• mer. Oct 2nd, 2024

Les Climatosportifs, ce collectif d’athlètes qui veut verdir le sport


« Je suis végétarien, j’ai acheté mes chaussures d’occasion et j’ai fait top 16 aux derniers championnats de France en salle, sur 200 mètres. » Mathéo Gabon, 27 ans, porte ses résultats d’athlète de haut niveau en étendard. « La preuve par la performance est plus efficace qu’un long discours écologiste. »

Le sport comme levier de prise de conscience écologique ? Le jeune homme est convaincu du potentiel de la démarche. Avec ses deux acolytes, Amélie Clerc et Younès Nezar, ils ont cofondé fin 2023 le collectif des Climatosportifs. Nous les avons rencontrés, le 20 avril, la veille d’une série de tables rondes qu’ils organisaient à l’Académie du climat, à Paris. L’occasion pour eux de présenter leurs manchettes aux couleurs des « warming stripes », ces bandes de couleurs illustrant le réchauffement du climat depuis le début de l’ère industrielle.

« On inspire plus confiance que des militants classiques »

« En passant par le sport, la passion des gens, plutôt que par des conférences austères, on veut casser la bulle sociale de l’écologie, attirer des classes plus populaires, moins concernées par ces questions. Comme sportifs de haut niveau, on peut inspirer davantage confiance chez certaines personnes que des militants écolos classiques », espère Younès Nezar.

Une « charte pour un sportif responsable »

Lui aussi court vite. À 26 ans, il est actuellement dans le top 50 des sprinteurs français sur 100 mètres. Autres points communs avec Mathéo : tous deux ont suivi une formation d’ingénieur et la mettent au service de la transition écologique. Younès dans le secteur de la santé et Mathéo dans celui de la construction. Ils partagent également une colocation, à deux pas du stade d’athlétisme de leur club de Vincennes.

Pour Mathéo, l’écologie est une évidence. Originaire de Guadeloupe, il y a été confronté aux enjeux cruciaux liés à l’eau, à la biodiversité ou aux effets du changement climatique. Pour Younès, la prise de conscience fut beaucoup plus brutale. En formation, à Centrale Supélec, il a reçu en pleine face les messages sur l’urgence écologique, notamment au moment de la venue du médiatique ingénieur Jean-Marc Jancovici à l’école, puis du rédacteur en chef de la revue scientifique Nature. L’écoanxiété l’a mené à une sévère dépression qui l’a poussé à quitter son premier travail et à chercher une manière d’agir autrement.

L’écoanxiété le mène à une sévère dépression qui le pousse à quitter son premier travail et à chercher une manière d’agir autrement.
© NnoMan Cadoret / Reporterre

La réponse est venue avec l’aide d’Amélie Clerc. Elle sortait alors d’études en sciences sociales. « Ma prise de conscience est d’abord celle des injustices sociales et des déficiences sociales de notre système économique. L’écologie s’est ensuite imposée, en creusant les alternatives au consumérisme et à notre rapport au travail », dit-elle. À 27 ans, elle est déjà rodée au militantisme, ayant activement contribué à la création du collectif étudiant Pour un réveil écologique.

Escrimeuse, elle refuse l’étiquette de « sportive de haut niveau », bien que sa passion pour le sport lui prenne plus de dix heures par semaine. C’est au cours d’un atelier consacré au sport, au sein du Shift Project — groupe de réflexion créé par M. Jancovici — qu’elle a rencontré Younès et Mathéo. Ils ont fondé ensemble leur collectif et ont lancé un premier projet : une « charte pour un sportif responsable ».

Dépendance aux sponsors

Car leur but est de changer le sport de l’intérieur. Pour convaincre par l’exemple, encore faut-il être exemplaire, ce qui est loin d’être évident tant la culture de la plupart des fédérations est éloignée des enjeux écologiques : voyages en avion de compétition en compétition, remplacement incessant du matériel, la viande présentée comme un impératif alimentaire… « J’ai été confronté dans beaucoup de clubs à ce décalage total avec nos préoccupations », soupire Mathéo.

L’inertie est d’autant plus forte qu’une certaine omerta règne sur ces sujets, d’après les trois athlètes. Un sportif de haut niveau qui ne prend pas l’avion risque d’être pénalisé en étant privé d’une partie des compétitions qualificatives pour les grands évènements. La surfeuse Ainhoa Leiceaga a annoncé le mois dernier renoncer en raison du bilan carbone aux futures épreuves en outremer, tout en assumant en subir les conséquences sportives. L’an dernier, plus d’une centaine de skieurs signaient une lettre pour demander à la fédération internationale de ski d’intensifier ses efforts écologiques.

