Allouville-Bellefosse (Seine-Maritime), reportage
Dans sa caisse, sous sa couverture, un hérisson affaibli pointe le bout de son museau. Ses congénères, chacun installé dans une grande boîte en plastique, tentent comme lui de se rétablir, au chaud et au calme. Les gestes de Laure Prévost, qui peine à expliquer une telle explosion du nombre d’animaux malades, sont précautionneux. L’un des animaux, presque endormi, sursaute à chaque déclenchement de l’appareil photo : afin de ne pas le déranger davantage, les clichés resteront limités.
« Nous recevons de plus en plus d’orphelins, c’est-à-dire des jeunes non sevrés », témoigne la soigneuse. Responsable du centre de soin, Laure Prévost accueille les animaux sauvages — renards, buses, écureuils, faucons ou phoques — au centre Chene (Centre d’hébergement et d’étude sur la nature et l’environnement) depuis 2005. Située à mi-chemin entre Rouen et Le Havre, l’association est l’une des plus réputées de la région en matière de protection de la faune sauvage. Plusieurs bâtiments sont dédiés au soin des animaux, dans l’objectif de pouvoir les relâcher.
Ces nombreuses arrivées déstabilisent la soigneuse, car le hérisson est un animal robuste. À quelques pas d’elle, un congélateur-coffre porte l’inscription « Hérissons – équarrissage ». À l’intérieur, des centaines d’animaux, chacun dans un sac congélation. Au Chene, les hérissons arrivant blessés ou malades étaient 150 en 2005 ; ils sont plus de 700 aujourd’hui — une partie de cette augmentation est due à la hausse de la notoriété de l’association. Un chiffre inversement proportionnel au nombre d’animaux observés depuis plusieurs décennies, en chute libre.
Si tigres et ours blancs font déjà partie dans l’inconscient collectif des espèces que les futures générations pourraient ne jamais connaître à l’état sauvage, d’autres bien plus discrètes et familières des Occidentaux pourraient connaître le même sort.
Un effondrement des populations
Animal du quotidien en France, le hérisson est récemment passé du statut de « préoccupation mineure » à « quasi menacé ». Comme une sentinelle de l’état de nos écosystèmes, il subit la dégradation d’un environnement qui affaiblit et tue les espèces sauvages.
Les études menées en France sont trop rares pour chiffrer l’évolution de la population des hérissons, mais la recherche britannique estime que, de 36 millions d’individus dans les années 1950, ils n’étaient plus que 500 000 en 2020 au Royaume-Uni. Un effondrement que les spécialistes n’expliquent encore que partiellement.
Surnommée « Docteur Hérisson », Sophie Lund Rasmussen est chercheuse sur la conservation de la faune sauvage de l’Université d’Oxford. Passionnée par ce petit mammifère insectivore, elle s’est engouffrée dans la « niche » de la recherche sur les hérissons. Et confirme : « Sa population souffre d’un déclin sévère depuis de nombreuses années. C’est uniquement par manque de données que le hérisson n’est pas directement passé au statut de “vulnérable”, pire que celui de “quasi menacé”. »
Les hérissons amenés vivants dans les centres de soin meurent principalement de maladies, car ils ont été trouvés déjà affaiblis. Mais « la cause la plus importante de la disparition brutale de l’animal reste le trafic routier, qui tue des centaines de milliers de hérissons chaque année », poursuit Sophie Lund Rasmussen. Selon l’association France Nature Environnement, l’une des rares à s’intéresser à ces animaux, les collisions avec des voitures étaient responsables de 83 % des morts de hérissons en 2023.
