Alors que les mobilisations des agriculteurs risquent de reprendre de plus belle, les écologistes sont la cible d’agressions et de violences de la part de syndicats agricoles productivistes. L’association France Nature Environnement (FNE) a eu droit au cours des dernières semaines à au moins quatre actions de la Coordination rurale contre ses antennes locales dans le Limousin, la Creuse et les Pyrénées-Orientales. Son président, Antoine Gatet, dénonce l’instrumentalisation de la colère des agriculteurs par ces syndicats. Il appelle à traiter les vrais problèmes que subit aujourd’hui le monde agricole.
Reporterre — Dans un communiqué, vous dites que FNE est régulièrement prise pour cible et agressée par des syndicats agricoles, que se passe-t-il ?
Antoine Gatet — On nous empêche tout simplement de faire exister un débat public sur la question de l’agriculture et de l’environnement. Des conférences avec des médecins sur la pollution liée aux pesticides sont perturbées, nos locaux sont dégradés, des séances au cinéma sont envahies, des déchets sont déversés devant le domicile de nos adhérents, certains sont même agressés physiquement et verbalement. Récemment, la conjointe d’un responsable associatif a reçu des pierres et du lisier a été jeté devant chez eux. Ces syndicats tentent de nous faire peur et de nous intimider.
Tous ces actes font l’objet de plaintes, systématiquement classées sans suite, parfois sans enquêtes. Alors même que les personnes et les syndicats agricoles commanditaires de ces faits se sentent tellement au-dessus des lois, qu’ils les signent, les publient et revendiquent leurs forfaits sur les réseaux sociaux. Il faut que cela cesse. Immédiatement.
Pourquoi les écologistes sont-ils devenus des « boucs émissaires » ?
Parce que l’État a abandonné sa mission de défense de l’intérêt général environnemental, ce n’est plus le ministère de l’Écologie ni les grands établissements publics qui portent ce message. Si nous, la société civile, ne menons plus ce rôle d’information et d’alerte, personne ne le fera. L’État a renoncé. Il a abandonné les scientifiques et les citoyens, au profit des syndicats agro-industriels et leur discours de haine.
Face à la recrudescence de ces actes, qu’allez-vous faire ?
J’ai demandé à la ministre de la Transition écologique [Agnès Pannier-Runacher] qu’il y ait une réaction publique rapide. C’est inadmissible que l’on soit menacés de cette manière en démocratie. Imaginez, si c’était nous qui commettions ces violences, si l’on faisait ce que l’on subit, imaginez la réaction unanime qu’il y aurait dans la presse et au sein du monde politique pour nous traiter d’« écoterroristes », de « délinquants », etc.. Là, le silence est assourdissant.
Un an après les premiers blocages d’agriculteurs, pourquoi la colère n’est-elle toujours pas retombée ?
Tout simplement parce que les vrais sujets à l’origine de la crise agricole n’ont pas été traités ! Ces vrais sujets, ce sont les conditions de travail des agriculteurs et des agricultrices, leurs revenus, les pratiques qui les rendent malades et qui détruisent l’emploi, le libre-échange, etc.
Ce sont des sujets sur lesquels, nous, associations environnementales, avons travaillé main dans la main avec le monde agricole au début du mouvement. La crise agricole a commencé avec une colère légitime et une critique profonde du modèle dans lequel les agriculteurs sont enfermés. Ce mouvement a ensuite été récupéré par la FNSEA [syndicat agricole majoritaire et productiviste]. Je suis halluciné de voir que les agriculteurs qui se révoltent à cause de leurs revenus sont toujours représentés par Arnaud Rousseau, qui est un industriel businessman, responsable d’une énorme société agroalimentaire Avril, et qui exploite plus de 600 hectares de céréales. Il est tout sauf représentatif de ces agriculteurs en souffrance !
Il y a eu, fin janvier, une négociation avec le gouvernement. Les mesures prônées continuent de soutenir l’agriculture industrielle et le modèle intensif. Il n’y a eu aucune réponse apportée aux problématiques, soulevées à la base. C’est tout à fait logique que le mouvement reprenne de l’ampleur.
La loi d’orientation agricole et les concessions faites par le gouvernement en janvier n’ont donc pas été efficaces ?
