l’histoire méconnue de leurs luttes


Longtemps invisibilisées et discriminées, les paysannes françaises ont lutté pour la reconnaissance de leur travail et de leurs droits. Par un travail de recherche inédit, Jean-Philippe Martin, agrégé et docteur en histoire, retrace sur plusieurs générations « cette histoire féminine, syndicale et agricole » dans un nouvel ouvrage. Paysanne, histoire de la cause des femmes dans le monde agricole fait résonner les voix des militantes passées et présentes.

« Écrire sur les paysannes, c’est écrire sur des femmes longtemps oubliées de l’histoire », estimait Michelle Perrot en 1998. Et pour cause : « doublement dominées » par leur genre et leur appartenance à un groupe social subalterne, leurs histoires, leurs résistances et leurs luttes sont longtemps restées un objet de recherche peu exploré.

Un livre pour parler des « PAYSANNES »

Avec son nouvel ouvrage Paysanne, histoire de la cause des femmes dans le monde agricole, publié aux éditions de l’Atelier en ce début d’année 2025, l’historien Jean-Philippe Martin participe à mettre en lumière cet héritage pourtant riche et inspirant. Spécialiste du syndicalisme agricole et de la gauche paysanne, l’agrégé et docteur en histoire croise ses expertises et propose une analyse pointue de l’implication des femmes dans le milieu agricole français, parvenues à remettre en cause la division sexuée du travail agricole, militant et domestique. 

Des femmes invisibles 

Il a fallu du temps avant que l’agricultrice jouisse d’un véritable statut. Tantôt considérée comme « sans profession », main d’œuvre d’appoint ou « aide familiale », l’épouse (ou pire en termes de droits, la concubine) du chef d’exploitation ne disposait d’aucune autonomie décisionnelle ou juridique.

Autrefois privée de statut social et sans contrepartie financière, elle était tenue de s’acquitter des tâches les moins nobles et supposées féminines, mais aussi de « bien tenir le foyer et éduquer les enfants », et de « respecter la hiérarchie sexuée au sein du couple »

Finalement, à la fois « épouses, mères et travailleuses, leur travail est invisibilisé, éclaté en de multiples tâches mal reconnues : éducation et soin des enfants, tâches ménagères multiples, jardin pour les légumes, traite des animaux, élevage de volailles… Les journées à rallonge se répètent et paraissent sans fin », détaille l’auteur. Peu de temps leurs est laissé pour leur vie personnelle…ou leurs engagements. 

Patriarcat et exploitation

En outre, ce rôle professionnel inférieur, sinon nié tant par l’entourage social que l’administration, a empêché les femmes agricultrices d’accéder à certains droits sociaux pendant des décennies : « elles bénéficieront d’un congé maternité en 1977 et d’une durée égale à celle des salariées en 2005. Avant, elles devaient financer une partie du salaire du remplaçant, le nourrir et le loger. Elles ne recevaient pas de courrier à leur nom et n’ont pu devenir cheffes d’exploitation que dans les années 2000 », explique le scientifique lors d’une interview pour Midi Libre. 

Si le statut juridique des femmes agricultrices a depuis évolué, elles restent sous-représentées et sous-considérées dans la profession, comme dans la majorité des autres secteurs de la société.

« En 2003, l’agriculture emploie 590 000 hommes et 290 000 femmes. Sur ce total, les cheffes d’exploitation représentent environ 60 000 personnes, dont un grand nombre ont repris la direction de la ferme à la retraite de leur conjoint »

Une lutte toujours actuelle

A côté, « les conjointes co-exploitantes sont estimées à 25 000 et les autres co-exploitantes à 21 000. Les conjointes d’exploitants sont près de 120 000 (dont une minorité de salariées). Travaillent également à la ferme près de 30 000 autres personnes, mères, filles ou sœurs d’exploitants. Enfin, les salariées permanentes sont environ 33 000 ».

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Parmi les quelques cheffes d’exploitation, nombreuses sont celles qui peinent à se tailler une place dans le secteur devant les préjugés sexistes et les inégalités qui le traversent. « Aujourd’hui encore, quand elles reçoivent un conseiller ou un banquier, il arrive qu’on leur demande : « Il est où le patron ? » », poursuit le chercheur.

Histoires de résistances 

Pour lutter contre ces dominations structurelles écrasantes, des femmes s’organisent petit à petit, région par région. Parmi elles,

« certaines décident de s’impliquer dans le syndicalisme et de se confronter aux résistances du milieu »

Si ces espaces sont propices à l’avancement de leurs revendications, là aussi, les inégalités de genre dominent. « En raison de nombreux freins, l’engagement syndical des femmes est moindre que celui des hommes quelle que soit l’organisation considérée », constate l’auteur lors de ses recherches, « Leur présence est aussi plus faible au sein des partis politiques ou au sein des directions d’entreprise. Cet écart entre les genres se décline de plusieurs manières : elles sont moins nombreuses, ont moins de responsabilités et participent moins aux échelons nationaux et aux structures de décision ».

Cela n’empêchera pas Marie Cabon, Madelaine Hall, Marthe Morvan et des centaines d’autres de s’engager pour la cause des femmes, sans toutefois toujours « se considérer comme féministes » À coup de grèves, de discours, d’actions de terrain et de campagnes courageuses, ces agricultrices brisent le silence autour de leur statut et exigent la reconnaissance qui leur est due de la part de l’état et de l’ensemble du secteur.

Panorama des luttes paysannes

Au fil de l’ouvrage, on découvre de nombreuses dimensions de la « cause des paysannes » qui traversent les époques et les espaces : juridiques d’abord (par la question du statut et du congé maternité notamment), politiques ensuite (inclusion des femmes dans les mouvements paysans, formes du militantisme) et finalement sociales (allocations, retraites). 

Empreint de ses précédentes recherches, l’historien propose une synthèse de ces questions sous l’angle du syndicalisme paysan, et plus précisément celui de la gauche contestataire, dont les contours se dessinent dès les années 60. Finalement, « Jean-Philippe Martin nous permet de mettre des noms, de sortir de l’ombre celles qui ont agi pour obtenir des droits, du statut d’agricultrice à la parité dans les syndicats », résume Eve Recotillet, doctorante en histoire.

– Lou Aendekerk


Photo de couverture : Katherine Rowell, éleveuse de moutons et de bovins. Écosse. Wikimedia.

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