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Refuser l’expérimentation animale, un droit fondamental



2 mai 2024 à 09h24
Mis à jour le 3 mai 2024 à 09h44

Durée de lecture : 6 minutes

Victor Prandt est chargé de projet et référent de la Révolution écologique pour le vivant (REV) en Auvergne-Rhône-Alpes.


En France, plus de 2,1 millions d’animaux sont instrumentalisés chaque année dans des expériences scientifiques ; dans l’Union européenne, ce sont 22 millions d’animaux qui sont utilisés dans les laboratoires, ou élevés puis tués sans même avoir « servi » (respectivement 10 et 12 millions). Un constat malheureux mais prédictible, car la directive européenne de 2010, qui ambitionnait de réduire la souffrance animale a minima, n’a jamais été assortie de contraintes juridiques et son respect a souffert d’un manque de contrôles dès sa création.

Face à cette faiblesse de la réglementation européenne, la mise en place d’un « droit à l’objection de conscience » semble être une solution particulièrement intéressante pour inciter le secteur de la recherche à réduire l’utilisation d’animaux de laboratoire de façon effective.

Une objection qui existe déjà en Italie et aux États-Unis

Déjà à l’œuvre en Italie depuis 1993, cette loi, qui permet aux étudiants et aux chercheurs de refuser de pratiquer des expériences sur des animaux, impose à toutes les structures publiques ou privées qui pratiquent l’expérimentation animale de reconnaître l’existence de ce droit à toutes les personnes concernées.

Plusieurs États américains ont également légiféré sur le sujet : dans l’État de New York, par exemple, tout étudiant peut désormais refuser, sur des principes moraux ou religieux, de disséquer un animal ou d’assister à une dissection sans être pénalisé. Il doit alors proposer à l’enseignant un projet alternatif.

Pour défendre cette avancée juridique prometteuse, le député Aymeric Caron s’apprête à déposer une proposition de loi visant notamment à inscrire ce droit à l’objection de conscience dans les établissements recourant à l’expérimentation animale. Enrichi par l’audition de spécialistes (notamment des associations dédiées au sujet), ce texte a vocation à réduire les souffrances infligées aux animaux et à inciter les laboratoires et universités à développer le matériel et les conditions imposés par les protocoles de substitution, avec pour objectif d’en finir définitivement avec l’expérimentation animale. En Europe (Allemagne, Suède, Autriche…) et dans le monde, de plus en plus d’initiatives de cet ordre émergent.

De très nombreux macaques sont importés en Occident et utilisés dans des laboratoires. Les États-Unis, par exemple, en ont importé 250 000 sur ces dix dernières années selon TheEcologist.
CC

Le 16 avril dernier, l’ONG One Voice révélait que le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) allait recevoir 500 guenons envoyées par un élevage mauricien de singes grâce à de l’argent public : 10 millions d’euros avaient ainsi été investis pour forcer ces guenons à mettre au monde des petits qui seraient ensuite sujets d’expérimentation. Cette enquête nous rappelle que l’État, ici par le biais du CNRS, institution publique, continue de financer les sévices subis par des millions d’animaux chaque année. Cela n’est plus acceptable.

Comment continuer à justifier la torture d’animaux par les avancées pour la santé humaine quand on sait que seules 25 % des expérimentations sont consacrées aux maladies humaines, le reste étant destiné à la recherche fondamentale, à la toxicologie (obligations réglementaires) et à la recherche militaire ? Et, dans le cas où elles le sont, leurs résultats sont remis en question : 9 médicaments sur 10 échouent durant la phase d’essais cliniques sur l’humain, malgré 100 % de réussite dans les essais précliniques sur les animaux.

Des résultats non-transposables aux humains

Une étude de 2015 a examiné l’efficacité des tests toxicologiques réalisés sur des primates afin de prédire les résultats sur les humains, analysant les données de plus de 3 000 médicaments. Les résultats ont démontré que l’absence d’effets secondaires chez les animaux ne permettait pas de prédire le même résultat chez les humains.

En fait, aucune avancée médicale majeure ne peut être assurément imputée à l’expérimentation animale. L’exemple du vaccin contre la polio, notamment, est assez révélateur : il aura fallu quarante années d’expérimentation animale pour finalement aboutir à un traitement. Mais, lorsque le vaccin a été découvert, les chercheurs utilisaient également une méthode in vitro, sans animaux. Il n’est donc pas possible d’affirmer avec certitude que cette avancée est liée à l’expérimentation animale. D’ailleurs de nombreux scientifiques et associations, notamment Antidote Europe, remettent en question le modèle animal, chaque espèce réagissant différemment à une même molécule.

En 2022, les établissements français ont officiellement utilisé 1 578 364 souris et rats.
Janet Stephens / CC0

Pourtant, malgré les obligations légales, le défaut de soutien public aux approches alternatives persiste. Si la technologie permet aujourd’hui de reconstituer des organes en 3D, des logiciels ultraperformants de simuler la réaction à la douleur ou simplement un mécanisme respiratoire, ces alternatives ne sont pas enseignées aux chercheurs et ne sont pas intégrées dans le narratif qui accompagne la recherche et l’éducation.

Elles manquent également cruellement de financement. Alors que des millions d’euros sont facilement trouvés chaque année pour financer l’expérimentation animale (collectes de fonds telles que le Téléthon…), le Centre français des 3R, qui travaille sur des « projets de remplacement », a obtenu moins de 800 000 euros en 2023. « Une somme bien timide au regard des 81 % de Français favorables au développement de méthodes alternatives aux expériences infligées à des animaux », soulignait l’association One Voice en 2023.

Et ce, alors que la recherche sans animaux est aussi efficace, voire bien plus, que les tests sur animaux. En refusant de financer ces alternatives éthiques, l’État se place en complice d’une barbarie à contre-temps. Tandis que la communauté scientifique s’accorde sur les capacités des animaux de laboratoire à ressentir la douleur et les émotions (voir la récente Déclaration de New York), nous devons tout faire pour encourager la révolution du secteur de la recherche qui s’impose à l’humanité. Et le droit, pour les étudiants et chercheurs, à l’objection à l’expérimentation animale peut l’accélérer.



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