• lun. Sep 30th, 2024

Malades de la pollution, ces citoyens créent leurs centres de recherche


L’histoire est toujours la même. Sur un petit territoire, de nombreuses personnes tombent malades sans raison apparente. La plupart du temps, aucune étude approfondie n’est ordonnée par les autorités. Inquiets, des riverains se mobilisent. Ils montent des collectifs, alertent la population, interrogent leurs élus et les instances sanitaires. En vain. Après des années de lutte, plusieurs collectifs de citoyens ont choisi d’ouvrir un « centre de recherche citoyen » dans leur ville. Un modèle d’établissement original leur permettant de combler le vide scientifique laissé par les autorités sanitaires.

Ces citoyens engagés habitent dans l’Aude, dans les Alpes, en Loire-Atlantique et en Île-de-France. Sous leur impulsion et à l’aide de subventions publiques et privés, de cotisations d’adhérents, de dons, trois centres de recherche écocitoyens et un observatoire ont ouvert leurs portes en 2023 et 2024. Leurs travaux débutent tout juste : les directions et les scientifiques viennent d’être recrutés (ou le seront très prochainement), les collèges représentatifs des différentes parties prenantes (citoyens, politiques, industriels, etc.) sont en cours de finalisation et les locaux tout juste investis. Le centre de Sainte-Pazanne, en Loire-Atlantique, s’installera bientôt dans un espace de la mairie annexe de Machecoul-Saint-Même.

Dans les prochaines semaines, les sujets et les protocoles de recherche seront choisis et discutés avec les citoyens. L’objectif : répondre scientifiquement aux questions très matérielles qui émergent sur le territoire. Par exemple, que contient le panache de fumée de l’incinérateur ? Est-il responsable de l’asthme de mes enfants ?

Les bassins de l’usine de raffinage d’Orano Malvési en 2019. En 2004, une digue s’es rompue et a entraîné l’écoulement de boues nitratées.
Wikimedia Commons/CC BYSA 4.0 Deed/MunyTankey

L’idée est de se départir des contraintes politiques (une échéance électorale, une actualité économique) et scientifiques (un financement lié à une question particulière) pour garder en ligne de mire l’objectif de « mieux connaître les risques liés aux activités humaines, notamment industrielles et logistiques » du territoire, explique Philippe Chamaret, le directeur de l’Institut écocitoyen pour la connaissance des pollutions de Fos-sur-Mer, qui a servi de modèle.

En fonction des sujets retenus, les établissements pourront s’appuyer sur des bénévoles pour collecter des données sur le terrain. « Nous avons commencé à impliquer les citoyens en leur demandant de prélever du lichen dans différents contextes : en zone polluée, urbaine et témoin », explique Muriel Auprince, de l’association Coll’air pur, dans les Alpes, qui est à l’origine du projet de centre écocitoyen local. Le lichen constitue une sentinelle de choix pour surveiller la qualité de l’air, car il capte et concentre les polluants atmosphériques.

Des données fiables en toute indépendance

« La santé environnementale mêle deux domaines complexes, qui disposent chacun d’un guichet administratif différent », explique Philippe Chamaret. La Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) s’occupe des questions environnementales, tandis que l’Agence régionale de santé (ARS) est chargée des sujets sanitaires. Résultat : les habitants trouvent difficilement le bon interlocuteur. Comment prouver une pollution lorsque les chiffres officiels ne sont pas disponibles ? Pire, lorsque celle-ci n’est tout simplement pas évaluée ?

À l’échelle hexagonale, seuls vingt-deux départements disposent d’un registre des cancers. « Rarement ceux qui détiennent des sites Seveso », dit Viviane Thivent, élue écologiste (opposition) à la mairie de Narbonne et secrétaire de l’institut écocitoyen audois. À Sainte-Pazanne, en Loire-Atlantique, alors que 25 cancers pédiatriques (dont 7 mortels) ont été recensés en quelques années sur un petit territoire, ces registres n’étaient pas à jour. Faute de foyer épidémique officiel, les investigations des autorités sanitaires ont été abandonnées. Pourtant, Santé publique France a identifié des sols gorgés d’hydrocarbures, une pollution au benzène liée aux rejets industriels et au trafic routier, et enfin une exposition possible au radon, aux champs électromagnétiques et aux pesticides.

