loi prévoit que d’ici 2031 chaque région ait divisé par deux la quantité d’hectares bétonnés.



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