Luiz Inácio Lula da Silva est un personnage simple en apparence mais complexe en substance. Sous sa barbe blanche, ses fossettes et son sourire aux dents refaites, le président brésilien cache bien des secrets, voire quelques vices. Vices de forme, pour sa libération de prison, ou encore des vices de caractère, comme la radicalité de ses opinions ou ce penchant totalitaire qui germe en lui. Ouvrier métallurgiste, syndicaliste puis chef de parti sous la dictature, avant de devenir président socialiste du Brésil, Lula a horreur des putschs. Mais l’invasion du Congrès national en janvier 2023 par les partisans de Bolsonaro encore plus que celle qui lui a valu des séjours en prison. Quitte à devenir lui-même un maréchal.
Jeune, Lula n’adhère à aucun parti politique. Il jongle entre les petits boulots pour échapper à la misère. Le voici vendeur à la criée, cireur de chaussures, livreur … et quand il décroche son premier emploi, comme téléphoniste, il est jugé timide pour le poste. A 15 ans, il suit des cours et devient métallurgiste. Il est embauché en 1964 pour un travail de nuit, durant lequel il se sectionne un doigt. Pas le choix, il doit se faire amputer de son auriculaire gauche. Les indemnisations lui permettent de s’offrir un terrain dans la banlieue de Sao Paulo.
La barbe blanche ne fait pas Noël
Malgré quelques participations à des mouvements de grève, Lula da Silva est peu politisé. Peu après la mort de sa femme en couche, il s’engage dans l’action syndicale. Après avoir varié les emplois, il devient ouvrier et adhère officiellement, en 1967, au Syndicat de la métallurgie. Le timide téléphoniste est désormais un bon orateur haranguant les foules. Charismatique, il devient en 1975 président du Syndicat de la métallurgie, dont il conduit les grèves.
Il devient une des figures du syndicalisme Brésilien et son engagement lui vaut de nombreux séjours en prison sous la dictature militaire du maréchal Castelo Branco. Il s’engage pleinement dans la politique et fonde le Parti des Travailleurs (PT) en 1980. Au fil des ans et face aux gouvernements successifs entre 1989 et 1999, Lula, entre-temps député et figure de l’opposition de gauche, se montre très radical sur de nombreuses questions économico-sociales, échouant à trois reprises à se faire élire président du Brésil, en 1989, en 1994 et 1998.
La quatrième sera la bonne. Pas sans compromis de la part du PT qui modère son discours. En octobre 2002, il est élu président du Brésil. L’ancien syndicaliste est obligé de se soumettre au Fonds monétaire international (FMI) et suscite la colère au sein du PT ainsi que dans la classe sociale. Une fois les objectifs fixés par le FMI atteint, l’économie se reprend, avec une hausse de la production industrielle et la baisse du chômage.
Il instaure les allocations familiales pour lutter contre la pauvreté, lance les “pharmacies populaires” et le programme “Faim zéro”. Il initie également un programme d’aides au logement. Sous sa présidence, une trentaine de millions de Brésiliens sont sortis de la pauvreté et la malnutrition a reculé de 70%. Sur la scène internationale, il rompt l’alignement traditionnel de Brasilia sur Washington et se tourne vers les pays du Sud.
Son bilan est jugé positif et sans surprise, Lula da Silva est élu pour un second mandat, malgré le scandale du “mensalão” en 2005, la crise la plus grave depuis son arrivée au pouvoir. Le scandale de corruption vise sa formation, le PT, qui se qualifiait jusque-là comme le champion de l’éthique dans un pays où les pots-de-vin font la loi. Le parti est accusé par un député de payer depuis 2003 une mensualité (le mensalão) à des parlementaires d’autres partis pour qu’ils votent en faveur des projets de loi du gouvernement de Lula.
Corruptible, corrupteur ou corrompu ?
Lula, qui affirme ne rien savoir de cette pratique, a ordonné une enquête et la direction du parti est poussée à la démission. Il s’en sort bien mais ses déboires avec la justice finiront par revenir. A son départ en 2011, remplacé par Dilma Rousseff, le président sortant est pointé du doigt pour sa politique sociale. Les Brésiliens découvrent le revers de la médaille. Certes, il a réussi à réduire sensiblement la pauvreté à l’aide d’allocations et d’aides mais son successeur hérite justement d’une économie au ralenti, marquée par une hausse des dépenses publiques, alimentées par une politique fiscale décriée.
La traversée du désert pour Lula da Silva est épineuse. Dès la fin de sa présidence, il est mis en cause dans plusieurs affaires judiciaires, liées, essentiellement, à la corruption, au blanchiment d’argent et au détournement de fonds publics. Cette fois-ci, il ne s’en sort pas.
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Il lui est reproché, dans le cadre du scandale Petrobras, d’avoir accepté 3,7 millions de reais et un luxueux appartement près de Sao Paulo contre son intervention pour attribuer un juteux contrat à cette compagnie pétrolière. Lula affirme être victime d’une chasse aux sorcières, niant les accusations dont il fait l’objet et qui “ne reposent sur aucune preuve concrète”.
Il fait tout pour devenir ministre sous Dilma Rousseff, qui le nomme ministre de la Maison civile. La décision est immédiatement suspendue par la justice, qui accuse désormais la présidente d’avoir commis un délit. La “protégée” de l’ancien métallurgiste risque même la destitution.
Il est tout de même condamné en juillet 2017 à 9 ans et demi de prison pour corruption passive et blanchiment d’argent. Son recours aggrave la sentence, portée à 12 ans et un mois d’emprisonnement. Il est emprisonné en avril 2018 mais le PT le désigne tout de même comme son candidat à la présidentielle de 2018. Lula n’échappe pas à son sort puisque le Tribunal suprême fédéral prononce vite son inéligibilité.
C’est Jair Bolsonaro qui succède à Dilma Rousseff. Entre-temps, Lula se voit en février 2019 condamné dans une autre affaire à près de 13 ans de réclusion pour corruption et blanchiment. Coup de bol, le Tribunal suprême fédéral suspend son procès, après la divulgation, par un journal, d’un complot impliquant le juge Sergio Moro, devenu ministre de la Justice de Jair Bolsonaro, contre l’ancien président du PT.
Il est libéré en novembre 2019 mais reste mis en examen dans six autres affaires de corruption. Le Tribunal suprême fédéral annule alors les condamnations le visant, justifiant cette décision par le fait que le tribunal de Curitiba était incompétent pour juger les quatre affaires le concernant. Lula est réhabilité dans ses droits et la course à la présidentielle de 2022 peut commencer.
Faire du neuf, avec du vieux
Sa campagne électorale, il la dirige contre son adversaire, qu’il accuse d’interférences et qu’il critique pour la gestion de la crise sanitaire, allant jusqu’à “craindre un génocide” qui serait causé par Bolsonaro. La campagne se déroule sous haute tension, l’ancien syndicaliste associant son adversaire au cannibalisme tandis que le second qualifie le premier d’ivrogne. La victoire de Lula est contestée par la moitié de la population et plusieurs milliers de manifestants pro-Bolsonaro envahissent le Congrès national ainsi que le palais présidentiel, comme un remake des événements du Capitole américain une année auparavant.
Dès sa prise de fonction, il s’attèle à annuler les mesures de son prédécesseur. Il relance le Fonds Amazonie et suspend la privatisation de huit sociétés étatiques. Lula augmente le salaire minimum et prolonge des allocations, dont la Bolsa Familia dont il était l’un des initiateurs une vingtaine d’années auparavant. Lula revoit sa copie. Il mène rapidement une réforme de la fiscalité, qui lui valait des critiques à son départ. Il reprend ses vieilles bonnes habitudes en annonçant de nouveaux programmes sociaux, en se dotant de 300 milliards d’euros sur 4 ans.
Le contexte international est cette fois-ci différent. S’il maintient son soutien aux pays du Sud, à travers, notamment les BRICS, il se rapproche beaucoup plus de la Russie et de la Chine, autres membres de ce groupe. S’il condamne l’invasion de l’Ukraine, il critique les États-Unis, l’OTAN et la prolifération de leurs bases militaires autour de la Russie. Son retour à la présidence, marqué par une panoplie de promesses pour le climat, sonne finalement comme un air de déjà-vu.
Comme à l’accoutumée, il s’abstient de critiquer des dictatures voisines. Il se dit favorable à la légalisation de l’avortement et au mariage entre deux personnes de même sexe mais se rétracte après chaque polémique. Après trois défaites aux premières présidentielles de son pays, l’ancien métallurgiste a visiblement appris à toujours modérer ses positions, quitte à retourner sa veste pour mobiliser l’électorat.
Un dictateur en berne ?
Mais les Brésiliens découvrent à partir de 2024 un nouveau visage. Celui qui soutient ses voisins autoritaires au nom de la stabilité régionale le devient lui-même. En mars, il interdit la commémoration officielle du 60e anniversaire du coup d’État militaire. Il suspend même le projet d’un musée de la Mémoire et des droits de l’homme, centré sur la dictature. Deux ans après son retour au pouvoir, il n’a toujours pas rétabli la Commission spéciale pour les morts et disparus politiques, supprimée par son prédécesseur Jair Bolsonaro.
Lula, qui a pourtant subi cette dictature lorsqu’il était syndicaliste, dit ne pas vouloir “continuellement ressasser le passé”, allant même comparer ce putsch, qui a fait basculer le Brésil dans une dictature militaire, à l’invasion du Congrès national par les partisans de Bolsonaro qu’il appelle le “putsch de janvier 2023”.
Le mois suivant, en avril, un scandale autour de la censure est révélée par X (anciennement Twitter). Les Twitter Files Brazil révèlent qu’un tribunal brésilien a forcé la société à “bloquer certains comptes populaires au brésil”. Le rôle du juge de la Cour suprême, Alexandre de Moraes, qui a exigé de X des informations privées sur des utilisateurs, dont la censure de plusieurs comptes, y est également dévoilé.
Tout comme aux États-Unis, où les Twitter Files ont mis à nu le complexe industriel de censure qui a particulièrement ciblé des républicains, dont Donald Trump, les révélations faites par le journaliste Michael Shellenberg démontrent que Moraes a tenté de prendre le contrôle sur les politiques de modération des contenus de Twitter (avant son rachat par Elon Musk) pour censurer les partisans de Jair Bolsonaro, sous prétexte de lutter contre la désinformation. France-Soir en parlait dans son article du 26 Avril.
Cette situation fort complexe ne prend probablement pas sa source en 2024, mais pourrait la trouver dans ce que certaines personnes considèrent comme “le coup d’Etat de 2016” qui a conduit à l’emprisonnement de Lula en 2018. Cette histoire a d’ailleurs fait l’objet d’un documentaire Netflix “The Edge of Democracy” (A la limite de la démocratie) : Un récit qui se révèle d’actualité rappelant l’une des périodes les plus dramatiques de l’histoire du Brésil et de la crise démocratique qui en découle. La cinéaste Petra Costa, éclaire et donne accès aux passés des présidents Dilma Rousseff et Lula da Silva, de leur ascension à leur chute au travers d’une nation tragiquement polarisée.