La nature est belle, activisme en SF, Latour au théâtre… à lire et à voir en décembre


LIVRES

La Beauté du vivant

On connaissait le spécialiste de la forêt tropicale, on découvre un dessinateur naturaliste hors pair : le trait précis et coloré de Francis Hallé nous emmène, au long de pleines pages chatoyantes, dans un voyage onirique parmi les plantes, les grenouilles, les papillons, les coquillages, saisis au plus près. On devine le coup de crayon du botaniste assis dans les arbres, cherchant à saisir dans la moiteur la réalité de ce qu’il observe avec un souci pédagogique remarquable.

Le livre est aussi un essai sur la beauté dans la nature, une question bien plus complexe qu’il n’y parait. Car, explique Hallé dans le texte qui accompagne les planches, qui fait chemin avec elles, pourrait-on dire, si la beauté est souvent approchée par la philosophie ou l’esthétique, comme si elle ne relevait que de la subjectivité, elle est aussi un enjeu scientifique : elle est, démontre Hallé, « une propriété émergente liée aux états les plus avancés de l’évolution ». Et pour nous en convaincre, il nous raconte 1 000 petites histoires ou faits vrais sur cette nature qui reste si belle, malgré les agressions des activités humaines. H.K.

La Beauté du vivant , de Francis Hallé, aux éditions Actes Sud, octobre 2024, 160 pages, 36 euros.

Réinventons la montagne

Bientôt, il n’y aura plus de neige. Seuls les plus hauts sommets seront saupoudrés d’or blanc. Pourtant, on s’entête à vouloir organiser des Jeux olympiques (JO) d’hiver dans les Alpes en 2030. Comment sortir de cette absurdité écologique ?

Fiona Mille, la présidente de Mountain Wilderness France, tente d’apporter une réponse dans Réinventons la montagne, son premier essai. Elle imagine trois scénarios. Le premier, le plus probable : les JO se déroulent dans une montagne bétonnée et réservée aux plus fortunés. Le second : la France est anéantie par une telle crise climatique, politique et sociale que les Jeux sont annulés. Enfin, dans son dernier chapitre, elle ouvre nos imaginaires à une autre forme de compétition baptisée « les montagnardes » : des célébrations citoyennes qui valorisent les initiatives dans les territoires et font du respect de la nature une valeur cardinale. Une utopie encore bien lointaine. L.-A. C.

Réinventons la montagne — Alpes 2030, un autre imaginaire est possible , de Fiona Mille, aux éditions du Faubourg, novembre 2024, 120 pages, 14 euros.

Dieu, Darwin, tout et n’importe quoi

Dieu est censé avoir créé le monde en six jours. Mais a-t-il vraiment fignolé ? Dans Dieu, Darwin, tout et n’importe quoi, l’auteur de L’Origine des espèces (1859), croqué taquin par Pierre Kroll, dessinateur belge de renom, va démontrer à Dieu, plutôt bonhomme dans sa chemise de nuit, que… non, pas vraiment. Et les animaux d’abonder.

En seize chapitres, qui sont autant de zooms sur des espèces ayant appris le « bricolage » et la solidarité pour s’en sortir (tels les wombats et leurs étrons cubiques), la philosophe Vinciane Despret va les seconder et souligner combien ce qu’elle appelle « la morale bourgeoise de l’évolution » a retardé ces découvertes. Un régal d’humour et d’ouverture sur l’aventure humaine et l’ingéniosité animale. C.M.

Dieu, Darwin, tout et n’importe quoi — Histoires naturelles , de Vinciane Despret (texte) et Pierre Kroll (dessins), aux éditions Les Arènes, septembre 2024, 192 pages, 26 euros.

Champs de bataille

Ils s’appellent Jacqueline, Joseph, André ou Baptistine, et ils ont vécu le remembrement dans leurs terres et dans leur chair. Ils ont vu les haies se faire arracher, les pommiers se faire abattre, les parcelles être redessinées, les paysages changer, les chevaux se faire remplacer par des tracteurs… Ce grand remodelage des campagnes françaises a eu des répercussions sur leurs exploitations, leurs activités agricoles et parfois, même, leur santé mentale. Certains se sont révoltés, d’autres se sont résignés et ont embrassé les promesses de progrès.

