• lun. Mai 6th, 2024

Six raisons pour lesquelles les JO ne seront pas écolos


Le 23 avril, Christophe Béchu avait pris ses airs de coach sportif : « Nous allons faire des Jeux qui laisseront un héritage écologique au pays », a-t-il assuré, la mine résolue. Venu à Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne) pour inaugurer une station de dépollution des eaux pluviales, le ministre a longuement vanté les vertus environnementales des prochains Jeux olympiques (JO). Cyclables, 100 % renouvelables, zéro plastique… à en croire le gouvernement, les JO de Paris vont même « accélérer la transition écologique ». Vraiment ? Reporterre fait le point.

1. Un bilan carbone plus lourd que prévu

Dès 2021, le gouvernement l’affirmait : ces Jeux devaient être les premiers à « contribution positive pour le climat ». En clair, Paris 2024 s’apprêtait à aller « plus loin » que la neutralité carbone en compensant plus d’émissions de gaz à effet de serre que celles émises par l’événement. Cette référence a été, depuis, abandonnée.

L’ambition est désormais de « diviser par deux l’empreinte carbone des Jeux », à l’aune des éditions précédentes : 3,6 millions de tonnes équivalent CO2 (tCO2) pour Rio (2016), 3,4 pour Londres (2012) et 1,9 pour Tokyo en 2021, en pleine pandémie de Covid-19. Paris s’est donc fixé — et Christophe Béchu l’a rappelé à Champigny-sur-Marne — un « budget » de 1,5 million de tonnes à ne pas dépasser, et à compenser.

Un « leurre »

Oui mais voilà, les experts sont plus sceptiques. Le 15 avril, l’ONG Carbon Market Watch publiait un rapport détaillé sur le sujet. Résultat : « L’empreinte carbone des Jeux olympiques reste bien trop élevée pour être durable », jugeait-elle. Paris-2024 prévoit l’émission de quelque 1,58 million de tonnes équivalent CO2. Un objectif qui « semble à première vue ambitieux » et « difficile à vérifier », met en garde l’ONG. Pour elle, la stratégie climatique des organisateurs demeure « incomplète » et « manque de transparence ».

Quant à l’objectif de compensation, Jérôme Santolini, coordinateur du collectif Scientifiques en rébellion, n’hésitait pas à parler de « leurre » permettant aux instances sportives de continuer à polluer. 

2. Des Jeux « cyclables »… mais surtout aériens

Les JO 2024 veulent marquer l’avènement d’une « mobilité durable » : « 100 % des sites de compétition seront accessibles en transports en commun, 415 kilomètres de voies cyclables relieront les sites olympiques [dont 120 km créés pour les Jeux] », indique ainsi le ministère de la Transition écologique.

Reste un hic, de taille : l’avion. Les émissions de gaz à effet de serre de ce type de compétition explosent principalement en raison des déplacements aériens des spectateurs. Or c’est là où les organisateurs ont le moins de prise. Selon le département sud-africain de l’Environnement, 65 % des émissions du mondial de football en Afrique du Sud, en 2010, étaient liées aux vols internationaux.

Plus de 15 millions de personnes sont attendues aux olympiades à Paris, dont environ 12 % venant de l’étranger, soit près de 2 millions.

Les JO parisiens, vus par le comité d’organisation.
© Paris 2024

Le Groupe ADP, qui gère les aéroports de Roissy, Orly et du Bourget, fait partie du cercle des partenaires de Paris 2024 et compte bien profiter des Jeux pour faire le plein. Les célèbres anneaux olympiques ont été inaugurés le 23 avril à l’Aéroport Paris-Charles de Gaulle. « À moins de 100 jours des Jeux, nous ouvrons ainsi grand les portes aux voyageurs internationaux et aux athlètes qui arriveront bientôt en nombre à Paris », s’est félicité le compte officiel de la compétition.

3. Des infrastructures écolos…. sauf quelques-unes

C’est l’un des principaux atouts écolos de Paris 2024 : la France disposait déjà d’enceintes sportives susceptibles d’accueillir les compétitions, et le nombre de constructions a ainsi pu être limité. 95 % des sites existaient déjà ou seront temporaires, et une seule structure pérenne a été nécessaire par épreuve, le centre aquatique à Saint-Denis, contre 6 à Londres et 9 à Rio et Tokyo. Les autres structures seront démontées après la compétition.

Cela n’a pas empêché l’accélération des projets de destruction et de pollution, notamment en Seine-Saint-Denis ou dans le Val-d’Oise. Une partie des jardins ouvriers d’Aubervilliers a été rasée, au grand dam de leurs occupants, pour construire une piscine d’entraînement et un solarium — chantier jugé illégal après une lutte intense.

