• sam. Mai 18th, 2024

Attention, trop de bébés animaux sont secourus par erreur !


Maisons-Alfort (Val-de-Marne), reportage

Un étonnant calme règne ce matin au Centre hospitalier universitaire vétérinaire pour la faune sauvage (CHUVFS) de Faune Alfort, à Maisons-Alfort. Difficile d’imaginer que se trouvent là, tapis dans leur couveuse ou dans un box individuel, pas moins de 200 animaux. Valentin, soigneur, cheveux vert pomme et blouse à motif ornithorynque, nettoie la cage d’un renardeau avant d’y placer une peluche pour « tenir compagnie » à l’animal. À ses côtés, Marion, vétérinaire, biberonne une portée de hérissons trouvée orpheline il y a quelques jours. Deux doigts lui suffisent pour maintenir le corps frêle de ses minuscules patients, le temps de les nourrir d’une pipette de lait.

La spécialiste, employée en renfort par l’École nationale vétérinaire d’Alfort (Enva) pour la saison, est bien rodée aux soins des juvéniles. Elle fait partie des dix membres de l’équipe soignante qui, chaque année, d’avril à septembre, affrontent le pic d’activité important du centre de soins dédié à la faune sauvage.

En cause : la période de reproduction de nombreuses espèces et la naissance de juvéniles — plus fragiles — au début du printemps. Mais aussi la méconnaissance de certains découvreurs : près d’un tiers des animaux recueillis seraient emmenés par erreur en centre de soins.

Lana, soigneuse stagiaire au CHUVFS, laisse les canetons cinq minutes dans l’eau pour stimuler leur plumage et le rendre imperméable.
© Jeanne Bourdier / Reporterre

En 2023, un peu plus de 5 000 animaux ont été accueillis par le CHUVFS entre avril et août, soit plus de 60 % des entrées de l’année, selon un bilan interne consulté par Reporterre. Une période éprouvante pour le centre, qui compte sur les bénévoles, les services civiques et les dons de particuliers pour tenir la tête hors de l’eau.

En cette fin avril, si de nombreux juvéniles ont déjà été apportés au centre par des découvreurs inquiets, la situation est encore gérable. Dans la salle attenante, Lana, soigneuse stagiaire, surveille quinze canetons pendant leur bain quotidien. Barbotant gaiement dans les quelques centimètres d’eau, ils éclaboussent au passage la jeune femme, ravie. Après vingt jours ici, ces canetons font partie des chanceux à rejoindre aujourd’hui le Centre de soins, d’élevage et de réhabilitation de la faune sauvage (CSERFS), l’autre centre de Faune Alfort.

Passage obligatoire pour tous les animaux soignés, il dispose d’espaces plus grands et en extérieur pour leur permettre de se réadapter à la vie sauvage avant de les relâcher en pleine nature. Une aubaine pour les canetons, qui peinent à comprendre l’agitation autour d’eux. Tout juste sortis du bain et à peine séchés sous leur lampe chauffante, les voilà à nouveau attrapés, glissés dans une cage de transport et recouverts d’une serviette pour le voyage.

Marine, service civique et Valentin, soigneur, mettent les cinq renardeaux en cage pour les transférer du CHUVFS au CSERFS.
© Jeanne Bourdier / Reporterre

Un tiers des juvéniles là par erreur

Une heure plus tard, à Mandres-les-Roses, dans le Val-de-Marne. Un pic vert et deux perruches s’envolent à l’arrivée de la camionnette blanche, venue transférer les animaux depuis le CHUVFS. Perchés sur leur branche, les oiseaux semblent reconnaître le véhicule, qui passe trois fois par semaine déposer leurs nouveaux colocataires au CSERFS. Notre fratrie de canetons est arrivée avec des renardeaux, fouines et pigeons juvéniles.

Lucile, soigneuse, décharge les cages en consultant les dossiers de suivi, coincés entre les barreaux en plastique. Les cinq renardeaux, en parfaite santé, auraient été trouvés sans leur mère près de leur tanière. Lucile soupire, peu surprise : « Encore des petits qui n’auraient pas dû être emmenés. » Pour Céline Grisot, directrice de Faune Alfort, « au moins un tiers » des juvéniles déposés au centre au printemps seraient, comme eux, bien portants et arrachés « pour rien » à leurs parents.

Ce renardeau n’était pas en détresse et n’aurait pas dû être emmené au centre.
© Jeanne Bourdier / Reporterre

Les renardeaux font partie des juvéniles les plus fréquemment victimes de la méconnaissance des découvreurs. Ce phénomène, dit de « Rox et Roucky », part pourtant d’une bonne intention. « Les renardeaux peuvent sembler abandonnés par leur mère lors d’un changement de tanière, explique Céline Grisot. En réalité, la mère, ne pouvant transporter tous les renardeaux en même temps, les transporte un par un et revient chercher les suivants plus tard. Un découvreur pense bien faire en nous l’amenant, mais prive finalement le renardeau de sa famille. »

Suivant ce même modèle, le phénomène « Bambi » pour les faons et « Ga’hoole » pour les chouettes [1] — qui finissent leur apprentissage au sol, avec leur mère dans les parages —, sont à l’origine de nombreux arrachements de juvéniles à leurs parents.

Jeunes fouines en cours de transfert entre les centres de Faune Alfort.
© Jeanne Bourdier / Reporterre

La Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) confirme le phénomène dans son guide pratique sur la faune en détresse : « Idéalement, ne recueillez un animal que s’il est manifestement blessé. De trop nombreux animaux sauvages sont recueillis et amenés en centre de sauvegarde sans réelle cause de détresse. » En cas de découverte d’un animal, Céline Grisot conseille d’appeler un centre de soins pour demander un avis avant de toucher quoi que ce soit, et ainsi éviter de commettre l’irréparable.

Ne pas s’adapter à la vie sauvage

Dépassant les volières des canetons, désormais confortablement installés dans un espace de 60 m2, Lucile fait le tour quotidien des enclos du CSERFS pour vérifier que les animaux s’acclimatent correctement et les nourrir si nécessaire. Tandis qu’un renardeau s’approche à l’arrivée de la soigneuse, celle-ci tape la grille de sa botte pour faire fuir l’animal. « Je fais ça pour son bien, se justifie Lucile, triste de voir le museau roux s’éloigner. Les bébés mammifères que nous avons pris en charge très tôt n’ont plus peur de l’humain, ils doivent absolument reprendre cette habitude pour pouvoir être relâchés. » Ces animaux pourraient en effet ne pas s’adapter à cette nouvelle vie dans la nature.

Ce bébé hérisson fait partie d’une portée découverte à côté de leur mère morte.
© Jeanne Bourdier / Reporterre

Les renards ne sont pas les seuls à vivre difficilement la transition entre vie sauvage et vie au centre. C’est notamment le cas des faons. « Un jeune faon emmené en centre a très peu de chance de survivre, déplore Céline Grisot. Pour développer sa flore intestinale, il a besoin de manger les excréments de sa mère, ce qui est impossible ici. Il aura plus de chance de s’en sortir en restant dans la nature, même seul. »

Bien que ces erreurs soient fréquentes, la directrice du centre de soins rappelle qu’elles restent minoritaires. « La plupart des juvéniles qu’on reçoit sont réellement en danger, et 90 % du temps à cause des activités humaines », ajoute Céline, qui peine à cacher un certain agacement.

Parmi les cas les plus fréquents : des nichées tombées au sol, victimes de la taille de haies de particuliers, des bébés hérissons laissés à l’abandon après la mort de leurs parents sur la route, ou encore de jeunes mammifères orphelins de parents victimes de la chasse. Les canetons, eux, ont eu la chance d’être emmenés en groupe et s’acclimatent bien à l’absence de leur mère. Ce n’est qu’une question de temps, maintenant, avant qu’ils ne retrouvent la mare de leur enfance.




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