Dans sa nouvelle BD-enquête, la journaliste Inès Léraud, autrice des Algues vertes, l’histoire interdite (2019), raconte comment l’État français et ses cohortes d’ingénieurs ont taillé les campagnes sur mesure pour les rendre plus compétitives. Au mépris de ses habitants et du vivant. S.G.

Champs de bataille — L’Histoire enfouie du remembrement , d’Inès Léraud (texte) et Pierre Van Hove (dessins), aux éditions Delcourt et La Revue dessinée, novembre 2024, 192 pages, 23,75 euros.

REVUES

Lêgerîn

Au moment où la Syrie est libérée d’une abominable dictature, il est bon de rappeler que depuis une décennie, une région (à cheval avec l’Irak) y déploie une société alternative : le Rojava, administré par le peuple kurde, qui tente d’y développer le « confédéralisme démocratique » inspiré par les idées de l’écologiste anarchiste Murray Bookchin. Cette ambition est difficilement menée, les Kurdes étant en butte aux attaques militaires de la Turquie et n’étant guère soutenus par les Occidentaux.

Mais le Rojava continue, et est un exemple international exaltant. Il inspire la revue portée par « la jeunesse révolutionnaire internationaliste » qui explore l’angle écologique du Rojava, en l’élargissant : on trouvera dans le dernier numéro de Lêgerîn des articles roboratifs sur le féminisme et la culture de la déesse-mère, sur le mouvement de libération de la Papouasie occidentale, sur la lutte à Berlin contre l’usine Tesla et sur la littérature de guérilla. Cet ovni dans le monde des revues, aux illustrations joyeuses et énergiques, mérite le détour. H.K.

À VOIR

Planète B

Grenoble, 2039. L’Accord de Paris — qui vise à contenir le réchauffement climatique global en dessous de 2 °C — a échoué. Face à la montée des températures et des inégalités, des jeunes s’engagent dans la désobéissance civile. Lors d’une action qui tourne mal, les militants se retrouvent enfermés dans un monde carcéral virtuel : Planète B. Pour le reste du monde, ils sont portés disparus.

Si la bande-annonce laisse craindre un film de science-fiction caricatural et dystopique, le propos est en réalité plus fin. La réalisatrice Aude Léa Rapin s’est notamment inspirée des manifestations réprimées des Gilets jaunes ou de Sainte-Soline contre les mégabassines. « Tous les motifs qui animent Planète B sont déjà à l’œuvre : la surveillance, la pollution, l’enfer de l’exil, la montée en puissance des extrêmes… affirme-t-elle dans le dossier de presse. J’ai simplement poussé les curseurs de ce qui existe déjà. »

Le film est haletant, inquiétant. En mettant en scène une actrice de premier plan comme Adèle Exarchopoulos, le propos écologiste peut pousser à la réflexion un public peu familier du sujet. Une réussite. J. G.-B.

Planète B , un film d’Aude Léa Rapin, avec Adèle Exarchopoulos et Souheila Yacoub. Au cinéma le 25 décembre 2024.

Toucher terre

Qu’est-ce qui est frais l’été, chaud l’hiver, et doux comme un cocon ? Une maison en terre crue, démontre Toucher terre, un documentaire humaniste, sensible, un brin impertinent, bref épatant ! Alternant images d’un chantier participatif breton et entretiens avec des experts en archéologie, en science de la matière, en architecture, etc. il dévoile à la fois les gestes de la fabrication en terre, l’histoire de ce matériau plurimillénaire et ses vertus d’émancipation sociale et écologique. Très convaincant à cet égard, le Pôle culturel de Cornebarrieu, en Haute-Garonne, est réalisé en terre et bois par l’architecte Philippe Madec, cocréateur du Mouvement pour une frugalité heureuse et créative. C.M.

Toucher terre , un film documentaire de Jérémie Basset, octobre 2024. Lieux de programmation indiqués sur la carte du site ici.

