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En Normandie, 21 feux d’artifice pour le D-Day au mépris des oiseaux protégés


Ver-sur-Mer (Calvados), reportage

Il est un peu plus de 8 heures du matin quand les deux bénévoles de la Ligue de protection des oiseaux (LPO) arrivent sur le parking de la plage de Ver-sur-Mer. Malgré la douceur de la journée qui s’annonce, Hervé et Christophe ne sont guère enthousiastes au moment d’aller effectuer leur traditionnel comptage d’espèces d’oiseaux dans le marais, coincé entre le mémorial britannique, les vaches et la mer.

La zone est proche du secteur de Gold Beach, l’une des plages du débarquement des Alliés en Normandie, le 6 juin 1944, lors de la Seconde Guerre mondiale. Cette année, la région compte « célébrer » les 80 ans de cette bataille historique et décisive du conflit en déployant de grands moyens et en attirant des millions de touristes, souvent anglo-saxons.

« Tout me dérange. La foule qui va venir, le feu d’artifice et bien sûr les conséquences sur les oiseaux »

En 2022, 11,4 millions de visiteurs s’étaient rendus sur les lieux des différentes batailles et avaient généré 25,2 millions d’euros de chiffres d’affaires, selon la région Normandie.

Les commémorations débuteront dans quelques jours par vingt-et-un feux d’artifices, dans vingt-et-une communes [1], tirés simultanément sur une centaine de kilomètres le long du littoral normand, le 1ᵉʳ juin. « L’embrasement » de la côte rendra « hommage aux héros de la Libération », selon la Région, organisatrice de l’événement avec le Comité du Débarquement.

© Louise Allain / Reporterre

« La grande question, c’est l’impact sur la faune et la flore, en premier lieu par le grand nombre de personnes qui vont venir assister au spectacle, s’interroge Hervé Szwaicer, ornithologue à la LPO. Tout me dérange. La foule qui va venir, le feu d’artifice et bien sûr les conséquences sur les oiseaux, qui seront en pleine période de nidification. »

Ce matin-là, une quarantaine d’espèces, dont des passereaux, des échasses, un busard des roseaux ou encore des fauvettes grisettes ont été répertoriées par les deux hommes, qui viennent au minimum une fois par mois sur le site.

« Je vais fuir la zone lors des “festivités”, mais il aurait été important que nous dressions des constats scientifiques avant et après tout cela, pour bien mesurer les impacts, ajoute Christophe Hyernard, qui jongle entre son appareil photo au puissant zoom et ses jumelles. Le manque de considération écologique des organisateurs me choque, on ne peut plus vivre aujourd’hui comme au XXe siècle. »

Deux associations ornithologiques en désaccord

Si la LPO est fortement opposée au spectacle pyrotechnique à venir, une autre association est associée à l’organisation : le Groupe ornithologique normand (GON). L’association caennaise a la tâche d’encadrer le spectacle pour éviter qu’il nuise aux espèces protégées, notamment le gravelot à collier interrompu, un petit oiseau marin vulnérable qui niche à même la plage, d’avril à août.

Le gravelot à collier interrompu est un petit oiseau marin vulnérable, notamment parce qu’il niche à même la plage, d’avril à août.
Mickaël Dia / CC BYND 2.0 Deed / Flickr

« Pour cette espèce, nous travaillons avec la préfecture sur les AOT [autorisation d’occupation temporaire] afin qu’il n’y ait pas de nuisances sur cette espèce protégée », explique James Jean-Baptiste, chargé d’études et employé du GON. Le scientifique se veut rassurant, mais reconnaît tout de même au téléphone « n’avoir aucune idée de l’incidence des feux d’artifice sur les passereaux », par exemple, et que la soirée « pourrait avoir un impact sur d’autres espèces comme les goélands et les fulmars, les faucons pèlerins aussi ».

« L’article L411 du Code de l’environnement sera bafoué et il y aura des destructions d’espèces protégées. Des procédures judiciaires seront sans doute lancées à la suite de cela », assure de son côté Richard Grège, administrateur et membre du conseil scientifique de la LPO Normandie. Deux positions diamétralement opposées donc, bien que chaque association compte envoyer ses observateurs surveiller les éventuelles conséquences du spectacle sur les oiseaux.

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« C’est marrant, j’aurais pensé que la LPO et le GON étaient à peu près sur la même ligne », s’est étonnée par téléphone auprès de Reporterre Nathalie Porte, vice-présidente tourisme et attractivité de la région Normandie et ancienne députée Les Républicains (LR) de la troisième circonscription du Calvados.

La faune forcément impactée

Bien que les organisateurs se disent attentifs au sort du gravelot à collier interrompu, les conséquences sur la faune dans sa globalité ne sont pas à négliger. « Les chiroptères par exemple seront certainement concernés par les effets négatifs de ces feux d’artifices simultanés tirés à 23 h 30 », explique Sandrine [2], écologue normande passée par l’Office français de la biodiversité. « Petits mammifères terrestres, des marais ou encore amphibiens, ils doivent assurément avoir une sensibilité vis-à-vis de cela. »

Outre la pollution aux particules fines, les conséquences des spectacles pyrotechniques sur la population avifaune sont documentées et la configuration de la manifestation normande peut inquiéter.

« Toute la presse locale est à fond sur les commémorations, mais on n’a rien vu sur l’environnement »

En effet, une étude du Department of Environment and Science de l’État du Queensland, en Australie, montre par exemple que les oiseaux marins sont – au minimum – perturbés par les feux d’artifices jusqu’à deux voire quatre kilomètres autour du spectacle. Circonstance aggravante, les feux d’artifice du D-Day auront lieu simultanément et à quelques kilomètres de distance les uns des autres, laissant peu de zones tampons « refuges » entre les lieux à fuir pour les oiseaux.

La zone est proche du secteur de Gold Beach, l’une des plages du débarquement des Alliés en Normandie, le 6 juin 1944, lors de la Seconde Guerre mondiale.
Jebulon/ CC0/ Wikimedia Commons

« Dans les dossiers réglementaires de l’administration, on parle d’impacts cumulés et je pense que c’est la notion la plus importante ici », ajoute Sandrine. « Tout ça qui pète en même temps, ça fait des rayons d’impacts qui se chevauchent. Je n’imagine même pas la panique, les envols anarchiques des oiseaux, etc. »

De plus, certaines des communes concernées abritent aussi des zones protégées, comme des zones Natura 2000. Selon l’association de protection de l’environnement Robin des Bois, trente-sept zones naturelles d’intérêt écologique, faunistique et floristique terrestres et marines (Znieff) et dix zones Natura 2000 seraient concernées.

« Dans une interview à la presse, le directeur du Comité du Débarquement a dit qu’il était trop tard pour annuler, mais qu’il prenait en considération les arguments écologiques », s’insurge Jacky Bonnemains, porte-parole des Robins des Bois. « Toute la presse locale est à fond sur les commémorations, les souvenirs, le remplissage des hôtels, les braderies d’objets militaires… Mais on n’a rien vu sur l’environnement. »

Contacté à de multiples reprises par Reporterre, le Comité du Débarquement n’a pas donné suite à nos sollicitations.



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