L’Institut citoyen de recherche et de prévention en santé environnementale qui vient d’ouvrir en Loire-Atlantique va enfin reprendre les investigations. « Les premières missions à mener seront de synthétiser l’ensemble des données scientifiques en notre possession pour déterminer, avec le conseil scientifique, des projets de recherche », expliquait à Ouest-France sa directrice fraîchement nommée, Solenn Le Bruchec. Ensuite, l’institut s’attaquera sans doute aux effets combinés des différentes sources de pollution, précisait-elle.

Des rejets industriels mal contrôlés

Dans la vallée de l’Arve, en Haute-Savoie, « l’une des plus polluées de France », le collectif Coll’air pur manque lui aussi cruellement de données. Il a ainsi créé le centre écocitoyen pour y pallier et mettre fin aux contestations. Depuis huit ans, ce groupe de femmes s’inquiète de la prévalence des pathologies respiratoires et se bat contre la pollution dans une cuvette alpine particulièrement vulnérable à l’accumulation de polluants. « Dans la vallée, il y a tout : l’autoroute qui monte au tunnel du Mont-Blanc, des usines qui libèrent du HAP [des hydrocarbures aromatiques polycycliques] et du benzoapyrène, un incinérateur et du chauffage au bois », détaille Muriel Auprince.

En 2018, une étude menée à la demande du collectif a révélé « la présence de métaux toxiques (aluminium, zinc, cuivre, chrome et nickel) en proportions alarmantes dans les poussières et de composés organiques volatils soufrés malodorants », laissant peu de doute quant à l’origine industrielle de cette pollution. Après avoir soulevé l’indignation dans la population, ces résultats ont finalement été minimisés par les autorités, jugeant le protocole imprécis.

Sur les hauteurs de Passy (Haute-Savoie), le nuage de pollution est visible à l’œil nu en hiver.
© Coll’air pur

Les études suivantes commandées par l’association ont pourtant révélé tour à tour des métaux lourds dans les champignons, des dioxines dans les œufs, des HAP et du benzoapyrènes dans la terre, des métaux lourds et des terres rares dans les cheveux des enfants. « Malgré ces alertes, les autorités locales ne nous ont jamais pris au sérieux », se désespère Muriel Auprince. Avec le centre écocitoyen et la réalisation de recherche scientifique dans les règles de l’art, « on ne pourra plus nous dire que les résultats ne sont pas corrects ! » se réjouit-elle.

Renouer le dialogue

Dans l’Aude, le sujet de la pollution est inflammable tant les secteurs incriminés ou potentiellement touchés sont stratégiques (nucléaire, passé minier, tourisme, etc.). Les premières tensions sont apparues il y a plus de vingt ans. Depuis, le dialogue entre élus et citoyens est rompu. « Les gens ont l’impression d’avoir été trompés, qu’on ne leur dit jamais quels sont les risques auxquels ils sont exposés, analyse Christelle Gramaglia, directrice du centre audois qui vient d’être monté. L’institut écocitoyen constitue une occasion de renouer le dialogue, il ne peut pas y avoir un contrôle démocratique des activités industrielles si personne ne se parle. »

L’incident de 2004 à l’usine de raffinage d’Orano Malvési, en périphérie de Narbonne — qui convertit un concentré de minerai d’uranium faiblement radioactif, mais nocif à l’inhalation —, a notamment marqué la population : « Une digue d’un bassin s’est rompue et a déversé son contenu alentour. C’est ainsi que les riverains ont découvert que ces bassins à ciel ouvert contenaient des minéraux uranifères, mais également des produits issus de tentatives de retraitement de déchets radioactifs déjà usagés », raconte Viviane Thivent. Les riverains ne connaissaient même pas la nature des activités du site.

Les élus « ne veulent pas parler de la pollution »

Dans la vallée de l’Orbiel, située à une soixantaine de kilomètres de l’usine de Malvési, une pollution massive à l’arsenic issue d’une ancienne mine d’or inquiète aussi les habitants. Mais les élus préfèrent rester discrets. « C’est une région qui a souffert économiquement à la fermeture des mines. Les élus souhaitent sortir de ce marasme et ne veulent pas parler de la pollution », raconte Viviane Thivent. Si bien qu’en 2013, lorsque le béal de Sindilla — un petit cours d’eau parallèle à l’Orbiel — a débordé, le préfet a minimisé la contamination à l’arsenic.

Ces événements successifs ont forgé dans la région un passif difficile à dépasser. « On présente les perceptions des riverains comme des inquiétudes presque irrationnelles, raconte la sociologue Christelle Gramaglia. En plaçant les questions des citoyens au cœur des travaux, les centres de recherche citoyens se nourriront des alertes des habitants, les plus fins connaisseurs de leurs territoires. »



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