C’est même pire, elles ont eu un effet pervers énorme. D’un commun accord entre le gouvernement et ces syndicats — la FNSEA et la Coordination rurale —, on a transféré la responsabilité de la crise agricole, de la question de l’industrialisation des pratiques, à une question environnementale. En disant « C’est la faute des normes, des contrôles et des écolos », ils ont détourné la colère et renversé la situation.
Toutes les données scientifiques nous montrent pourtant que les contrôles et les sanctions sont très faibles. L’agriculture industrielle détruit massivement les sols et la biodiversité, dans des proportions que l’on n’a jamais connues. Cette activité doit être réformée et revenir à des pratiques agroécologiques, humaines et à des circuits courts. C’est aussi dans l’intérêt des agriculteurs et agricultrices. Il faut arrêter de dire que les problèmes agricoles sont liés à des contraintes environnementales, c’est faux !
Dans tous les cas, les mesures anti-écologistes prises par le gouvernement n’ont pas réussi à éteindre l’incendie…
Oui, mais ce qui est encore plus grave, c’est que cette logique n’a pas de limites. La Coordination rurale et la FNSEA disent que si cela n’a pas marché l’année dernière, c’est parce que l’on n’est pas allé assez loin dans la dérégulation. Ils veulent détricoter encore plus le droit environnemental. C’est d’ailleurs ce qui nous arrive.
Dernièrement, le gouvernement a mis à mal toute la réglementation sur les haies et sur les zones humides, il a abandonné la protection et la restauration des cours d’eau, il a simplifié la construction des mégabassines et multiplié les dérogations pour les projets d’élevage intensif. Il a dépénalisé la protection de l’environnement. Dans la loi agricole que l’on nous annonce, le gouvernement veut continuer dans le même sens.
On continue d’aller dans le mur : on dégrade les conditions de travail des agriculteurs et agricultrices, on diminue leurs revenus, on les écarte du tissu social local et l’on donne raison à une agriculture industrielle au détriment de l’agriculture biologique, qui est la solution. C’est désespérant. On a perdu 80 % de nos insectes, 30 % de nos oiseaux, en quelques décennies… Que nous faut-il de plus pour réagir ?
Rappelons que beaucoup d’agriculteurs, notamment industriels, ne vivent que grâce aux aides publiques. Les premiers assistés de France, c’est cette agriculture-là. Quand on bénéficie de subventions importantes, la moindre des choses est d’accepter qu’il y ait un contrôle dans la façon dont l’argent est utilisé. On ne peut pas dire « Foutez-nous la paix », « Laissez-nous travailler » et en même temps « Donnez-nous les sous ». Sans aucune contrepartie.
On ne peut pas détruire l’environnement et polluer les eaux, tranquillement, ce n’est pas entendable. Quand on exploite une terre agricole et que notre activité a des conséquences sur l’environnement, sur la santé des gens, sur la biodiversité et la qualité des eaux, sur les plages souillées d’algues vertes, il est normal que l’on soit responsable de ses actes auprès de la société.
Comment s’attaquer aux causes structurelles qui touchent et violentent le monde agricole ? Quel rôle de soutien peut jouer FNE ?
Il faudrait d’abord rappeler que ce n’est pas deux camps qui s’opposent, les agriculteurs face aux écologistes. Cette caricature nuit au débat que nous devons avoir. Nous travaillons toute l’année et en permanence avec des syndicats d’agriculteurs, de producteurs, des distributeurs agricoles, etc. Dans le collectif Nourrir, on porte tous et toutes ensemble des solutions alternatives, avec de nombreuses propositions sur la rémunération des paysans et paysannes, sur l’emploi, sur la qualité de vie, etc. L’agriculture peut être écologique, il faut engager une véritable transition pour prendre en compte la réalité du changement climatique et l’effondrement de la biodiversité.
On ne peut pas continuer à construire des mégabassines et l’agriculture intensive irriguée alors que l’on sait qu’en France, d’ici vingt ans, on aura 20 à 40 % d’eau disponible en moins du fait du réchauffement climatique ! L’agriculture est le troisième secteur émetteur de gaz à effet de serre. Il y a urgence à agir ! Cela peut être joyeux et positif si cette transition est bien accompagnée politiquement et socialement. Ne nous trompons donc pas de combat ni de colère.
legende