21 novembre 2024 à 16h48
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Où êtes-vous ? Où sont passés nos cris et nos colères, jetés à la gueule des puissants ? Dans quelle anfractuosité se sont-ils cachés ? Dans quel océan de rancœur se sont-ils dilués ? Pourquoi avons-nous rangé nos gilets ?
Partout, les prix augmentent, les inégalités explosent, la catastrophe nous assaille. Mille raisons nous oppressent. Et vous n’êtes plus là. Nous devons apprendre à vivre dans les restes d’un rêve, à habiter le manque, à lui survivre, à honorer nos mémoires. Il est rare de voir ceux d’en face trembler et de sentir en nous la force de tout renverser.
Mettre le capitalisme vert en échec
Les samedis enfiévrés sur les Champs-Élysées, les assemblées communes, les cabanes sur les ronds-points, la solidarité par le bas, le débordement des cadres institués… Six ans sont passés, mais les leçons politiques des Gilets jaunes nous hantent encore. L’irruption de la révolte a posé les bases d’une mue. Elle a pris de court les garants de l’ordre existant et embrasé le pays. Son incandescence a fait voler en éclat les mythes d’une transition écologique imposée par le haut. Elle a mis le capitalisme vert en échec, avec ses taxes pour les uns et ses dorures pour les autres.
Pendant des mois, les mobilisations populaires ont dicté l’agenda. La rue a imposé son tempo. L’horizontalité du mouvement le rendait insaisissable. Nous étions ingouvernables.
On sait ce qui s’est joué ensuite. Le retour de bâton. La répression. La violence. Le pouvoir qui s’arc-boute et se défend comme un enragé, qui invente des artefacts et des débats bidons pour détourner la colère ou la neutraliser. Dans les milieux militants, nous avons connu l’échec et le deuil, l’absence et le vide. Les rues qui retournent à l’ordre marchand, les centres-villes quadrillés par la police et la pandémie qui nous confine.
Nous n’avons pas encore digéré ce qui s’est passé. Nous n’avons pas encore mesuré la teneur révolutionnaire du moment. Mais nos sociétés auraient pu prendre un autre chemin. Quelque chose de décisif s’est joué cet hiver-là. Une brèche qui s’est si vite refermée.
Inventer une écologie populaire
Au creux de ces semaines de bataille s’est esquissée une autre écologie que celle que nous vantait le pouvoir, avec ses plans de décarbonation pour 2050 et sa gestion toute triomphante. Une autre écologie que celle d’un Nicolas Hulot tout juste sorti du ministère, mais aussi une autre écologie que celle des ONG.
Les Gilets jaunes ont inventé une écologie du quotidien, résolument politique et située, faite de débrouille et de bricolage. Une écologie sociale qui part des besoins, une écologie populaire qui exigeait que tout le monde se regarde bien en face. Depuis ses privilèges et son ancrage.
Indéniablement, au vu de la situation actuelle, nous, les écologistes, avons raté quelque chose. L’alliance de la fin du mois et de la fin du monde n’a pas réussi à prendre forme, réellement. Elle est restée un slogan, freiné et bloqué par les petites bureaucraties bien installées, les frileux du débordement, les puristes de l’identité.
On n’aime pas se mêler à la plèbe. Certains préfèrent les experts ou le show-biz. Mais, voilà où nous en sommes aujourd’hui, à crier dans le désert, à être une minorité marginale, coupée du dehors, alors que partout les forces réactionnaires gagnent du terrain et surfent sur le ressentiment.
« Descendre dans la mêlée avec humilité »
Si nous devons retenir une leçon de cet épisode, c’est bien de devoir apprendre à « descendre dans la mêlée avec humilité », de refuser l’entre-soi. Alors que la colère agricole se réveille, nous devons retrouver la même curiosité pour l’altérité, la même empathie et ne pas laisser des institutions ennemies diriger la colère contre des boucs émissaires faciles, en imposant leur récit conservateur.
L’histoire est une longue répétition. Ce que nous avons vécu en 2018-2019, sous les gaz lacrymogènes, mérite d’être célébré. C’est dans le nuage toxique que nous nous sommes rencontrés. C’est dans cette asphyxie que l’« écologie populaire » est née, dans les blocages des flux et des commerces que la décroissance a pris tout son sens, c’est dans les Assemblées des assemblées que nous avons renoué avec la démocratie directe et l’autogestion. C’est dans la lutte que l’imagination est revenue au pouvoir. Et c’est par elle que nous retrouverons pied.
En 2019, Gaspard D’Allens avait pleinement pris part à la lutte des Gilets jaunes, avant de rejoindre la rédaction de Reporterre.
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