Marre de jouer à coloniser des territoires, exploiter la nature ou envahir vos voisins sur un plateau ? Puisque l’écologie est aussi une bataille culturelle, de plus en plus d’autrices et auteurs de jeux de société proposent de s’amuser dans des univers aux valeurs écologiquement cohérentes. Pour s’y retrouver dans l’offre pléthorique qui se déploie chaque année, Reporterre avait listé l’an dernier une série de conseils qui restent tout à fait pertinents.
Cette année, la rédaction a donné de sa personne en testant trois jeux proposant des modalités, univers et durées de partie différents, à même de séduire une palette de joueurs aux profils variés. Voici notre triptyque écololudique pour Noël.
Chamonix-Sentinelles – Le jeu de rôle des zadistes du futur
Interpréter un sauveteur en montagne féru d’ésotérisme, une néobergère adepte de l’action directe ou un ex-ingénieur nucléaire encore un peu technobéat sur les bords, ça vous branche ? Ces personnages (ou une infinité d’autres, selon les limites de votre imagination) sont susceptibles de faire partie des « Sentinelles » : un groupe d’humains qui, entre les années 2040 et 2080, ont développé la capacité de projeter temporairement leur conscience dans un animal, un végétal, ou même un ruisseau. Les Sentinelles répondent alors à un appel à converger vers la vallée de Chamonix, pour y inventer un futur désirable.
À partir de ce pitch, Chamonix-Sentinelles propose cinq scénarios (participer à une zad contre un projet de barrage, cartographier un territoire ouvert par la fonte des glaciers…) prévus pour trois à sept personnes, les menant dans une aventure de 1 h 30 à 2 h 30 selon les scénarios. Chaque récit invite à se projeter dans des écosystèmes et sociétés bouleversés par le changement climatique. L’atmosphère tristement réaliste de ces futurs sans glacier et emplis de catastrophes est intelligemment compensée par la magie animiste qui imprègne le jeu et ses montagnes, où fourmillent les créatures mythologiques et mutantes.
Cette invitation en sous-texte à inventer un futur tissé de nouvelles alliances avec le vivant est servi par une mécanique de jeu extrêmement simple. Chamonix-Sentinelles fonctionne comme un jeu de rôle, mais sans feuille de personnage ni lancés de dés complexes. Il suffit, pour interpréter son rôle, d’improviser ses dialogues et de décrire ce que l’on souhaite faire : l’un des joueurs, désigné comme meneur de jeu, connaît l’intrigue du scénario et sera chargé d’aiguiller chaque joueur dans ses choix, les actions incertaines étant résolues par un petit jeu de lancé de cailloux.
Revers de la médaille, cette simplicité qui rend l’aventure accessible à tous pourra frustrer les rôlistes confirmés et limite la finesse des actions dans le jeu. Dommage également que les scénarios proposés soient décrits de manière très succincte. Paradoxalement, si le jeu est très abordable pour les aventuriers néophytes, il nécessite pour le meneur de jeu d’être suffisamment aguerri pour improviser et combler les carences des scénarios.
Il pourra heureusement piocher dans le livret du jeu, absolument magnifique. On y trouve une mine d’informations sur l’histoire de Chamonix, ainsi que de très créatifs documents fictifs futuristes : affiche de festival écolo des années 2040, arrêtés sécheresse de 2062 et autres ruines solarpunk des années 2070.
→ Chamonix-Sentinelles
– Pour adultes et enfants (selon l’interprétation du meneur de jeu)
– 3 à 7 joueurs
– 1 h 30 à 2 h 30 par scénario
– version gratuite en ligne / 19 euros + frais de port pour le coffret à la commande.
Cascadia – Le casse-tête écosystémique
À cheval entre le Canada et les États-Unis, sur la côte pacifique, s’étend la vaste région de Cascadia, où s’entremêlent de riches écosystèmes dans lesquels cohabitent des espèces aussi emblématiques que le grizzly ou le wapiti. Le but, pour chaque joueur, est de construire son propre écosystème inspiré de Cascadia, le plus riche et diversifié possible.
Il s’agit pour cela de choisir, parmi les items disponibles, les tuiles d’habitat et les pions de faune les plus pertinents. Chaque joueur bâtit ainsi devant lui sa mosaïque de montagnes, prairies, forêts, marais et rivières ; construire un vaste ensemble du même écosystème en privilégiant les continuités écologiques rapporte des points.
Sur les tuiles doivent ensuite être judicieusement placées les cinq espèces du jeu : grizzly, saumon chinook, renard roux, wapiti de Roosevelt et buse à queue rousse. Chaque espèce doit aussi être positionnée à côté de la bonne faune ou organisée selon une répartition qui lui est propre pour s’épanouir et rapporter d’autant plus de points au joueur.
L’écologie sert ici de jolie toile de fond : la philosophie de jeu est de bâtir un territoire harmonieux et prenant en compte les spécificités de chaque espèce, mais la dimension pédagogique reste minimaliste. Quelque part entre le puzzle et le casse-tête, ce jeu simple à appréhender et à mettre en place n’est clairement pas là pour vous faire vivre des émotions fortes et les interactions entre joueurs sont très limitées. Voyez-y plutôt une sorte de mandala écolo, idéal pour un temps calme avec ses enfants ou accompagner un apéro entre amis.
→ Cascadia
– À partir de 10 ans
– 1 à 4 joueurs
– 30 à 45 minutes de jeu
– 39,99 euros
Écosphère – Le jeu de cartes pour contempler la nature
« Détournez un instant vos yeux des beautés du ciel stellaire et contemplez sous les nuages les merveilles de notre planète ! » La promesse contemplative annoncée d’entrée de jeu par Écosphère est pleinement remplie. Ce jeu de cartes — il faut marquer le plus de points possible en combinant de manière stratégique les cartes des huit grands biomes de la planète (désert subtropical, savane, forêt tropicale humide, chaparral, prairies tempérées, forêts tempérées, taïga, toundra arctique) — mise sur une esthétique très poétique.
Chacune des 103 cartes livre également une anecdote originale sur le biome concerné. Une invitation à l’émerveillement pour le monde naturel, que les enfants et autres joueurs geeks de l’écologie liront avec délice au cours d’une partie dont le rythme laisse largement le temps à l’esprit de s’évader vers la taïga sibérienne. « Les variations peuvent aller de 21 °C en été jusqu’à -54 °C en hiver », apprend-on par exemple à propos de cette dernière.
Le jeu n’est par ailleurs pas dénué d’interactions stratégiques entre joueurs : il faut une certaine dose d’anticipation et de calcul pour récupérer les bonnes cartes dans le bon ordre, tout en privant ses adversaires de celles dont ils ont besoin. Un jeu plaisant, facile à mettre en place et rapide à jouer… une fois que l’on a compris les règles. Celles-ci sont un peu confuses et alambiquées lorsqu’on les découvre. Si l’on passe outre ce bémol, la balade de biome en biome est ensuite très agréable.
→ Écosphère
– À partir de 10 ans
– 2 à 5 joueurs
– 30 minutes de jeu
– 20 euros
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