La COP29 parasitée par plus de 1 770 lobbyistes fossiles


Bakou (Azerbaïdjan), reportage

Une procession aux airs lointains de Nouvel An chinois. Seulement, celle-ci ne célébrait pas. Elle dénonçait. Le 15 novembre, un gigantesque serpent tissé de toiles a accueilli diplomates et autres délégués, à l’entrée des couloirs de la COP29, en Azerbaïdjan. Éveillé par quelques marionnettistes invisibles, l’obscur costume s’est tortillé avec une grâce sinistre. Objectif : incarner l’immixtion dans les négociations climatiques des plus de 1 770 lobbyistes des énergies fossiles accrédités.

Effrayant, ce chiffre a été dévoilé le matin même à l’issue d’un véritable travail de fourmis. Kick Big Polluters Out, une coalition d’ONG parmi lesquelles figurent notamment Greenpeace et Global Witness, a épluché minutieusement les 52 000 lignes du tableur Excel recensant les participants. Se fondant entre les diplomates, les scientifiques et les militants climatiques, des centaines d’employés et de sous-traitants d’ExxonMobil, Shell, Chevron, BP et autres géants des hydrocarbures ont été identifiés.

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Pour Gaïa Febvre, du Réseau Action Climat (RAC), leur dessein est simple : « [Continuer] de retarder les négociations internationales visant à enrayer le réchauffement de la planète. Et pour cause, leur modèle économique est en conflit direct avec les objectifs de l’Accord de Paris. » À eux seuls, ces 1 770 individus sont plus nombreux que n’importe quelle délégation nationale, à l’exception de l’Azerbaïdjan et ses 2 229 émissaires, du Brésil et de la Turquie. Même l’addition des délégations des dix pays les plus vulnérables au changement climatique n’atteint pas un tel seuil.

Du côté de la France, Patrick Pouyanné et cinq autres ambassadeurs de TotalEnergies ont décroché leur laissez-passer pour le grand raout du climat. Lors de sa première apparition, le PDG de la multinationale française a déclaré au micro de l’AFP être « dans une logique de progrès continu » : « Je sais que l’urgence est là, j’en suis conscient. » Et d’ajouter, au sujet des hydrocarbures : « Il ne faut pas croire qu’en six mois, un an, tout ça va s’arrêter. »

Une nécessaire « réforme de la COP »

L’interférence d’intérêts privés, d’autant plus ceux des secteurs pétrogaziers, a jeté un froid sur Bakou, la capitale du pays hôte. Les crispations sont telles que 22 experts ont adressé une lettre à l’Organisation des Nations unies (ONU), le 15 novembre, pour appeler à une urgente « réforme de la COP ». Parmi les signataires, apparaissent notamment Ban Ki-moon, ancien secrétaire général des Nations unies ; Christiana Figueres, l’une des architectes de l’Accord de Paris ; ou encore l’ancienne présidente de l’Irlande, Mary Robinson.

Si ces observateurs félicitent le cadre politique fourni par les 28 précédentes éditions de la COP, tous déplorent un système arrivé à bout de souffle. « Sa structure actuelle ne permet tout simplement pas de réaliser le changement à une vitesse et à une échelle exponentielles, écrivent-ils. Nous devons passer de la négociation à la mise en œuvre. »

Sept propositions de refonte sont ainsi traduites noir sur blanc. La première sollicite la mise en place de « critères d’éligibilité stricts pour exclure les pays ne soutenant pas la transition vers l’abandon progressif des énergies fossiles ». Un tacle directement à l’actuelle présidence : dans son allocution d’ouverture de cérémonie, le 12 novembre, l’autocrate de l’Azerbaïdjan, Ilham Aliyev, avait en effet qualifié les hydrocarbures de « dons de Dieu ». Au-delà du pays hôte, les 22 experts condamnent le « déséquilibre systémique dans la représentation des COP », illustré par l’incursion XXL des lobbies aux dépens des scientifiques, communautés autochtones et nations vulnérables.

Autre preuve de la fragilité des tractations en cours : le claquement de porte de la délégation argentine. Le 13 novembre, à la demande de son président Javier Milei, ayant par le passé qualifié le changement climatique de « mensonge socialiste », celle-ci a quitté Bakou. Le lendemain, dans le New York Times, le ministre des Affaires étrangères du pays a déclaré qu’un retrait de l’Accord de Paris, adopté en 2015 par 196 pays, était envisagé. Jamais, hormis le président des États-Unis Donald Trump, un seul autre président n’a pris une telle décision. Dès lors, plane sur la COP29 la crainte d’un effet boule de neige, entraînant d’autres pays vers la porte de sortie.

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