des élus veulent déposer une loi pour contourner la décision du tribunal


Toulouse, correspondance

« Nous ne pouvons plus être soumis à l’aléa judiciaire. » Les mots sont forts, d’autant plus quand ils viennent de la bouche d’un avocat. Samedi 8 mars à Castres, lors de la manifestation des pro-A69 pour la reprise du chantier, Jean Terlier, député macroniste de la troisième circonscription du Tarn, a une nouvelle fois remis en cause la décision du tribunal administratif de Toulouse. Ce dernier a annulé l’autorisation de l’autoroute jeudi 27 février.

Ce fervent défenseur de l’A69 et avocat au barreau de Castres, qui avait fait de cette infrastructure un argument de campagne lors des législatives de 2024, entend déposer une loi d’ici le mois d’avril pour contourner cette décision de justice et permettre au concessionnaire Atosca de reprendre les travaux.

« On ne peut pas se permettre d’attendre les décisions judiciaires », maintient l’avocat dans le journal La Dépêche — l’État va en effet faire appel de la décision et demande la reprise du chantier.

Jean Terlier assure qu’il n’est pas le seul à porter cette proposition de loi soutenue par plusieurs élus du Tarn, dont le député macroniste Philippe Bonnecarrère et les sénateurs centristes Marie-Lise Housseau et Philippe Folliot. Contactés, aucun de ces élus n’a souhaité répondre à Reporterre.

Quid de l’intérêt général ?

Comment une loi pourrait annuler une décision de justice ? « C’est ce qu’on appelle des lois de validation », affirme à Reporterre Dorian Guinard, enseignant-chercheur et maître de conférence en droit public à l’université de Grenoble. Ces lois permettent de revenir sur une décision de justice rétroactivement, si cette décision n’est pas devenue définitive, et c’est le cas de l’A69 puisque l’État a annoncé faire appel de ce délibéré.

Concrètement, si une telle loi était adoptée, elle permettrait d’annuler la décision de justice et de reprendre le chantier de l’A69.

« Ce type de loi doit obéir à trois critères : la décision de justice ne doit pas être définitive (c’est le cas de l’A69), elle ne doit pas porter atteinte au principe de non-rétroactivité de la loi pénale [1](c’est également le cas), et la loi doit justifier d’un intérêt général suffisant », explique l’enseignant-chercheur.

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C’est sur ce troisième point que cette proposition de loi va buter, selon Dorian Guinard. « L’autorisation environnementale de l’A69 a été annulée par le tribunal administratif de Toulouse pour l’absence de “raison impérative d’intérêt public majeur” et je vois mal le Conseil constitutionnel trouver une raison d’intérêt général suffisante dans ce dossier. »

Le juriste s’appuie également sur la jurisprudence pour confirmer son propos. « En 2000, le Conseil d’État, soit la plus haute juridiction administrative, avait rejeté une proposition de loi du même type pour un contournement routier de Lyon chiffré à 1 milliard d’euros. Le Conseil constitutionnel avait jugé qu’un motif purement financier ne pouvait fonder une telle loi », précise-t-il.

« C’est remettre en cause les fondements même de l’État de droit »

Au-delà du non-sens « technique » de proposer une telle loi de validation pour reprendre le chantier de l’A69, c’est un très mauvais signal envoyé par les élus, selon le juriste. « Dire que la légitimité appartient aux élus et pas aux juges, c’est remettre en cause la séparation des pouvoirs et le contrôle des actes des élus par les juges », avance Dorian Guinard.

Il s’agit d’un « simple respect du droit »

Maître Sébastien Mabile, avocat spécialiste en droit de l’environnement, est du même avis : « Contester le fait qu’un juge puisse remettre en cause une décision de l’administration, c’est remettre en cause les fondements même de l’État de droit et de notre démocratie. Que des politiques et des parlementaires s’aventurent sur ce terrain-là, c’est extrêmement choquant et inquiétant », souligne l’avocat au barreau de Paris.

Cette proposition de loi s’inscrit dans une dynamique globale, nourrie par des déclarations, des tribunes ou des éditoriaux dans la presse locale pour remettre en question la légitimité des juges toulousains — qui n’ont pourtant fait qu’appliquer le droit — et annuler l’autorisation de l’A69.

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Dans ce cadre, le sénateur Philippe Folliot avait déposé une proposition de résolution début janvier au Sénat pour assouplir la notion de « raison impérative d’intérêt public majeur ». « Si nous n’encadrons pas cette notion juridique, demain, à cause d’une libellule, d’une écrevisse, d’un crapaud, d’une pervenche… nous nous trouverons […] face à des projets qui, même en cours de réalisation, de par la seule volonté du juge poussé par des organisations environnementalistes extrémistes, seront arrêtés voire déconstruits », écrit-il pour justifier sa proposition. « La conséquence de tout cela, in fine, est le risque que, demain, ce ne soient plus les élus, détenant leur légitimité du suffrage universel, qui détermineront l’intérêt public majeur d’un projet, mais le juge. »

Pour l’enseignant-chercheur Dorian Guinard, « ce type d’assertion n’a pas bien intégré la séparation des pouvoirs et la hiérarchie des normes, et c’est très problématique quand on est un élu. La question n’est pas celle de l’écrevisse ou de la pervenche mais du simple respect du droit ».

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