• ven. Mai 3rd, 2024

Des squats à la libération animale, Bérurier noir ouvre ses archives


Paris, reportage

On les connaissait déjà farouchement engagés contre l’extrême droite, les violences policières et le racisme. Fin février, deux membres de l’ancien groupe de punk Bérurier noir ont mis en lumière une autre facette, plus discrète, de leur activisme : leur attachement aux enjeux écologiques.

Lors de l’inauguration d’une exposition de leurs archives, qui se tient jusqu’au 28 avril à la Bibliothèque nationale de France (BnF), à Paris, François Guillemot (à l’époque chanteur du groupe, surnommé Fanfan) et Tomas Heuer (saxophoniste, appelé Masto) ont déclamé un manifeste — sorte de liste d’actions à entreprendre pour bâtir un nouveau monde plus désirable. Parmi leurs doléances, les musiciens ont cité pêle-mêle « l’organisation écologique de la production culturelle », l’ouverture « de jardins ouvriers dans toutes les villes », ou encore la promotion « d’une agriculture qui respecte la Terre et les animaux ».

Photomatons des membres du groupe Bérurier noir ayant servi à la composition de la pochette de l’album Abracadaboum ! sorti en 1987. Fonds / Collection Heuer, Tomas (a.k.a mastO)
© Élie Ludwig / BnF

« C’était moins un enjeu pour nous à l’époque du groupe [Bérurier noir a été actif principalement de 1983 à 1989]. On était surtout choqués et animés par les questions politiques, sociales et humanistes », reconnaît aujourd’hui Tomas Heuer. Avec la disparition de la biodiversité, l’accélération du changement climatique et le constat que ces phénomènes menacent surtout les plus précaires, les membres se sont emparés de ces sujets ces dernières années.

Libération animale et squats

« Au sein du mouvement alternatif dans les années 1980, on a très vite été accrochés par des écologistes purs et durs. Je me souviens d’une fille qui était venue nous voir, elle était dans les mouvements de défense contre la torture animale », témoigne François Guillemot. Un de leurs amis, Helno (un ancien membre du groupe Les Négresses vertes), avait également recueilli un singe libéré d’un laboratoire d’expérimentation animale. C’est d’ailleurs ce primate, prénommé Bloody, qu’on entend dans la chanson « Nada 84 » de Bérurier noir, et qui pose sur la pochette du 45 tours.

« Dès 1984, on avait cette démarche de montrer que la souffrance animale devrait être prise en compte. Ce n’était peut-être pas aussi explicite dans les textes, mais l’atteinte à la nature et aux espèces animales nous a touchés assez rapidement », poursuit François Guillemot.

Un ami des Bérus, Helno, avait recueilli un singe libéré d’un laboratoire d’expérimentation animale. C’est lui, Bloody, qui figure sur la photo du vinyle Nada 84.
Artwork : Mathilde (photos) et Laul (illustrations)

D’après l’ancien guitariste du groupe Laurent Katrakazos, dit Loran (qui a refusé de donner ses archives à la BnF estimant qu’il s’agit d’une structure étatique) la mouvance anarchopunk était dans les années 1980 une « continuité » du mouvement hippie écolo des sixties.

« Pour ma part, ma vision de l’écologie a commencé avec les squats, explique-t-il. On squattait dans les villes parce que c’est inadmissible qu’il y ait des endroits vides alors que des familles entières n’arrivent pas à se loger. Contrairement à ce que dit l’État, ce n’est pas un délit de squatter, c’est de l’écologie. C’est utiliser les choses qui sont là au lieu d’en reconstruire d’autres, au lieu de faire marcher une industrie infernale qui nous détruit à petit feu. »

« L’atteinte à la nature et aux animaux nous a touchés assez rapidement »

 

Le sociologue Fabien Hein écrit dans Penser avec le punk (PUF, 2022) que la contre-culture punk a exercé ces quarante dernières années « une influence considérable dans la diffusion d’idées et de pratiques en matières politique et écologique », de la création de zones autonomes temporaires urbaines à la recherche de l’autosuffisance collective en milieu rural.

