• ven. Sep 20th, 2024

Kamala Harris ravive l’espoir des électeurs démocrates


North Hero (États-Unis), reportage

Hero’s Welcome sent l’antimoustique, le bois verni, la laine, le café brûlant et le beurre fondu sur le pain grillé. Ce general store — des magasins/cafés/bureaux de poste que l’on retrouve dans les petites communautés d’Amérique du Nord — fleure aussi bon la complicité entre les clients et les employés. « Tu passeras le bonjour à ta mère ! », lance Paula au caissier en quittant les lieux, casque de vélo sous le bras, burger « Thomas Jefferson » en main, et une envie de jaser sur la présidentielle étasunienne.

« On était morts, mais avec Kamala [Harris] dans la course, on revit. Joe Biden a bien fait d’abandonner, c’était devenu impossible… On espère qu’elle a aussi bien saisi l’urgence climatique que lui ! » Jugé trop vieux, le président sortant Joe Biden a en effet cédé sa place dans la course électorale à sa vice-présidente, Kamala Harris, considérée par certains comme une « championne du climat ».

North Hero, perché à 32 mètres au milieu d’une île minuscule, dans le Vermont, à deux pas du Canada, frise le millier d’habitants. En trois heures passées au Hero’s Welcome, on a bien l’impression d’avoir vu défiler tout le village. Dans ce general store, on vend chaussettes, burgers aux noms de présidents étasuniens, lave-vitre et muffins au citron. On y trouve de tout, rien d’étonnant. Mais sa devanture surprend : deux bancs sont installés côte à côte, l’un bleu, l’autre rouge. À gauche, il y est apposé une plaque « Démocrates ». Sur l’autre, « Républicains ».

Parmi les touristes ou les locaux, certains osent s’asseoir. Sur ces bancs, ils prennent donc position, et la discussion s’emballe autour de la folle campagne présidentielle en cours, qui s’achèvera en novembre prochain.

Devant ce general store, deux bancs : un bleu pour les démocrates, un rouge pour les républicains.
© Théo Bellemare / Reporterre

À vrai dire, un seul banc semble avoir du succès, le bleu. Le Vermont est l’État (hors Washington D.C.) qui a voté le plus pour les démocrates lors de la dernière élection présidentielle (66,1 % pour Joe Biden au second tour), et ça se voit. Tim, qui sert des sandwichs, s’est posé côté gauche. « L’autre jour, je m’étais mis sur le banc rouge [républicain], et on m’a regardé bizarrement. Quelqu’un m’a dit : “Je ne pensais pas que toi, tu étais républicain !” En réalité, je ne suis pas la politique, mais quand je suis sur le banc bleu, on me laisse tranquille. »

Pour Lucy, retraitée au regard et au gilet gris acier, le choix de s’y asseoir est une volonté de montrer son engagement. « Je m’assois toujours de ce côté-ci, et je changerai encore moins maintenant. » Elle reprend espoir, avec l’arrivée de Kamala Harris comme nominée démocrate. « On dit qu’elle est jeune [Kamala Harris a 59 ans] et tant mieux : ça sera la meilleure arme contre [Donald] Trump. Et elle a déjà plein d’expérience. Quand elle était procureure générale, elle a mené la bataille contre des compagnies pétrolières. » Enthousiaste, Heidi l’est aussi. « La première femme présidente, vous imaginez ? Je croise tous les doigts ! »

Heidi, Eliza et Miranda papotent sur le banc démocrate, devant le Hero’s Welcome.
© Théo Bellemare / Reporterre

« Pour rire ou faire jaser »

« C’est une blague, non ? », se demande Gordon, de passage dans le Vermont, en regardant les deux bancs. Là-dessus, les thèses varient. « C’est l’ancien propriétaire, républicain, qui les a peints il y a des années. C’est pour rire ou faire jaser », nous glisse un employé.

Lorie, qui s’affaire à réparer l’étagère à muffins, explique que non, c’est plutôt sérieux. « Les gens réfléchissent à deux fois avant de s’asseoir… et font donc bien attention à leur bord politique. Entre les deux bancs, il y a de bonnes discussions, des fois ! » Un temps, il y avait aussi une chaise, où l’on pouvait lire « sandiniste » — en référence au mouvement révolutionnaire du Nicaragua —, pour ceux qui « étaient très à gauche », se souvient l’employée du bureau de poste attenant au magasin, sorti tout droit des années cinquante.

Au Hero’s Welcome, après avoir acheté son pain, on peut envoyer ses lettres depuis la poste attenante.
© Théo Bellemare / Reporterre

Gordon, un peu gêné, n’ira pas jusqu’à s’asseoir sur l’un de ces bancs. « Fiscalement, je suis conservateur, mais socialement, je suis libéral. Ce qui est sûr, c’est qu’en deux semaines, la campagne a drastiquement changé. Biden a été très bon, mais c’est la fin pour cette génération. L’ego a parlé au départ, il pensait pouvoir poursuivre, mais on le voyait vieillir en direct. »

Dans les discussions sur le banc, le thème du réchauffement climatique semble inexistant, ou presque. Moins de 5 % des Américains sondés par Gallup considèrent que le changement climatique est le principal problème du pays. « L’environnement dans la campagne ? Ça viendra… », balaie Gordon. La tentative d’assassinat de Donald Trump, elle, continue de faire parler : « Un événement horrible, heureusement qu’il n’est pas mort. Maintenant, il faut le battre. »

En parlant des républicains, un de leurs électeurs apparaît enfin : Gary, un soudeur de 48 ans. « Je ne m’assois pas sur le banc rouge, parce qu’il fait trop chaud, mais s’il y avait de l’ombre, j’y serais allé. En 2020, j’avais l’impression d’être le seul du coin. Tout le monde s’emballe sur Harris, mais on ne connaît pas encore son programme : c’est flou. Trump, lui, avance à visage découvert. »

Après trois heures passées ici, personne ne s’est assis sur le banc rouge, quand soudain, Craig s’y assoit. Un électeur républicain ? « Oh non, je faisais juste mon lacet, je me suis posé au plus près de l’entrée. » Encore raté. Pour un débat enflammé entre les deux bancs, il faudra revenir à North Hero.




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