Quel que soit le mode de désignation les ayant portés au pouvoir, les dirigeants des pays les plus puissants œuvrent ces temps-ci de toute leur sagacité et de toute leur probité à nous préparer un avenir radieux.
Ainsi Donald Trump a-t-il récemment agité la menace de « ses « sous-marins nucléaires, après que Dmitri Medvedev eut déclaré : « chaque nouvel ultimatum est une menace et un pas vers la guerre. »
Et cela en réaction à la forme d’ultimatum du même Trump, « accordant » un délai de « 10-12 jours » à la Russie pour mettre fin à la guerre en Ukraine.
Une initiative diplomatique très bien pensée, ménageant à l’évidence la susceptibilité de la partie adverse, et laissant ouvertes toutes les portes d’une négociation.
Cette séquence nous rappelle que les hommes d’Etat, qu’ils soient les élus d’une belle démocratie ou les hommes providentiels d’un régime dictatorial, se montrent souvent incapables d’éviter les postures susceptibles de conduire à la guerre.
Ils en ont toujours été incapables, et bien souvent les ont même recherchées. Car ils trouvent là une parade ultime à leurs difficultés intérieures, voire l’instrument de leurs ambitions historiques.
C’est ce que les peuples ont appris à leurs dépens au cours des siècles.
Lorsque ces dirigeants n’ont pas sciemment souhaité le conflit armé, ils se sont souvent laissés prendre, comme d’incapables béotiens, aux pièges de leurs déclarations intempestives.1
Ceux d’aujourd’hui semblent n’avoir rien retenu des leçons élémentaires, et c’est ainsi que Donald Trump manie l’ultimatum périlleux et que Benyamin Netanyahou s’enferre dans le projet d’annihiler la résistance palestinienne et de ramener néanmoins les otages.
Mais ceux d’aujourd’hui, pour notre grand malheur, jonglent désormais avec leurs jouets nucléaires comme s’ils pouvait en espérer un coup de poker heureux, et comme s’ils ignoraient les conséquences possibles d’un bluff raté.
Ces risques apocalyptiques, tout simplement inenvisageables, cette hypothèse d’un cataclysme universel, négation de nos prétentions au progrès, déni de nos espoirs de civilisation éclairée sont pourtant connus de tous, ils sont « l’éléphant dans le couloir ».
Et cependant, nous regardons la scène sans réactions, et cependant les media observent sagement la partie, interrogeant de manière surréaliste des savants, des prétendus philosophes et des soi-disants experts qui se perdent en analyses érudites et manient les hypothèses de guerre nucléaire comme s’ils jouaient un jeu d’arcades.
Mais non, c’est de nos vies qu’il s’agit, des vies de l’humanité entière. C’est de tout ce que l’humanité a construit et produit avec tant d’acharnement et tant d’espoirs et de fierté qu’il s’agit.
C’est de tout ce qu’elle a pu construire de matériel et de tangible, de tout ce qu’elle a pu élaborer d’intellectuel, d’artistique, de symbolique, de moral, de civilisé.
Et c’est cela qui peut désormais être vaporisé à l’échelle mondiale ; Hiroshima et Nagasaki jadis, Gaza et l’Ukraine aujourd’hui, ne préfigurent-ils pas suffisamment cette horreur ?
Tous feignent d’oublier que la seule considération acceptable vis à vis de la menace thermonucléaire fut celle de l’équilibre de la terreur, postulant que l’arme ne serait jamais employée. Théorie certes terrifiante et imbécile, mais pour un temps plausible faute de mieux, elle postulait que la menace crédible serait de nature à dissuader d’une attaque.
Or ne voilà-t-il pas qu’au sein de l’Occident éclairé on en vient aujourd’hui à présumer que la Russie de Vladimir Poutine n’osera jamais utiliser ses armements pour défendre ses« intérêts vitaux ». Ce qui signifie que l’on peut désormais considérer la dissuasion nucléaire comme non crédible, et que l’on peut donc sans risque acculer son possesseur à la capitulation.
Et ne voilà-t-il pas qu’en Macronie même on s’autorise cette spéculation, en feignant de ne pas voir qu’elle réduit à néant les fondements-mêmes de notre fierté mal placée, de notre coûteuse « force de dissuasion », que sans doute nous n’oserions jamais utiliser nous non plus.
Il saute donc aux yeux que ces grands dirigeants ne sauront rien faire pour éviter le piège de la guerre qui point ; ils semblent même tout faire pour la rendre chaque jour plus plausible, et pire, pour nous accoutumer à cette effroyable idée.
Mais alors, ne reste-t-il aucune chance d’éviter cette issue aberrante ?
Si un seul espoir demeure, il réside dans la possibilité d’une mobilisation des peuples contre l’holocauste qu’on leur promet. Seule leur lucidité et leur détermination collective, convergente et massive peut encore prévenir une telle catastrophe. Nous devons nous instruire de l’histoire.
Nous devons nous dresser contre les fauteurs de guerre, contre les profiteurs de guerre spéculant déjà. Nous devons refuser la marche à la guerre, ici, partout où nous sommes, nous tous citoyens du monde où que nous soyons, car aucun de nous n’a de pouvoir sur l’ailleurs.
Nous devons nous donner les organisations et les slogans nécessaires.
Nous devons croire à l’universalité de cet espoir sans nous défier des autres, en croyant à cette solidarité indispensable avant la catastrophe.
Nous ne pouvons plus nous permettre le fatalisme.
Ce n’est pas là un rêve naïf, ce n’est pas une élucubration délirante. C’est une nécessité de bon sens.
Souvenons-nous que seul le peuple étasunien sut ramener à la raison le complexe politico-militaro-industriel qui écrasait jadis le Vietnam. Souvenons-nous que les Espagnols purent arrêter naguère un Aznar décidé à guerroyer en Irak, premier exemple historique d’une guerre ainsi refusée ?
L’avenir est encore entre nos mains, et les moyens de presse ont entre les leurs les outils nécessaires pour nous aider à nous faire entendre.
Que tous méditent les rôles de l’information et des medias dans les conflits historiques, et leur contrition tardive lorsque le mal était consommé…
Gérard Collet