Feux en Bolivie : l’agro-industrie se frotte les mains


Au 30 septembre 2024, les feux avaient déjà dévoré plus de 10 millions d’hectares en Bolivie. Et ce n’est pas fini. À ce jour, plus de 40 feux sont toujours actifs.  Qui se cache derrière cette folie pyromane ? Réponse dans cet article.

Beaucoup de ces incendies sont planifiés. Ils ont pour but de détruire la forêt pour la convertir en parcelles à destination de l’agro-industie. Reportage sur ce vol organisé.

Une épidémie d’incendies

La majorité de la surface qui est partie en fumée se trouve dans les département de Santa Cruz et du Beni, sanctuaires de biodiversité. À Santa Cruz, 28 % de la surface brûlée se trouve dans des territoires de communautés autochtones, 22 % dans des aires protégées (parcs naturels) et 12 % dans des terres appartenant à l’État. 1 Carte Fundacion Tierra

Les analyses de la Fondation Tierra révèlent que « les principaux responsables des incendies sont les grandes propriétés dédiées à l’élevage et les colonies que l’État a autorisées à s’installer sur des terres lui appartenant »

Le déboisement d’énormes parcelles aux fins d’y installer des monocultures est mécanisé et se fait sur plusieurs hectares, ce qui le différencie des techniques de brûlis traditionnel, beaucoup plus modestes. Le danger d’embrasement de ces zones dédiées à la monoculture est donc bien supérieur. Gonzalo Colque, chercheur à la Fondation Tierra, affirme :

« Une grande partie des incendies démarrent de zones déboisées à grande échelle pour la monoculture et l’élevage, et de colonies et installations irrégulières » 

Beaucoup d’incendies sont concentrés sur des zones d’extension de la frontière agricole, où les conflits pour l’appropriation des terres sont de plus en plus fréquents et violents.

Ruth, de la Nation Uchupiamona et porte-parole de la CONTIOCAP explique : « les responsables de ces incendies hors de contrôle sont les grands capitaux de l’agroindustrie qui investissent dans l’élevage, dans la monoculture de soja, etc. Les intérêts économiques, les banques, sont derrière ces méga-feux, qui servent à engranger des bénéfices, à s’approprier des terres appartenant aux Premières Nations, aux petits paysans ou faisant partie d’aires protégées. Ces zones sont essentielles pour protéger la biodiversité, l’eau, les forêts, la faune et aussi notre diversité culturelle. Nous sommes les premières victimes. Nous, Peuples Premiers, savons comment pratiquer le brûlis sur de petites parcelles pour produire nos aliments et atteindre notre souveraineté alimentaire sans provoquer d’incendies non controlés. »

Asamblea por los Bosques y la Vida

Manque de moyens ou de volonté ?

Depuis 2019, ces méga-feux dévastent la Bolivie tous les ans et pourtant le pays ne compte pas avec les ressources humaines et matérielles suffisantes pour les combattre. Parmi ceux qui luttent contre les feux, beaucoup sont des pompiers volontaires, qui doivent acheter eux-mêmes leur équipement.

En octobre 2024, Noel Kempff Mercado, corps de protection du Parque National, exprimait sa profonde préoccupation : « Nous souhaitons que les autorités compétentes réagissent, qu’elles cessent de cacher l’importance de ces incendies. La cicatrice laissée par les flammes fait déjà plusieurs milliers d’hectares. Trois averses ont arrosé la zone mais cela a seulement permis de baisser l’intensité des feux pendant quelques jours. Avec les fortes températures et le vent, les feux se sont réactivés. Nous avons besoin de combustible, de véhicules et de personnes. »

Anahi Paravicini, des Bomberos Forestales Quebrachos, raconte son expérience en première ligne : « Il manque le matériel nécessaire pour pouvoir atteindre des lieux difficiles d’accès. Cela peut nous prendre des jours pour arriver au lieu de l’incendie, qui est entre temps devenu incontrôlable. Avec mon unité, nous avons pu éteindre un incendie problématique grâce à un véhicule que nous avons pu acheter et adapter grâce à un crowfunding ! Il n’y a pas de camions de pompiers en Bolivie. Les pompiers travaillent de jour et de nuit, sans pause, et sans protection adéquate. Plusieurs communautés ont été entièrement dévorées par les flammes. J’ai vu des enfants de 10 ans venir nous aider à éteindre les incendies parce que leurs maisons étaient gravement menacés. Beaucoup d’animaux on été touchés. Ils sont morts de la manière la plus douloureuse qui soit. Même si ces incendies se répètent tous les ans, il n’y a pas d’appui politique et encore moins économique. Aucune vision pour prévenir, anticiper. »

La fumée produite par ces incendies rend l’air irrespirable dans tout le pays et induit de graves problèmes de santé. En septembre 2024, la qualité de l’air à Santa Cruz était considérée « nocive » et « dangereuse » sur la majorité du mois. Après les feux, les dommages environnementaux persistent : pollution de l’eau par les cendres, pertes d’écosystèmes, destruction des moyens traditionnels de vie et insécurité alimentaire.

Le gouvernement bolivien a été réticent à déclarer l’état de désastre national, retardant ainsi l’accès aux fonds d’urgence et à l’aide internationale. Avec une telle mesure, l’impact de ces incendies aurait pu être moindre.

Incendies y déforestation

Les investigations de la Fondation Tierra prouvent que de nombreuses terres où les déboisements ont été autorisés se superposent aux zones touchées par les incendies.

Le rapport d’Oxfam montre également que la déforestation en Bolivie est intrinsèquement liée à un modèle économique qui priorise le trafic de la terre. En effet, le coût d’achat de terres forestières est bas. Et la transformation de ces terres en terrains agricoles représente un investissement très rentable

L’élevage est au 1er rang quant au changement d’usage des sols dans les régions brûlées. Puis viennent le soja, le sorgho, le tournesol et la canne à sucre. Enfin depuis peu, le gouvernement incite au développement de l’huile de palme pour la fabrication d’agrocarburant.

« La Bolivie a ainsi connu une hausse alarmante de sa déforestation, qui a bondi de 351% entre 2015 et 2023, une tendance qui ne montre aucun signe d’atténuation »

La politique du gouvernement bolivien incite clairement à l’expansion de la frontière agricole, en multipliant subventions et lois favorables aux industries de ce secteur, en maintenant des lois qui nuisent à la protection des forêts et en favorisant l’installation de groupes qui leur sont politiquement favorables sur des terres appartenant à l’État. Tout ceci en contradiction avec le modèle politique que promeut la Constitution bolivienne et les objectifs de développement établis dans les plans nationaux et déclarations internationales.

La principale demande de la société civile est l’annulation de lois qui favorisent cet état de fait appelées « las leyes incendiarias ». Il est urgent de développer des politiques qui permettent de lutter efficacement contre ces incendies, avec des mécanismes de contrôles et de sanctions.

– Julia Blagny

La rémunération de cet article, aussi humble soit-elle, sera reversé aux communautés boliviennes locales en geste de solidarité.

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