Laurent Katrakazos raconte justement qu’avec le temps, « les Bérus » ont apprécié quitter les villes, le béton et la crasse, pour occuper des lieux en campagne. « On s’est rendu compte qu’on pouvait expérimenter plein de façons de faire des jardins autrement », dit-il. Lui-même a vécu treize ans « dans une communauté de hippies » autogérée dans la montagne, à la dissolution de Bérurier noir.

Jeunesse fataliste

Nous voilà désormais trente-cinq ans après les concerts d’adieu du groupe à l’Olympia, et les effets du changement climatique ne cessent de s’amplifier chaque jour. « Ce sont des enjeux énormes qui nous attendent. Il faut que la jeunesse gueule », estime François Guillemot. Il poursuit : « Le but de cette exposition à la BnF [constituée de photos et vidéos d’époque, de dessins, fanzines, carnets, costumes…] est de montrer comment des gamins entre 15 et 25 ans peuvent s’autoorganiser, prendre la parole sur le monde, et essayer de bouger à son petit niveau. »

Or les musiciens constatent qu’il y a peut-être moins de rage dans la jeunesse française actuelle qu’à leur époque. « Je ressens un fatalisme de leur part, et ça me fait vraiment mal, analyse Tomas Heuer. Nous, on n’avait pas ce truc-là, on était révoltés, on s’engageait. On était parfois perdus, c’est vrai, mais on ne se laissait pas faire ! Je pense qu’il y a quelque chose qu’il faut soigner. »

Une guérison qui devrait passer, suggère-t-il, par l’ouverture de lieux culturels autogérés par et pour la jeunesse, afin de les détourner des réseaux sociaux, qui habituent à la résignation. Qui « dévitalisent », pense même Tomas Heuer.

« Toutes les initiatives autonomes sont bonnes à défendre »

« L’avenir repose sur les jeunes générations comme Greta Thunberg et d’autres. Les choses bougent, on verra sûrement bientôt une femme révolutionnaire sud-américaine, africaine ou asiatique surgir pour se faire entendre », espère François Guillemot.

De son côté, Laurent Katrakazos félicite les jeunes qui installent des zad sur des zones sensibles en France, ou occupent des mines de charbon en Allemagne. « Ce sont des héros du peuple, affirme-t-il. Ce n’est pas normal de les matraquer et les comparer à des terroristes. Les terroristes sont les industriels qui détruisent les conditions de vie sur la planète. »

Futur sombre ou résistance

Le guitariste dénonce aussi la répression policière « inadmissible » qui s’est abattue sur les militants opposés aux bassines, à Sainte-Soline (Deux-Sèvres). Sa fille était justement présente ce jour-là. « Des gens, des familles ont pris du temps pour venir marcher, pour s’opposer symboliquement au pompage de l’eau dans la nappe phréatique. C’est atroce ce qui s’est passé, ça montre le visage de l’État, et on réagit très peu pourtant. »

Il faut l’admettre : l’avenir est sombre, morose, entre l’urgence climatique, l’autoritarisme ambiant – le Premier ministre a présenté le 18 avril un plan pour replacer « l’autorité au cœur de la République » – et la montée de l’extrême droite. Bérurier noir chantait « La jeunesse emmerde le Front national » dès le milieu des années 1980, quand le parti d’extrême droite ne recueillait « que » 10 % des voix. Or le Rassemblement national est aujourd’hui crédité de 30 % des voix pour les élections européennes du mois de juin, selon les sondages. « On est arrivé insidieusement à une normalité de ces pensées immondes », regrette Tomas Heuer.

Ticket et affiche promotionnelle.
© Élie Ludwig / BnF

« Les jeunes d’aujourd’hui sont face à des murs compliqués. Soit ils iront vers un repli identitaire, soit ils voudront repenser l’ordre planétaire », prévoit François Guillemot. Avec une préférence pour la seconde option.

« C’est aux citoyens de se prendre en charge pour faire face à ces enjeux, il faut arrêter de croire que l’État va agir », ajoute Laurent Katrakazos. « Toutes les initiatives autonomes sont bonnes à défendre, et doivent l’être, pense aussi Tomas Heuer. Aujourd’hui, c’est là que se passent les choses belles et pertinentes entre les gens. » Une énième influence du mouvement punk sur le monde.



Source link

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *