• lun. Mai 20th, 2024

Quand les citadins se battent pour sauver leurs derniers arbres


Nîmes (Gard), reportage

« Regardez comme c’est beau ! » Sylvie Pribile, 69 ans, s’émerveille devant la cinquantaine de pins d’Alep au-dessus d’elle. Leurs cimes en forme de parasols géants ombragent les maisons de son quartier, Puech du Teil. Cette colline est coincée entre le centre-ville de Nîmes et le grand ensemble urbain de Valdegour, deux zones particulièrement bétonnées. Un quartier boisé où les habitants de villas cohabitent avec les écureuils roux, les huppes faciées et les crapauds.

« L’été, nous avons calculé qu’il fait 3 à 4 °C de moins qu’en centre-ville », décrit la magistrate à la retraite, qui craint que ce « havre de paix » ne soit bientôt recouvert par le béton. Pour elle, ce quartier est à préserver dans l’intérêt de toute la ville : « C’est une éponge. Si l’on bétonne Puech du Teil, toute l’eau va ruisseler plus rapidement sur le reste de la ville ».

Sur cette parcelle, rue Puech du Teil, cinquante pins ont été abattus en une matinée pour la construction de plusieurs immeubles d’habitation.
© Estelle Pereira / Reporterre

Accompagnée d’une poignée d’habitants ce jour-là, Sylvie montre du doigt les terrains qu’elle juge « menacés » par leur rachat, parce que les propriétaires sont âgés ou décédés. « Il y a un an, nous avons vu disparaître en une matinée cinquante pins sur une parcelle pour la construction d’un immeuble. Cela a été un vrai choc », raconte-t-elle.

Dans la foulée, l’affichage d’un permis de construire annonçant la construction supplémentaire de quatre immeubles avec parking sous-terrain sur une parcelle boisée de 6 000 m² la convainc, avec une poignée de riverains, de mobiliser le comité de quartier, mais aussi de créer une association, Ensemble sauvons Puech du Teil.

L’association Ensemble sauvons Puech du Teil se bat pour préserver cette parcelle de 6 000 m2.
© Ensemble sauvons Puech du Teil

Cette dernière soutient un recours auprès du tribunal administratif contre la Ville de Nîmes pour faire annuler le permis de construire. La réponse est attendue mardi 7 mai. « Si on laisse faire, l’effet sera domino et c’est toute la végétation de la colline qui va disparaître », craint Alain Lelièvre, vice-président de l’association.

La multiplication des projets d’immeubles de part et d’autre de la ville de Nîmes, dans des zones résidentielles boisées, de garrigue, ou encore en zone inondable, a poussé les comités et associations de quartier à se réunir au sein l’Union des comités de quartier de Nîmes métropole (UCQNM), en sommeil depuis des années. En avril, elle comptait trente comités adhérents.

Ceux-ci sont majoritairement composés de retraités et de propriétaires. Dans les quartiers populaires, les associations d’habitants sont moins actives, ou concentrées sur d’autres sujets, notamment l’insécurité.

Deux fois plus de permis de construire en 10 ans

L’UCQNM affiche son objectif : freiner la bétonisation galopante en défendant la révision complète du plan local d’urbanisme (PLU), document encadrant l’aménagement d’un territoire. Il faut dire qu’en moins d’une décennie, Nîmes a quasiment multiplié par deux le nombre de permis de construire (1 034 nouvelles constructions autorisées en 2022, dont 742 immeubles, contre 525 en 2013) d’après le Service des données et études statistiques du ministère de la Transition écologique.

Pourquoi une telle folie constructrice alors que la commune perd en moyenne 700 habitants par an depuis 2014 selon l’Insee ? Pour Pierre Valette, architecte et membre du comité de quartier l’Ermitage, cela aurait à voir avec le PLU de Montpellier, à une cinquantaine de kilomètres au sud-ouest, dont le durcissement en 2020 a provoqué un report des constructeurs vers Nîmes, où les règles d’urbanisme sont plus souples.