Le chantier de la piscine olympique d’Aubervilliers en février 2022.
© NnoMan Cadoret/Reporterre

À Taverny, dans le Val-d’Oise, le chantier d’une piscine olympique a détruit 30 000 m² d’espaces verts. À Élancourt, dans les Yvelines, des arbres ont été abattus pour une piste de VTT. À Dugny, le département de Seine-Saint-Denis a cédé une parcelle du parc Georges Valbon à la Solideo pour y construire le village des médias des JO 2024.

Ces sacrifices olympiques ne se limitent pas à la région parisienne. À Tahiti, où se dérouleront les compétitions de surf, le Comité olympique fait construire une tour en aluminium en pleine mer pour accueillir le jury, en remplacement d’une tour en bois qui ne respectait plus les normes. Problème : elle est érigée en plein dans un écosystème corallien fragile, celui de Teahupoo. Après avoir retardé les travaux, la mobilisation des citoyens, dont des champions polynésiens, a échoué. La livraison de la tour est prévue le 13 mai.

4. Améliorer la qualité de l’eau ? Un défi ambitieux

Promesse phare de cet événement, la dépollution de la Seine et la Marne, en vue d’y tenir les compétitions de nage en eau vive et de triathlon. Les autorités défendent « un plan ambitieux pour améliorer la qualité de l’eau » au bénéfice de tous. Un programme audacieux, mais qui ne fait pas l’unanimité chez les écolos.

La Seine est régulièrement contaminée par des bactéries fécales pouvant provoquer diarrhées et vomissements.
© Mathieu Génon / Reporterre

« Nettoyage chimique » nocif dans les stations d’épuration, béton à gogo pour créer de nouveaux bassins de stockage… « Avec ces moyens [1,4 milliard d’euros ont été investis pour le plan baignade], on aurait pu imaginer des mesures plus vertueuses, regrettait Jean-Claude Oliva, de la coordination Eau Île-de-France. Comme une politique ambitieuse d’infiltration des eaux de pluie dans les sols, en désimperméabilisant, en multipliant des toitures végétalisées… »

Sans compter que, malgré les efforts soutenus des collectivités, il n’est pas certain que la baignade pour tous soit possible l’an prochain, comme l’a promis le gouvernement.

5. Des JO « sans plastique », vraiment ?

Zéro plastique à usage unique. C’était l’un des engagements premiers des organisateurs. Imaginez, aucune bouteille en plastique à l’horizon ; tous les athlètes et spectateurs munis de leur gourde ; des gobelets réutilisables dans les bars ; de la vente en vrac dans les magasins…

Ne rêvez pas trop, l’objectif a depuis été revu à la baisse. Désormais, le gouvernement parle d’un événement « sans plastique à usage unique », en vantant principalement l’installation de fontaines, en vue de servir 12 millions de boissons. Sans plus de détails pour le moment.

6. Derrière les Olympiades, la casse sociale

Les JO, une opportunité ? Visiblement, pas pour tout le monde. Depuis l’automne, des ONG dénoncent une intensification des expulsions de personnes à la rue. Un « nettoyage social », décrit Libération, qui voit marginaux, réfugiés, sans-papiers et travailleuses et travailleurs du sexe repoussés hors de la capitale.

Dans une enquête très documentée, la journaliste de Mediapart Jade Lindgaard a également montré comment les habitants de Seine-Saint-Denis sont les laissés-pour-compte de cet événement. Précaires, pauvres, racisés dans leur majorité, ce sont les recalés de l’« extractivisme olympique », ce rouleau compresseur « qui efface la mémoire des quartiers remaniés, chasse les plus précaires, uniformise l’espace public avec les mêmes enseignes commerciales, bétonne ». Et conduit au bout du compte à « remplace[r] une population par une autre ».

« Cette ivresse de la performance, il faut la soigner »

Dernier point et non des moindres, ces JO verront le déploiement massif de caméras, drones et policiers pour surveiller Paris. Des mesures d’exception qui risquent de perdurer longtemps après la compétition.

Au-delà des effets délétères de cette compétition sur le territoire hexagonal, la compétition sportive ne porte-t-elle pas aussi une vision toute productiviste ? La devise des Jeux olympiques, « Plus vite, plus haut, plus fort », est révélatrice d’une valorisation à outrance de la performance. « Les affinités avec l’idéologie libérale qui prône la compétition de tous.tes contre tous.tes dans le monde du travail ne sont pas difficiles à établir », remarque le collectif Saccage 2024, qui s’oppose aux « saccages écologiques et sociaux » que provoquent les JO.

Dans une série de podcasts de France Culture « Le revers de la médaille », l’athlète Emma Oudiou interroge cette logique qui détruit les corps des sportifs. « Pourquoi vouloir battre toujours des records ? Se sentir au-dessus ? s’interroge l’ancienne membre de l’équipe de France d’athlétisme, qui a renoncé à Paris 2024 après une dépression sévère. […] Il faudrait toutes et tous se calmer, faire moins, faire mieux, faire plus lentement et, cette ivresse de la performance, il faut la soigner. »





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