Sols appauvris par l’agriculture intensive
Routes, clôtures… L’habitat de l’animal est devenu fragmenté. Or, pour se reproduire dans de bonnes conditions, ce petit mammifère solitaire a besoin d’élargir son territoire. L’urbanisation réduit ses possibilités d’escapade, entraînant un taux de consanguinité de plus en plus élevé qui fragilise les nouvelles lignées. « La plupart des animaux meurent au centre, et nous refusons l’acharnement ou les antibiotiques, explique Laure Prévost. Malheureusement, respecter la faune sauvage, c’est aussi respecter le processus primordial de sélection naturelle. Relâcher des animaux avec des tares, c’est prendre le risque qu’ils les transmettent et affaiblissent encore plus l’espèce. »
Les sols appauvris par l’agriculture intensive rendent la nourriture du hérisson plus rare et parfois toxique. Insectes, escargots, limaces et petits mammifères contaminés par les pesticides et poisons, type mort aux rats, finissent digérés par les petits mammifères, les rendant malades à leur tour. « Neuf hérissons sur dix que j’ai examinés post-mortem portaient des traces d’ingestion de pesticides, dit Sophie Lund Rasmussen. La moyenne d’âge des 4 000 individus examinés ne dépassait pas les 2 ans, alors qu’un hérisson peut dépasser l’âge de 10 ans. »
Victime d’un habitat réduit, le hérisson finit par trouver refuge dans nos jardins, mais ceux-ci peuvent regorger de pièges mortels. Clôtures, filets pour potagers, buts de foot, attaques de chiens, feux de talus, mares et piscines, herbicides… Sans parler des redoutables tondeuses, contre lesquelles la défense de l’animal — se mettre en boule — ne peut rien.
Conseils pour un jardin accueillant
Inverser la tendance est pourtant possible. « Je reviens du Parlement européen, devant lequel j’ai exposé les menaces pesant sur le hérisson, dit Sophie Lund Rasmussen. J’ai rencontré des personnes très motivées à l’idée de créer un programme de recherche européen sur sa sauvegarde. Ce qui me motive le plus, c’est que nous pouvons tous agir. La survie du hérisson aura lieu dans nos jardins : à nous de les aider ! »
Même pétris des meilleurs intentions, les sauveteurs amateurs font parfois plus que de bien que mal. Il existe des règles simples à respecter afin de créer un jardin accueillant pour le hérisson, à commencer par l’enrichissement de son milieu : herbes hautes, buissons ou tas de bois lui permettent de trouver refuge. Carrés potagers en palettes peuvent également lui servir d’abri. La construction de passages entre les clôtures des jardins lui permet de se déplacer en sécurité. Exemple : des petites ouvertures au ras du sol ou des tubes fixés aux grillages lui facilitent sa recherche de partenaire ou de nourriture.
« Offrons-lui le gîte, de l’eau, mais pas le couvert ! »
« Une erreur courante est de vouloir à tout prix les nourrir, explique Laure Prévost. Nous devons éviter d’intervenir dans l’écosystème. Le hérisson sait trouver sa nourriture. Offrons-lui le gîte, de l’eau, mais pas le couvert ! » Sophie Lund Rasmussen complète : « Le mythe autour des croquettes pour chats est coriace, alors que leur taux élevé de protéines crée des problèmes de rein chez les hérissons. De plus, il s’agit d’un animal solitaire qui ne partage pas sa nourriture. Avec une gamelle, nous risquons de créer des conflits et les transmissions de maladies. »
Vous pouvez aussi vous s’inscrire à l’opération Hérisson de France Nature Environnement, un programme de recensement participatif du hérisson d’Europe — plus de 6 700 observations par an sont réalisées. Enfin, en cas d’animal trouvé malade ou blessé, un seul réflexe : appeler un vétérinaire ou un centre de soins. La construction de petites ouvertures au ras du sol ou la fixation de tubes entre deux clôtures sécurisent ses déplacements et facilitent sa recherche de partenaire ou de nourriture.
À CAEN, DES PASSAGES À HÉRISSONS
Recréer des passages entre les maisons et les lieux publics ou entre les maisons elles-mêmes pour permettre le déplacement des hérissons de jardin en jardin : tel est le but de Piqu’Caen, une initiative caennaise chapeautée par le Groupe mammologique normand. Le hérisson d’Europe se déplace de 1 à 2 km par nuit et a donc besoin d’un territoire de plusieurs hectares par individu pour trouver de quoi manger (vers de terre, escargots, limaces…).
Le programme normand a pour objectif de créer du lien social par le biais de la protection animale : au-delà du fait d’animer des ateliers permettant de créer des gîtes et des passages pour les hérissons, le projet tisse des liens entre les habitants. 300 jardins se sont portés volontaires pour créer ces « autoroutes pour hérissons » et dix communes de la communauté urbaine de Caen-la-Mer se sont joints à l’initiative.
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