Un géant de l’agrobusiness ciblé par des écologistes en Belgique


Gand (Belgique), reportage

Plus de 700 activistes (400 selon la police) ont bloqué et investi un site du géant du négoce Cargill, dans le port de Gand, en Belgique, samedi 27 février, lors de la cinquième édition de Code Rouge, un mouvement belge de désobéissance civile.

Alors qu’ils s’en étaient jusqu’ici pris à l’industrie des énergies fossiles, comme TotalEnergies et l’aviation, les activistes ont cette fois ciblé l’agrobusiness et l’une de ses plus grandes multinationales.


«  Nourrissez les gens, pas le profit  », peut-on lire sur cette banderole. Les activistes sont arrivés en différents groupes sur le lieu de l’action.
© Léa Guedj / Reporterre

Samedi matin, des cars ont transporté les militants belges, français ou encore néerlandais vers le lieu de l’action, à 60 kilomètres de Bruxelles. Arrivés sur place à 10 heures, ils ont caché leurs visages et enfilé leurs combinaisons blanches en vitesse, avant d’ériger des barricades à l’entrée du site industriel.

« Mangez les riches »

Durant six heures, ils ont occupé les lieux, clamant leur solidarité avec les paysans. Des banderoles ont été déployées : « Feed people, not profit » (« Nourrissez les gens, pas les profits »), « Eat the rich » (« Mangez les riches ») ou « Support farmers, not CEOs » (« Soutenez les agriculteurs, pas les PDG »). À l’intérieur, des bureaux ont été saccagés, tandis que les sirènes de l’usine retentissaient.


Les activistes ont passé six heures dans le site de Cargill, dont ils ont profité pour repeindre et redécorer.
© Léa Guedj / Reporterre

« Les activités de l’entreprise ont été interrompues pendant toute une journée et d’autres sites industriels ont également été fermés par précaution », précise Code Rouge qui se félicite d’une « action réussie ».

Code Rouge avait annoncé en amont sur son site qu’il viserait une entreprise qui « influence les prix des denrées alimentaires », « défend des accords de libre échange néfastes comme l’accord UE-Mercosur » et « responsable de nombreuses violations des droits humains et de l’environnement ».


Les locaux du géant de l’agrobusiness n’ont pas été épargnés.
© Léa Guedj / Reporterre

Les militants ont quitté les lieux vers 16 heures, « conformément à ce qui avait été négocié avec la police », qui n’est d’ailleurs pas intervenue au cours de l’action, si ce n’est pour encadrer leur départ.

Arrestations préventives

Près d’une centaine de personnes ont été arrêtées administrativement en amont de l’action, toutes libérées en fin de journée. L’entreprise Cargill n’a pas répondu à notre sollicitation, ni communiqué publiquement.


La police est restée de l’autre côté des barricades de fortune installées par les militants en début d’action.
© Léa Guedj / Reporterre

« Cargill pay the bill ! » (« Cargill paye l’addition ! »), scandaient les activistes. Depuis les quais du port de Gand, ils apercevaient les immenses grues qui récupèrent habituellement les matières agricoles, transportées par d’énormes navires venus du monde entier. Elles sont ensuite stockées dans des silos et transformées en alimentation animale et en biocarburant. C’est l’un des huit sites détenus par Cargill en Belgique, un géant étasunien du négoce qui possède également quatorze sites en France. 

Cet acteur méconnu du grand public fait partie des « ABCD » (pour Archer Daniels Midland, Bunge, Cargill et Louis Dreyfus), qui règnent sur le marché mondial des céréales. Il transforme et échange de nombreuses matières premières, principalement agricoles, mais aussi des fertilisants, de l’acier, du pétrole ou encore des produits chimiques. Acteur majeur du négoce mondial de cacao, Cargill contrôle aussi près de 20 % du marché du chocolat.

« Une entreprise gigantesque telle que Cargill a la mainmise sur l’ensemble de la chaîne alimentaire »

Le groupe a été ciblé par les activistes parce qu’il « tire les ficelles de l’agrobusiness dans l’ombre ». « Entre les deux bouts de la chaîne, agriculteurs et consommateurs, ce sont eux qui captent la valeur », explique Chloé Levain, porte-parole de Code Rouge et membre des Soulèvements de la Terre en Belgique.

« Une entreprise gigantesque telle que Cargill a la mainmise sur l’ensemble de la chaîne alimentaire : elle achète à prix très faible les produits des agriculteurices, encourage les monocultures et l’utilisation massive d’engrais et de pesticides, avec toutes les conséquences que cela implique pour la biodiversité, l’environnement et le climat », détaille le mouvement.


«  Les fermes se font manger, demain nous aurons faim  »
© Léa Guedj / Reporterre

D’un côté, 20 % des agriculteurs belges vivraient en dessous du seuil de pauvreté ; de l’autre, la précarité alimentaire augmente, tandis qu’au milieu, les entreprises comme Cargill font des profits, plaident les militants.