L’Usage du monde

Tenez-vous bien : malgré nos robots en silicone et nos explorations martiennes, nous, humains, n’aurions pas changé depuis Néandertal ! « C’est le même type de réaction que l’on peut attendre », souligne le préhistorien Jean-Paul Demoule dans L’Usage du monde, un documentaire hors normes de par la profondeur de son exploration et sa durée (1 h 46).

Entrelaçant des entretiens avec des personnalités du monde civil et universitaire (paysanne, juriste, anthropologue, historienne de l’environnement, etc.), avec des images d’archives et une bande-son luxuriante, Agnès Fouilleux nous invite à repenser la culture (croyances, mythes…) qui nous maintient dans un « usage du monde » délétère et violent, et ce, malgré les menaces écartées depuis Néandertal. Inspirée par l’écrivain Nicolas Bouvier, auquel elle emprunte le titre de son célèbre récit de voyage, cette documentariste chevronnée trace elle aussi une route vivifiante. C.M.

L’Usage du monde — Voyage entre nature et culture , un documentaire d’Agnès Fouilleux, 2024. Lieux de programmation ici. Possibilité d’organiser une projection.

Landman

Cruelle pour un écolo, voire totalement masochiste, la série Landman est un bijou antitransition énergétique. Nous sommes au pays des rednecks, de la junk food et des portefeuilles débordants de pétrodollars. Direction le Texas et ses champs constellés de puits. Infiltration dans la vie de Tommy Norris, un type à la cinquantaine fatiguée, chargé de bien huiler la machine à extraction fossile d’une petite compagnie indépendante. Il prospecte des terrains, gère les accidents de puits, les familles endeuillées, et se coltine une ex déjantée encore plus stéréotypée qu’une Miss Univers.

À voir, ne serait-ce que pour le laïus anti-éoliennes de Tommy devant des monstres de 120 mètres de hauteur qui alimentent « proprement » les puits qui vont cracher de l’or noir. « Toute notre vie dépend du pétrole, cela fait 120 ans que notre pays est structuré avec, vous en trouvez partout, dans votre rouge à lèvres, vos pneus, votre raquette de tennis, vos sacs-poubelle… Vous n’y pouvez rien. Et ce qui nous fera crever, c’est d’en manquer avant d’avoir trouvé de vraies alternatives. » Édifiant pour sortir de sa bulle écolo. L.N.

Landman , une série de Taylor Sheridan et Christian Wallace, avec Billy Bob Thornton, Ali Larter et Jacob Lofland. Disponible sur Canal+.

THÉÂTRE

After Show

C’est surprenant, drôle, caustique, délirant, intelligent, ça parle d’aujourd’hui et ça fait réfléchir. On rit jusqu’à ce que la mort vienne faucher les sourires, avant qu’ils reviennent en pleine humanité — cette même humanité qu’interroge l’entrée tonitruante de la pièce, lorsqu’un singe devenu homme est interviewé en talk-show. Et voilà que surgit Bruno Latour, plus vrai que nature. Il vient nous expliquer comment l’époque revient à la cosmogonie aristotélicienne : sa thèse est le pivot de la pièce et lui donne son sens, ainsi que des raisons d’espérer. Car dans le monde foutraque et chaotique d’aujourd’hui, une nouvelle conception vient au jour — et bien sûr, c’est douloureux. Mais ce fort spectacle nous aide à le vivre dans la joie. H.K.


After Show , du Collectif L’Avantage du doute, au théâtre du Rond-Point (Paris) jusqu’au 21 décembre 2024, puis en tournée.

EXPOSITION

Surréalisme

Les artistes surréalistes tentèrent d’associer Marx et Rimbaud pour « changer la vie ». Révoltés par la boucherie de la Première Guerre mondiale, ils firent de l’inconscient et de l’imaginaire des armes de libération contre la raison d’État étriquée qui l’avait permise.

Célébration du cosmos, de la nuit, de la nature, de la femme, anticolonialisme et intérêt pour les arts dits premiers, satire d’un progrès purement machinique… Le merveilleux dédale de l’exposition, avec ses quelque 400 œuvres et documents d’archives, révèle des thématiques en résonance avec l’écologie politique, et l’intérêt de penser ensemble le politique et l’imaginaire. C.M.

Surréalisme , au Centre Pompidou (Paris), jusqu’au 13 janvier 2025.

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