Volvic accusé d’assécher les rivières pour remplir ses bouteilles – Les moutons enragés


Par Lisa Douard

Notre Tour de France des luttes fait étape dans le Puy-de-Dôme, où des associations accusent Volvic d’assécher les milieux naturels pour remplir ses bouteilles. Elles attaquent l’arrêté préfectoral encadrant les prélèvements.

Le Tour de France des luttes [2/4] Pendant les trois semaines de la Grande Boucle cycliste, Reporterre vous fait découvrir des luttes écologiques emblématiques des régions traversées par le peloton. Aujourd’hui, nous suivons le parcours de la 10e étape, dans le Puy-de-Dôme.


« S’il y avait des poissons, leur nageoire dorsale sortirait de l’eau. » Christian Amblard ne pouvait pas trouver plus éloquent pour caractériser l’état critique du ruisseau qui, comme de nombreux autres, dépérit à deux pas de chez lui. Le niveau s’est tellement affaibli ces vingt dernières années que la biodiversité a progressivement déserté le milieu, faute de pouvoir y survivre. Pour ce directeur honoraire de recherches au CNRS, spécialisé dans l’hydrobiologie, la cause du manque d’eau semble ne faire aucun doute : à 4 km de là, l’usine de la Société des eaux de Volvic tourne à plein régime.

Propriété du groupe Danone depuis 1992, le site produit 4 millions de bouteilles d’eau par jour. Plus de 300 camions transitent quotidiennement, suscitant l’inquiétude de plusieurs associations locales vis-à-vis de l’intensité de la production. Fin juin, trois d’entre elles ont décidé d’attaquer devant le tribunal administratif l’arrêté préfectoral du 28 avril 2025 encadrant les prélèvements de l’entreprise.

« Effet cosmétique »

« Ce recours est une première pour nous, signe que la situation est urgente et que nous n’arrivons plus à nous faire entendre autrement », souligne Christian Amblard, aussi vice-président de l’association Préservation Environnement Volcans d’Auvergne (Preva), fortement mobilisée sur ce sujet, sensible dans la région.

Le ruisseau de Saint-Genest-l’Enfant, entre Riom et Volvic (Puy-de-Dôme), n’est plus qu’un mince filet d’eau. 
© Christian Amblard

Si les services de l’État et Danone disent veiller à la préservation de la ressource, tout en assurant le maintien de cette activité économique qui emploie plus de 800 personnes, les efforts paraissent insuffisants pour les défenseurs de l’environnement. Après une réduction de 10 % en 2022, l’arrêté d’avril a imposé une nouvelle baisse de 5 % des prélèvements autorisés, pour atteindre un maximum de 2,38 millions de m3 par an.

« En réalité, la société prélève moins que ça [comme elle le revendique sur son site internet], donc cette mesure n’est pas contraignante puisqu’elle reste supérieure à ses besoins. C’est un effet cosmétique qui n’aura aucun impact sur la ressource », déplore Sylvie de Larouzière, la présidente de Preva, associée à France Nature Environnement (FNE) Puy-de-Dôme et à la Fédération Auvergne Nature Environnement pour déposer ce recours.

« L’État faillit à son rôle de préservation de la ressource en eau »

Les trois collectifs exigent des restrictions plus strictes et vont même jusqu’à dénoncer une forme de « laissez-passer » accordé à Danone, aux dépens des milieux naturels. Aucune étude d’impact préalable n’a été réalisée avant la publication de l’arrêté d’avril, qui a notamment autorisé le doublement de la capacité d’un forage et la création de deux cuves de stockage. Elle a été demandée « antérieurement » et est en cours, nous confirme la préfecture.

« En n’ordonnant pas cette évaluation au préalable, l’État faillit à son rôle de préservation de la ressource en eau », estime Sandrine Nolot, présidente de FNE 63, qui souhaiterait que l’avis et les travaux des associations soient davantage pris en compte dans la gestion de ce bien commun.

« On plaide pour une gouvernance plus équilibrée et pour plus de transparence sur l’utilisation de l’impluvium de Volvic », ajoute Sylvie de Larouzière. Depuis 2006, les priorités d’usage de l’eau sont fixées par la loi : d’abord l’approvisionnement en eau potable, ensuite l’alimentation des écosystèmes naturels et en dernier lieu les autres utilisations, comme la commercialisation. L’autorité préfectorale doit s’y tenir, mais, à l’impluvium de Volvic, le compte n’est pas bon aux yeux de Preva.

Repenser un modèle calibré pour la grande distribution

« Environ 54 % sont utilisés pour l’eau potable, 26 % pour l’embouteillage et 20 % pour les milieux naturels. C’est aussi sur ce point que porte notre recours. La situation s’est dégradée, puisqu’en 2013, la répartition était de 42 % pour les milieux naturels, 41 % pour l’eau potable et 17 % pour les Eaux de Volvic », insiste la présidente de l’association en citant un rapport réalisé en 2024 par un post-doctorant que Reporterre a pu consulter.

Sans se prononcer sur ces chiffres, la préfecture certifie être dans les clous, précisant « qu’être prioritaire [dans le cadre de la loi de 2006] signifie que les besoins liés à cet usage doivent être satisfaits avant les autres » et que « les pourcentages ne traduisent pas la priorité des usages, mais leur importance quantitative ».

Danone, dit quant à elle multiplier les programmes d’action pour atteindre, d’ici 2027, « une réduction de 23 % de [ses] autorisations [de prélèvement] par rapport à l’année 2022 » et assure que son activité s’adapte au niveau des nappes, « étudiées depuis de nombreuses années par [ses] hydrogéologues ».

Des arguments peu convaincants pour les associations, qui maintiennent leur appel à repenser totalement ce modèle calibré pour la grande distribution. « Il faut un système plus durable et responsable, défend Christian Amblard. La population locale ne peut pas voir ses ruisseaux se transformer en petits égouts sans flux et, dans le même temps, constater que l’eau d’ici est mise dans des bouteilles en plastique et envoyée à des milliers de kilomètres. »

Lisa Douard

Publié le 14 juillet 2025 sur Reporterre

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