• ven. Sep 20th, 2024

la canicule assomme les quartiers populaires


Toulouse (Haute-Garonne), reportage

« Je rêve juste d’une petite chambre, quelques jours au bord de l’océan, soupire Kadidja, 64 ans. Observer les rouleaux, respirer l’air marin et changer de décor. » Des larmes ruissellent sur ses pommettes. Elle s’excuse. Puis, entre deux sanglots, murmure : « Malheureusement, nous ne pourrons jamais nous payer ça. Nous sommes condamnés à rester dans ce trou à rat. » D’une main délicate, son époux Mohammed la console en silence.

Le 29 juillet, le thermomètre a franchi les 39 °C à Toulouse. À La Faourette, quartier populaire blotti entre la rocade et la Garonne, les habitants des barres HLM des années 1960 suffoquent. Nuit et jour, les hélices du ventilo bercent Kadidja et Mohammed. Tous deux retraités, leur T4 s’est transformé en « véritable fournaise » : « Dans la cuisine, il n’y a plus de volets. Et le bailleur social n’est pas près d’en ajouter », peste le mari.

Ici, la moindre faille peut être pernicieuse. Dans l’encadrure de la porte, au quatrième étage d’une tour, Karim [*] apparaît les yeux mi-clos et les cheveux ébouriffés : « Sans mentir, on étouffe. Surtout ceux n’ayant pas de clim’… comme moi. » Au rez-de-chaussée, une éclipse semble avoir précipité Ferial dans l’obscurité totale. Ses persiennes à la peinture écaillée ont toutes été verrouillées : « Dès que le mercure frôle les 40 °C, plus aucun remède ne fonctionne. Impossible de lutter : dans ces passoires, la chaleur s’infiltre. »

Quartiers d’été

Envoûté par Morphée, Félicien [*] somnole à l’ombre d’un érable. Une brise fiévreuse caresse son visage. « Même en commençant à l’aube, on cuit, témoigne l’ouvrier dans le BTP. Les températures sont insoutenables dès 11 heures. Malheureusement, on n’a pas le choix. Les chantiers n’avancent pas seuls. » À côté de lui, un homme s’improvise un crop top avec son t-shirt déjà imbibé de sueur. Un drap aux motifs d’éléphants abrite un bambin roupillant dans une poussette.

À l’autre bout du parc, un petit bonhomme sort en trombe d’un bâtiment et file en direction des balançoires. En chemin, un grand l’interpelle et lui tend la fin de son goûter : un éclair à la pistache. Jour de chance ! Ilyès s’accroupit au pied d’un résineux pour dévorer ce cadeau tombé du ciel à l’abri du regard de sa mère, sûrement postée à la fenêtre.

Le thermomètre a franchi les 39 °C à La Faourette, un quartier de Toulouse, le 29 juillet.
© Emmanuel Clévenot / Reporterre

« Je suis parti pendant sept jours à Borderouge », lâche le garçon, un brin de fierté dans la voix. Pour lui, l’horizon des grandes vacances s’arrête à cette autre cité de Toulouse, où vivent ses grands-parents. En août, l’herbe jaunie du jardin public et sa chambre seront les seuls terrains de jeux d’Ilyès. Ses copains ont, eux, presque tous pris le chemin du « bled ». Les sourcils froncés, une chemise à carreaux boutonnée jusqu’au col et une pointe de crème sur le bout du nez, il marmonne un furtif « Au revoir » et s’enfuit jusqu’à l’interphone.

À La Faourette, tous les habitants n’ont pas le luxe de quitter le béton pour l’été. Le bouc fraîchement taillé, Hicham tente au mieux de divertir ses deux fillettes, cloîtrées dans un HLM exigu le temps que finisse la canicule : « On attend que passe l’orage, sourit-il. Et d’ici là, on se promène aussi dans la grande surface pour s’aérer l’esprit. » Découpant le ciel dans le boucan habituel auquel plus personne ne prête attention, un avion s’éloigne vers l’ouest. Peut-être vers les Caraïbes ou le Canada, avec à son bord des vacanciers déjà impatients d’atterrir.

Saint-Exupéry

Les corps plaqués contre la devanture d’une banque, en quête du mince filet d’ombre, une dizaine de clients guettent les gestes d’un garçon. Vêtu d’un maillot du Real Madrid, il s’agenouille sur le bitume brûlant et glisse ses doigts sous le rideau métallique d’un commerce clos. Une poignée de secondes plus tard, le voilà un paquet cellophané dans le creux de la main. La canicule n’arrête pas les affaires.

Non loin de là, un chapeau en toile vissé sur la tête, Yamina Chetouni peine à finir son chemin. Opérée il y a peu d’une vertèbre capricieuse, celle-ci la tiraille encore. « Si je pouvais partir maintenant ? J’irais à Canet-Plage », chuchote l’ancienne agente d’entretien, comme une confession. Elle y amenait autrefois sa fille et son fils : « Il y a appris à nager, poursuit la septuagénaire. Quel bonheur c’était les balades au marché et dans les rues piétonnes. »

Aujourd’hui, la modeste retraite qu’elle perçoit l’empêche d’y retourner : « Tant pis », conclut-elle. Dévorer des bouquins à la bibliothèque Saint-Exupéry lui suffit à voyager. Elle se désole, en revanche, du triste quotidien de certains enfants : « Grâce à la Sécurité sociale, j’envoyais les miens en colonie de vacances dans les Landes ou en Corse. Malheureusement, ces programmes n’existent plus. »

« Si seulement les petits ne passaient pas leurs journées enfermés », se désole Huberne.
© Emmanuel Clévenot / Reporterre

Deux jours plus tôt, un garçon de 2 ans a chuté du cinquième étage : « Juste ici, lance Yamina Chetouni, l’index pointé vers un bâtiment. L’un de ses jouets est tombé par la fenêtre, il s’est penché et voilà… » À l’arrivée des secours, l’enfant était en arrêt cardiorespiratoire, précisent nos confrères de France Bleu. Il est décédé à l’hôpital. « Si seulement les petits ne passaient pas leurs journées enfermés », se désole à son tour Huberne, un Haïtien du quartier.

Il est bientôt 19 heures, à La Faourette. Sur les plateaux TV, des journalistes épiloguent sur l’escalade des tensions entre Israël et le Liban. Une atmosphère anxiogène, bien loin de l’image d’Épinal de la grande trêve estivale. Kadidja et Mohammed enfilent leurs chaussures, et s’accordent une sortie. Dehors, l’enseigne lumineuse de la pharmacie annonce 36 °C.



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