• dim. Sep 29th, 2024

Les quartiers populaires s’organisent contre l’extrême droite


Paris, reportage

Au Point éphémère, à Paris, quatre boules à facettes suspendues au plafond scintillent au-dessus d’un public venu en nombre. La période n’est pourtant guère à la fête : l’extrême droite a fait près de 37 % des voix aux élections européennes et, alors qu’Emmanuel Macron a dissous l’Assemblée nationale, la tenue d’élections législatives anticipées les 30 juin et 7 juillet laisse craindre une vague brune au palais Bourbon.

Comment, en tant que militants antiracistes et habitants des quartiers populaires, s’organiser concrètement contre Reconquête ! et le Rassemblement national (RN) ? Comment lutter contre l’extrême droite et son projet nauséabond de préférence nationale, lequel relève d’une « question de vie ou de mort » pour les « personnes issues de l’immigration postcoloniale, musulmanes, non-blanches » ? C’est pour répondre à cet enjeu à l’acuité plus urgente que jamais que Fatima Ouassak et le collectif Front de mères ont organisé une rencontre le 13 juin. 

Fatima Ouassak (à g.), avec Priscilla Zamord et Sonia Barnat de Front de mères.
© Mathieu Génon / Reporterre

Alors que, au même moment, les partis de gauche membres du Nouveau Front populaire — La France insoumise (LFI), Les Écologistes, le Parti socialiste (PS), Place publique, le Parti communiste (PC), Générations et le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) — travaillaient à l’élaboration d’un accord électoral et politique en vue des législatives anticipées, dévoilé le 14 juin, la politologue n’a pas épargné les représentants « de la gauche professionnelle et institutionnelle », le PS et Les Écologistes en tête.

« Quand bien même un front type “Avengers” [une équipe de super-héros Marvel] émerge, l’extrême droite sera toujours là : contrairement à la gauche, elle a su travailler à l’émergence d’un peuple fasciste, qui a un ancrage territorial et dans tous les espaces sociaux. Quand bien même l’extrême droite ne gagne pas les élections, elle va doubler son nombre de députés », a expliqué Fatima Ouassak. Qui refuse l’injonction à ne pas parler des problèmes de la gauche « sous prétexte qu’il faut se concentrer sur le Front populaire et la victoire ». Elle assure que le contexte politique actuel impose une forme « d’exigence » vis-à-vis du programme de l’union et en termes d’investitures. 

La foule rassemblée pour assister à la rencontre au Point éphémère.
© Mathieu Génon / Reporterre

Pour la politologue, il n’est pas question pour autant de s’abstenir : « L’idée n’est pas de décrocher du système électoral, mais d’être des acteurs politiques par rapport à l’offre électorale […]. » Mais elle entend dire à la gauche « de ne pas [les] prendre de haut […]. Nous ne sommes pas des rabatteurs », a-t-elle expliqué, dans l’attente de lire le programme du Nouveau Front populaire.

Alors qu’une réunion similaire devrait avoir lieu la semaine prochaine, notamment avec l’Assemblée des quartiers populaires, Fatima Ouassak a renchéri : « Plus nous allons être exigeants sur le combat antiraciste, sur la question du soutien à la Palestine, plus l’offre électorale et le programme sera en notre faveur, et plus la lutte contre l’extrême droite et la montée du suprémacisme blanc en Europe sera efficace. »

Et d’ajouter qu’elles aillaient étudier le programme du Nouveau Front populaire et les candidats. « Les agresseurs condamnés [en référence à Adrien Quatennens, député LFI condamné pour violences conjugales] ? Ça dégage. Ceux qui ont tenu des propos racistes et islamophobes ? Ça dégage. Personne n’est irremplaçable et, des députés potentiels qui peuvent nous représenter, il y en a dans nos rangs. D’autant que dans la gauche institutionnelle et professionnelle, il y a aussi des camarades. En faisant ça, on leur donne de la force. » 

« Il faut de l’autodéfense populaire »

Si les propos de l’autrice de Pour une écologie pirate (éd. La Découverte, 2023) ont été très largement applaudis et approuvés dans la salle, composée essentiellement de jeunes, plusieurs questions ont malgré tout émergé. « Comment s’organiser concrètement comme citoyens pour ne pas être qu’un bulletin de vote ? » s’est par exemple demandé une jeune femme.

« Je viens de la Drôme et il n’y a que des fachos. On est déjà en train d’essayer de convaincre les gens de ne pas voter pour le RN ou Macron. Je veux bien entendre qu’il faut nuancer ce qui se passe à gauche mais, il y a tout de même cette échéance. A-t-on vraiment le temps de réorienter le Front populaire ? » s’est interrogée de son côté une professeure qui, en tant que « femme algérienne et musulmane », entend sans cesse qu’elle « n’est pas chez elle » en France.

Une autre a estimé qu’« à défaut de construire de suite un rapport de force avec la gauche institutionnelle, on peut dès maintenant faire pression sur les réseaux sociaux pour dire qu’on ne veut pas de tel candidat. Ensuite, on pourra influencer les programmes une fois la liste des investitures faite ». « Il faut faire l’inverse, lui a répondu Fatima Ouassak. Le seul moment où tu peux attraper leur veste [à la gauche], c’est maintenant : il faut dès maintenant leur mettre la pression. » 

Les personnes présentes ont pu échanger avec Fatima Ouassak et le collectif Front de mères.
© Mathieu Génon / Reporterre

Un point semble cela dit avoir fait consensus : la nécessité, en tant que militantes et militants antiracistes et des quartiers populaires, de s’auto-organiser. « Cela peut s’entendre de faire barrage, mais il y a une autre chose importante : il faut de l’autodéfense populaire. Face aux flics et aux fachos qui assassinent, on ne peut compter que sur nous-mêmes », a dit un jeune homme, « fils d’une mère gitane et d’un père manouche » pour qui les personnes investies aux législatives devraient être « les personnes racisées qui, demain, seront malmenées par l’extrême droite ».

« Si en tant que personnes concernées on ne se mobilise pas, qui va le faire ? »

« Dans quelle mesure sommes-nous capables de penser à un projet politique réjouissant centré sur l’égale dignité humaine, le tout avec un horizon émancipateur et de nouveaux droits, notamment la liberté de circuler, sans frontières ? » s’est interrogée Fatima Ouassak. Éviter d’autres Nahel — du prénom du jeune homme tué d’une balle dans le thorax par un policier en juin 2023 à Nanterre —, protéger les personnes migrantes qui, avec l’urgence climatique, vont venir se mettre à l’abri dans d’autres pays… « Il ne faut pas attendre le second tour du 7 juillet pour se poser ces questions », a abondé Fatima Ouassak, avant d’ajouter : « Même si la gauche ne nous écoute pas, il est important que l’on s’auto-organise. On se prend en charge, et on ne vous attend pas. »

Sonia Barnat, membre elle aussi de Front de mères, n’a pas dit le contraire : « Conscientisez-vous, parlez, réfléchissez. Nous avons deux jambes : il y a les urnes, mais il y a aussi notre ancrage. Il s’agit de nous ancrer dans nos valeurs, nos vies, nos territoires et dans la force que l’on a. »

À la sortie, Rachel, une étudiante noire de 21 ans, a ces mots : « Je vais évidemment voter pour le Front populaire et mobiliser mes proches qui n’ont pas voté aux européennes, mais il faut penser à l’après : il y a des points sur lesquels la gauche doit bosser depuis longtemps, et on doit effectivement essayer de la rendre meilleure. Si en tant que personnes concernées on ne se mobilise pas pour nous droits, qui va le faire ? »



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