« La plupart des sportifs sont précaires »

Ces initiatives restent minoritaires et préjudiciables pour les sportifs. La question des sponsors n’est également jamais très loin et pointe les limites structurelles à la durabilité du sport de haut niveau. « Il ne faut pas oublier que la plupart des sportifs sont précaires. Boycotter ou se priver d’un sponsor, cela signifie pour beaucoup renoncer à des équipements ou des soins et donc être impacté dans ses performances », souligne Mathéo.

« Ma prise de conscience est d’abord celle des injustices sociales et des déficiences sociales de notre système économique. L’écologie s’est ensuite imposée, en creusant les alternatives au consumérisme et à notre rapport au travail. »
© NnoMan Cadoret / Reporterre

Quant aux sportifs stars, ceux qui ont un réel pouvoir d’influence culturelle sur la société, ils sont eux-mêmes engoncés dans leurs contradictions. « On a parlé avec des handballeurs ou perchistes très connus. Beaucoup ont peur du retour de leurs fans ou de leurs sponsors. Ils se sentent aussi illégitimes : quand on reçoit cinq cartons de vêtements par mois de la part d’un sponsor, c’est compliqué de parler de sobriété », raconte Younès.

D’où l’idée, avec cette charte, d’agir collectivement et de montrer qu’une demande forte existe au sein de la communauté sportive, d’envoyer un signal aux fédérations. Pour l’instant, les climatosportifs ont engrangé une quarantaine de signatures. Ils espèrent gagner en notoriété dans les prochains mois, à l’approche des Jeux olympiques parisiens.

Relocaliser le sport

Les JO, justement, cristallisent les contradictions entre l’écologie et le sport, tel qu’il est mis en avant. « On est plutôt contre ces méga évènements comme les JO. Ils ont toujours un fort impact écologique et social, il faudrait les réinventer. On ne va pas les boycotter, mais pousser les athlètes à se positionner serait un acte fort », admet Younès.

Le gigantisme et le bilan carbone des déplacements engendrés par ces grand-messes internationales semblent difficilement compatibles avec un modèle de société durable. Faudrait-il alors revendiquer l’émergence d’une culture sportive radicalement relocalisée et démarchandisée ?

Le collectif assure cogiter sur ces questions. Et réfléchir sur ce à quoi il faudrait être prêt à renoncer. « Le sport se vit d’abord comme pratique. Et comme spectateur, on peut prendre beaucoup plus de plaisir à voir la remontada des potes, au stade du club local, qu’à suivre des inconnus à la télé », plaide ainsi Amélie.

Lire aussi : Des compétitions sportives plus écolos, c’est possible ?

Dans la crise systémique de l’Anthropocène, dans la manière dont l’urgence écologique remet en cause chaque facette de notre rapport au monde, le sport est également ébranlé dans ses valeurs les plus fondamentales. La quête de performance, de rapidité, de compétition, et la fameuse devise olympique « plus vite, plus haut, plus fort » s’accordent davantage à une vision capitaliste, voire transhumaniste, du monde, qu’à une bifurcation décroissante vers laquelle il faudrait pourtant s’orienter.

« Nos compétitions d’athlétisme n’existeraient pas sans les bénévoles. Le sport rejoint la question sociale, et notamment celle du temps libre », appuie Younès.
© NnoMan Cadoret / Reporterre

Sensibilisation des champions

Lorsqu’on lui oppose ce constat, le jeune collectif fait preuve d’une réflexion déjà mature et étoffée. « Il faut questionner l’outrance, lorsque ces valeurs de performance nourrissent l’accélérationnisme dont parle le philosophe Hartmut Rosa. Mais les valeurs du sport amateur, dans le partage, la camaraderie, sont à mettre en avant », dit Amélie. « Nos compétitions d’athlétisme n’existeraient pas sans les bénévoles, et notamment les retraités. Le sport rejoint la question sociale, et notamment celle du temps libre », appuie Younès.

« Le sport rejoint la question sociale, et notamment celle du temps libre »

À quelques semaines des JO de Paris, le sport est encore loin d’être un emblème d’activité décroissante. Les « climatosportifs », eux, comptent bien accroître leur travail de terrain et leurs ateliers de sensibilisation, dans les clubs amateurs et, si possible, auprès des champions. « La pureté n’existe pas, on a tous nos dissonances cognitives, rappelle Mathéo. À défaut d’arrêter l’avion, si les grands champions qui influencent les gens pouvaient arrêter de s’en vanter, ce serait déjà une bonne première étape. »



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