« Les promoteurs ne voient qu’au travers de la construction neuve en acquérant du foncier, analyse-t-il. La rénovation, par exemple de logements vacants du centre-ville, les intéresse moins, parce que moins rentable. »

« C’est irrationnel de laisser faire les promoteurs »

Dans certains quartiers encore végétalisés, le PLU nîmois permet de construire sur 80 à 90 % d’un terrain. « Depuis 2018, ce sont 6 hectares de végétation qui ont été rasés dans notre quartier. Les immeubles y poussent comme des champignons et les arbres sont remplacés par des géraniums », ironise Jean-Daniel Depoudent, président du comité de quartier Puech du Teil.

Ce qui fait dire à Patrick Pribile, membre du même comité, qu’il est urgent de classer les zones encore arborées de la ville en « zones végétalisées à protéger ». « Cela obligerait la mairie à protéger les arbres légalement. Il y a des méthodes qui permettent d’ores et déjà d’agir. C’est irrationnel, à l’heure du réchauffement climatique, de laisser faire les promoteurs. »

De son côté, la majorité municipale (Les Républicains) se défend de tout laxisme. « À partir du moment où le PLU le permet, il est normal que des parcelles puissent muter. C’est une question d’équilibre », argumente Julien Plantier, premier adjoint au maire, chargé de l’urbanisme. Il estime que son rôle est de « représenter l’intérêt des riverains » tout en « accompagnant les opérateurs pour que leur projet se réalise ».

Peu à peu les terrains de la proche périphérie du centre-ville de Nîmes encore végétalisés sont grignotés par les immeubles. Une artificialisation des sols qui inquiète les riverains par rapport au risque d’inondation.
© Estelle Pereira / Reporterre

La mairie nîmoise a quand même été obligée de réagir en adoptant, en septembre 2023, un guide « pour la qualité du logement et du cadre de vie » destiné aux constructeurs. Concernant les arbres, il est préconisé aux maîtres d’ouvrage « d’éviter le défrichement excessif », « de réaliser un diagnostic paysager » et de « respecter la topographie […] pour conserver l’identité du paysage ». « Nous voyons, au bout de huit mois d’exercice, que cette charte porte ses fruits, puisque nous avons des opérations qui ne vont pas au bout, parce qu’elles ne respectent pas le guide », affirme Julien Plantier.

Vulnérable face aux canicules et inondations

La protection des îlots de fraîcheur ne sera en revanche pas inscrite dans le PLU avant sa prochaine révision d’ici 2026, affirme l’élu. « Ce sera trop tard », répondent à l’unisson les comités de quartier, sceptiques quant à l’efficacité de ce guide, qui n’est pas opposable en justice.

La ville de Nîmes étant particulièrement vulnérable aux canicules et aux inondations (45 % du territoire est classé en zone inondable « aléa fort »), c’est naturellement que les associations de quartier, chargées de représenter les intérêts des habitants, se sont formées aux enjeux d’adaptation au changement climatique.

Dans le quartier Puech du Teil, les terrains sont un nid à biodiversité à l’instar de la maison d’Anne-Marie Audran, qui dispose d’une mare et forme une zone humide.
© Estelle Pereira / Reporterre

La plupart des comités de quartier traquent les nouvelles constructions. Si nécessaire, ils soutiennent financièrement les riverains dans leurs recours contre des permis de construire. À l’instar du comité de quartier Gambetta-Révolution. En 2020, l’association, qui compte plus d’une centaine d’adhérents, est parvenue à empêcher que le parc Meynier de Salinelles, d’une superficie d’un hectare, soit remplacé par un immeuble.

Après un bras de fer avec le Département du Gard et la Ville de Nîmes, la justice a finalement reconnu le parc comme une composante d’une « trame verte » inscrite dans un autre document d’urbanisme : le projet d’aménagement et de développement durables.

« Il ne faut pas hésiter à aller sur le terrain administratif », défend Marie-Pierre Quessada, coprésidente du comité, pour qui la recette gagnante pour protéger la nature en ville est la suivante : « S’appuyer sur tous les textes juridiques, beaucoup communiquer en sollicitant la presse locale et aller jusqu’au bout de la démarche. Et surtout, agir vite ! Car une fois que le permis de construire est affiché, c’est quasiment fichu. »



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