L’entreprise a ainsi déclaré 160 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2024, et ses propriétaires — la famille milliardaire Cargill-MacMillan — se sont versé de généreux dividendes. Ce qui n’a pas empêché la multinationale d’annoncer le licenciement de 5 % de ses effectifs mondiaux, dont 164 emplois en Belgique.

« Il n’y a pas d’autre solution que de mener des actions directes »

Un constat qui révolte la célèbre militante pour la justice climatique, Greta Thunberg, présente sur le blocage du site de Cargill. « Je suis ici parce qu’il n’y a pas d’autre solution que de mener des actions directes, a expliqué l’activiste suédoise à Reporterre. On ne peut pas compter sur des grosses multinationales de l’agrobusiness comme Cargill qui détruisent notre planète, exploitent nos paysans et les consommateurs, juste pour garder leur monopole et leurs profits. »

La militante salue l’alliance que le mouvement Code Rouge tente d’opérer avec les agriculteurs belges, à l’image de celle réalisée avec la Confédération Paysanne par les Soulèvements de la Terre en France qu’elle considère comme « une grande source d’inspiration ».


Greta Thunberg, coiffée d’un keffieh en soutien à la Palestine, était présente à l’action de Code Rouge.
© Christopher Kebbon

« La convergence est encore loin de celle qu’on devrait atteindre », ajoute-t-elle toutefois. Sur le blocage, aucun drapeau de syndicat agricole. Toutefois, des militants de Code Rouge ont organisé un « Farm Tour » pendant une semaine en janvier, à la rencontre de dizaines d’agriculteurs belges, sur des exploitations tant conventionnelles qu’agroécologiques.

« On ne veut pas s’attaquer à eux, mais à la structure économique et politique qui détermine le modèle agricole »

L’objectif : « recueillir le vécu des premiers concernés », dépasser les discours qui opposent de façon caricaturale des « activistes urbains déconnectés des réalités agricoles » et des « agriculteurs pollueurs opposés à toutes les normes », et identifier « des ennemis communs ».

« On leur a expliqué qu’on ne veut pas s’attaquer à eux, mais à la structure économique et politique qui détermine le modèle agricole, les contraint à des modes de production destructeurs pour l’environnement et les plonge dans la précarité, alors qu’ils sont déjà confrontés aux effets du changement climatique et à l’effondrement de la biodiversité », raconte Gix [*], militante de Code Rouge qui a participé à ces rencontres.


Pour les activistes, s’en prendre concrètement à Cargill contribue à s’en prendre directement au modèle économique qui précarise les paysans et ravage la planète.
© Léa Guedj / Reporterre

Quelques paysans étaient présents parmi les participants à l’action, comme Henry [*], 26 ans, maraîcher depuis trois ans en Wallonie. Pour lui, Cargill était un choix judicieux : « Ils font partie de ceux qui vont toujours diminuer le prix d’achat proposé aux agriculteurs, maximiser leurs marges, tandis que les conditions des producteurs se dégradent. » 

Raccoon [*], installé en maraîchage bio en Flandres, est lui venu pour demander « que les ressources européennes de la politique agricole soient distribuées différemment, pour soutenir les agriculteurs qui essaient de faire leur travail de façon durable et mieux rémunérer leurs actions de transition ». « Là, on est plutôt dans une politique qui soutient un système d’exploitation à grande échelle offrant des profits aux entreprises comme Cargill », dit-il.


Les activistes ont pu partir en fin d’après-midi sans se faire arrêter.
© Léa Guedj / Reporterre

Sur le chemin du retour, tandis qu’ils marchaient tous vêtus de blanc à travers champs, sous le regard des vaches interloquées, les militants ont croisé une éleveuse. « Ils ont raison », approuve-t-elle à leur passage, en précisant que des agriculteurs de la région vendent leur production à Cargill, « plutôt que de les utiliser pour nourrir nos animaux localement ».

Les rencontres entre les activistes et les agriculteurs ont déjà abouti à une tribune parue dans le journal L’Avenir et signée par 150 agriculteurs belges, en soutien à l’action de Code Rouge : « L’an dernier, des milliers de tracteurs bloquaient les autoroutes et le centre de Bruxelles. Nous étions bien seuls à revendiquer des changements structurels dans le secteur agricole. Pourtant, l’alimentation est l’affaire de tous. […] Ces jeunes intrépides réunis sous le nom de Code Rouge se joignent à nous pour dire STOP, ça suffit. »

« Pour survivre, nous avons sans cesse appliqué les orientations de la politique agricole et les exigences de l’agro-industrie : produire plus, intensifier, calibrer, sélectionner… C’était ça ou la mort, dénoncent-ils. Beaucoup de fermes ont disparu. Comptez-les dans vos villages. Où sont les paysans ? Ceux qui ont survécu sont des héros, même s’ils ne sont pas toujours fiers de leurs pratiques et de leurs dépendances à l’agro-industrie. Ils ont fait leur possible. Pour vous nourrir. »



Source link

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *