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Le patron de TotalEnergies assume de produire toujours plus de pétrole et de gaz



Devant la commission d’enquête dédiée à sa firme, le 29 avril, le PDG de TotalEnergies Patrick Pouyanné a été clair : pour l’instant, il n’a pas l’intention de réduire la production d’énergies fossiles de son entreprise et il l’assume. « Cela signifierait fermer nos stations-service. […] Cela voudrait dire que la société va décliner. On le fera quand la demande déclinera », a-t-il tranché devant les sénateurs. Depuis janvier, ces derniers se réunissent dans le cadre d’une commission d’enquête sur le respect de TotalEnergies des objectifs climatiques de la France.

Pendant plus de deux heures, l’homme d’affaires en costume bleu marine a déroulé la stratégie de développement de la firme, au regard de l’urgence climatique. Celle-ci s’appuie à la fois sur la poursuite d’investissements pour la production de pétrole et de gaz, incluant de nouveaux projets d’exploitation, ainsi que sur le déploiement d’une offre électrique bas carbone.

Alors que le dérèglement climatique affecte déjà fortement les écosystèmes et que l’année 2023 a été l’année la plus chaude jamais enregistrée, cette stratégie apparaît en totale opposition avec les préconisations de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) et des scientifiques du Giec [1], qui insistent tous sur la nécessité de stopper tout investissement dans les énergies fossiles. Ces investissements devraient permettre à la firme d’augmenter sa production de 2 à 3 % par an, sur les cinq prochaines années, selon ses propres projections, alors que l’AIE réclame une réduction de 4 % par an.

Du pétrole jusqu’à ce que la demande décline

« TotalEnergies est sur le podium des majors les plus expansionnistes, en termes d’investissements dans le pétrole et gaz », a taclé le rapporteur de la commission d’enquête et sénateur écologiste Yannick Jadot. Entre 2015 — date de la signature de l’Accord de Paris — et avril 2023, TotalEnergies a été impliqué dans quatre-vingt-quatre projets d’acquisition de nouvelles explorations, a indiqué le Réseau Action Climat (RAC), dans un communiqué publié le même jour. Onze depuis que l’AIE a publiquement recommandé de renoncer au développement de nouveaux champs pétroliers ou gaziers, a ajouté l’ONG. « Au-delà de l’intérêt économique, comment justifiez-vous cette trajectoire ? » a interrogé le rapporteur.

S’il assure croire en la possibilité de limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C, Patrick Pouyanné a défaussé sa responsabilité en matière de production fossile sur le consommateur final, arguant que « la demande continue d’augmenter ». Selon l’homme d’affaires, celle-ci est principalement boostée par la croissance démographique, notamment dans les pays en développement. Quant aux investissements, ceux-ci permettent juste de répondre à l’augmentation de la demande, estimée à 1 % par an, et de maintenir des prix abordables, a-t-il affirmé. Il a ajouté que sans eux, la production déclinerait d’environ 4 % par an. Une évaluation partagée par Antoine Laurent, de l’ONG Reclaim Finance quelques heures plus tôt, à l’occasion d’une conférence de presse. Ce dernier a toutefois estimé que ce déclin permettrait justement d’assurer la transition. « La question n’est pas de couper l’approvisionnement, mais de le faire changer de direction », a-t-il expliqué.

Pour réduire ses émissions de CO2, Patrick Pouyanné entend améliorer l’intensité carbone de ses produits (c’est-à-dire réduire les émissions de CO2 dans la phase de production des énergies) et estime que d’autres secteurs, comme l’aérien, doivent agir. « Si Airbus ne me demande que 50 % de biocarburants, que puis-je faire ? » a-t-il illustré.

Une dépendance au gaz

En marge de cette audition, les ONG ont aussi reproché à la multinationale d’entretenir une confusion quant à la place du gaz dans la transition énergétique. « Il est inquiétant de constater que le gaz fossile est présenté comme une source d’énergie moins dangereuse que le pétrole et le charbon », a insisté le RAC, rappelant que les fuites de méthane — ayant un potentiel de réchauffement quatre-vingt-quatre fois supérieur au CO2 — sont dévastatrices pour le climat.

Au cours de son audition, Patrick Pouyanné a en effet longuement expliqué miser sur cette énergie fossile pour la transition, assurant vouloir réduire les émissions de méthane associées à la production gazière de 80 % d’ici 2030. Une stratégie qui s’appuie sur des orientations politiques en faveur de l’énergéticien, comme celle de développer un terminal méthanier au Havre pour accueillir du gaz naturel liquéfié (GNL), en provenance des États-Unis notamment, ont dénoncé les ONG. Résultat : la France se construit peu à peu une dépendance au GNL russe et étasunien, s’inquiètent-elles.

Deux sources énergétiques pourtant discutables, la première en raison du contexte géopolitique, la seconde au vu des méthodes d’extractions employées. « Le gaz américain est essentiellement du gaz de schiste extrait par fracturation hydraulique, […] une méthode extrêmement nocive pour l’environnement », également à l’origine de fuites de méthane, a rappelé le RAC.

Les droits humains peu abordés

Sur les projets contestés en Afrique, Patrick Pouyanné ne s’est pas attardé. Il a estimé que même s’ils n’étaient pas « parfaits », les populations locales étaient « satisfaites » dans leur grande majorité, notamment pour la construction de nouvelles maisons. Les ONG dénonçaient pourtant encore récemment un nombre de personnes affectées par les projets bien plus important que celui présenté par la multinationale.

Interrogé sur sa stratégie vis-à-dis des crédits carbone et des projets de reforestation, notamment le projet controversé Bacasi visant à introduire des acacias sur le plateau du Batéké en République du Congo — une plante peu adaptée pour la faune et la flore locales —, le PDG s’est contenté d’indiquer qu’il ne s’agissait pas de leur principale stratégie de réduction des émissions et avoir embauché des spécialistes sur ces questions.

Le rapport final de la commission d’enquête est attendu pour la mi-juin.



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