• lun. Mai 20th, 2024

Le mois de muscardin, quand l’écologie devient politique


On le surnomme le « rat d’or » mais son pelage est plutôt brun orangé. Le muscardin, tout petit rongeur — un corps de 6 à 9 cm et une queue de la même longueur — s’agite au printemps dans les bois de France et d’Europe. En mai, il sort tout juste de sa longue hibernation et commence à être observable, à condition d’être attentif et opiniâtre, car ce mammifère est essentiellement nocturne.

Il est aussi l’un des emblèmes de la lutte pour la protection de la forêt de Bord (Eure) menacée par le projet de contournement autoroutier de Rouen (Seine-Maritime). Cela valait bien que l’on baptise en son nom le nouveau mois qui débute et qui remplace le mois de mai dans notre calendrier révolutionnaire écologique.

Le mois de muscardin est le mois du collectif, de la prise de conscience écologique globale. En un mot : le mois de l’entrée en politique de l’écologie. Cette symbolique s’incarne par la multitude d’intellectuels de l’écologie qui ont vu le jour en muscardin.

Danger permanent « d’autodestruction collective »

Hans Jonas, né un 10 muscardin (en 1903), est l’un des plus illustres philosophes de l’écologie. Il fait partie de ceux qui actent un renversement ontologique majeur : la nature n’est plus un cadre immuable à partir duquel penser l’humain ; c’est l’humain qui peut au contraire détruire la nature, et lui-même par la même occasion. Au XXᵉ siècle, et notamment après la Seconde Guerre mondiale, le progrès technologique rend plausible la catastrophe globale, à commencer par la menace d’apocalypse nucléaire.

Dans son œuvre principale, Le Principe responsabilité (1979), le philosophe allemand s’oppose à l’utopie du progrès sans fin et au mythe démiurgique de la modernité d’humains toujours plus émancipés par la technique. En réaction au Principe espérance (1954-1959) d’Ernst Bloch, Hans Jonas souligne qu’il est plus urgent de penser à éviter le pire qu’à tenter de forger l’Homme nouveau. Nous sommes en danger permanent « d’autodestruction collective », écrit-il.

Le philosophe allemand Hans Jonas est l’un des pionniers de la pensée écologique.
Wikimedia Commons / Universitätsarchiv St.Gallen (HSG)

Sans être technophobe, il appelle à contrôler et réguler la technique, et inspirera le principe de précaution. Dans ce cadre de pensée du risque global, la « responsabilité », selon Jonas, n’est plus affaire individuelle, mais collective.

Il incombe à l’humanité entière de penser, dans ses velléités de déploiement technologique, aux conséquences pour l’ensemble de la biosphère et, surtout, pour les générations futures. « L’humanité n’a pas droit au suicide », assène le philosophe. Pour échapper à la catastrophe, il préconise « de renoncer à la prospérité au bénéfice d’autres parties du monde » et prône « l’automodération de l’humanité ».

Repenser la société face aux risques globaux

La possibilité de la destruction du monde par l’humain agit ainsi comme un catalyseur pour l’écologie politique. Car affronter cette menace impose l’action collective, voire globale. C’est ce qui ressort des réflexions d’un autre penseur de muscardin, Ulrich Beck, né le 15 du mois. Le sociologue allemand, connu pour son ouvrage sur La société du risque (1986), décrit notre époque comme celle où la production de richesses est désormais intimement liée à la production de risques.

Or, les risques sont de plus en plus globaux, à l’instar du changement climatique. Ce qui amène Ulrich Beck à penser la société du risque global et à prôner la gestion supranationale de ces enjeux.

Ulrich Beck voit le nucléaire comme « un avion pour lequel aucune piste d’atterrissage n’a été construite ».
Wikimedia Commons / Seadart

Dans le même temps, il met en garde contre la manière dont l’émergence de ces « inquiétudes existentielles » peut entraîner une compétition politique malsaine nous obligeant à choisir entre différents risques : les « périls incalculables » liés au changement climatique servent ainsi de justificatif au déploiement de l’énergie nucléaire, aux dangers eux aussi « incalculables » et alors que toutes les questions techniques, notamment celle de la gestion des déchets nucléaires, ne sont pas réglées.

Les décideurs pronucléaires jouent ainsi « un jeu extrêmement ambigu » en exhortant « la population à monter à bord d’un avion pour lequel aucune piste d’atterrissage n’a été construite à ce jour », écrit-il.

L’utopie ou la mort

Partir de l’observation du monde et de son essence écologique pour fonder le politique n’appelle toutefois pas nécessairement qu’à une pensée globale. On peut, au contraire, œuvrer à « se découpler de la mégamachine » en repensant la politique à l’échelle de la biorégion. Le poète anarchiste Gary Snyder, né un 8 muscardin, est une figure importante du biorégionalisme.

Il prônait notamment la création de comités de bassins versants, pour impliquer les habitants à une échelle politique cohérente d’un point de vue hydrologique et écologique. C’est tout l’esprit de la biorégion : partir des frontières naturelles et non plus seulement humaines, pour définir un territoire ayant sa cohérence topographique, son biotope propre. Une défense du vivant à l’échelle biorégionale portée en France par certaines zad ou encore par Jean-Luc Mélenchon dans son programme présidentiel de 2022, comme l’expliquait Reporterre en 2021.

Mais l’incarnation de l’entrée en politique de l’écologie, en France, se fête surtout le 5 muscardin, en hommage au 5 mai 1974. Ce jour-là, 337 800 citoyens français votent pour René Dumont, le premier candidat écologiste à se présenter à une élection présidentielle. Ingénieur agronome de formation, il a publié l’année précédente L’utopie ou la mort !, ouvrage qui reprend à son compte l’alarme du club de Rome sur la finitude des ressources et alerte sur le risque d’effondrement que nous fait courir l’addiction à la croissance.

Louise Michel et les « tortures infligées aux bêtes »

À 70 ans, il ne réunira qu’un peu plus de 1,3 % des suffrages, mais restera célèbre pour ses clips de campagne et surtout cet extrait dans lequel il boit « un verre d’eau précieuse » devant les téléspectateurs pour sensibiliser, en précurseur, sur les pénuries d’eau à venir.

Il faut, enfin, citer une figure politique tutélaire célébrée le 29 muscardin, jour où naquit, en 1830, Louise Michel, militante anarchiste emblématique de la Commune de Paris. Cet épisode révolutionnaire fut une matrice de l’écologie politique révolutionnaire, dans sa dimension anticapitaliste, ses valeurs d’autosuffisance et de propriété collective des terres agricoles.

Louise Michel fut de celles et ceux qui, à côté de l’émancipation ouvrière, développèrent une sensibilité au reste du vivant et un rejet de leur exploitation. Son « horreur des tortures infligées aux bêtes » et son implication pour sensibiliser au vivant les enfants en tant qu’institutrice n’avaient rien d’anecdotiques. Ses réflexions s’inscrivaient au contraire pleinement dans son engagement révolutionnaire, comme premier écho lointain à l’émergence politique de l’écologie au siècle suivant.


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