le mirage de la résilience


Hamadôri (région de Fukushima, Japon), reportage

Tourner la page de la catastrophe, reconstruire à tout prix : tel est le défi que s’est lancé le gouvernement japonais après la catastrophe de la centrale nucléaire de Fukushima, qui s’est produite il y a quatorze ans, le 11 mars 2011. En faisant la promotion d’une région résiliente, l’archipel veut prouver au monde qu’il est possible de réparer après un tel accident. Et ouvrir par la même occasion la voie de la relance de ses réacteurs [1].

Pour reconstruire, l’archipel a déployé un chantier de décontamination colossal, qui a accumulé plus de 14 millions de m3 de terre et de déchets irradiés. Ceux-ci sont aujourd’hui stockés dans un centre de 1 600 hectares situé autour de Fukushima Daiichi et géré par Tepco, l’entreprise d’électricité qui exploite la centrale.


Des tests sont menés dans le centre de stockage pour surveiller les émissions de radioactivité dans le processus de recyclage.
© Johann Fleuri / Reporterre

« Accueillir cette infrastructure était une décision difficile à prendre pour les communes de Futaba et Okuma sur lesquelles elle a été installée, reconnaît Ko Togosaki qui travaille au ministère de l’Environnement. C’est pourquoi elle est temporaire : nous leur avons promis de rendre les terrains d’ici mars 2045. »

Mais où ira cette terre ? En septembre, l’Agence internationale de l’énergie atomique a donné son feu vert pour que la terre la moins irradiée soit utilisée dans des ouvrages de génie civil (remblais, voies ferrées, digues, etc.) mais aussi pour des terres agricoles. Des tests sont actuellement menés à Okuma et dans le village de Iitate pour que la terre qui ne dépasse pas les 8 000 bq/kg (75 % du stock) soit recyclée « en toute sécurité », promet le ministère de l’Environnement.

Des déchets irradiés dont on ne sait que faire

À Okuma, une route-test dont la base est garnie de cette terre recyclée est étudiée avec attention : « Nous avons prévu une couche hermétique en béton qui est placée entre cette terre et le sol afin qu’elle ne soit pas en contact avec les sous-sols », dit le fonctionnaire.

Des couches sont également prévues pour confiner cette terre et « l’empêcher de s’éparpiller en cas de vents violents ou de précipitations de plus de 4 mm/h ». En cas de séisme, cette couche protectrice tiendra-t-elle ? L’homme ne sait pas nous répondre. Et pour les 25 % restants du stock, la part des déchets les plus irradiés ? « Ils seront détruits. » ? Comment ? Pour le moment, là aussi, le mystère reste entier.

« Nous espérons avoir des communes volontaires pour les accueillir », lâche Ko Togosaki. Des organisations antinucléaires, comme le Centre citoyen de l’information nucléaire (CNIC) de Tokyo, militent pour que l’ensemble des déchets soit détruit définitivement et qu’aucun ne finisse dans des routes ou des champs.

Faire de Fukushima une « terre d’innovation »

« Il n’y a plus rien ici, alors tout peut être imaginé », se frotte les mains Wataru Kadowaki, manager du projet « Fukushima Innovation Coast ». Depuis le chantier de décontamination qui a tout rasé, plus de 400 entreprises et startups se sont installées sur la côte de la préfecture de Fukushima, l’Hamadôri.

Agriculture mais aussi robotique, énergie verte, matériel médical, aérospatial et décontamination nucléaire : afin de faire de Fukushima une « terre d’innovation », le gouvernement a investi 440 milliards de yens (2,7 milliards d’euros). Pour les entreprises qui s’y installent, cela signifie des subventions allant de 10 à 700 millions de yens par projet. « La région va s’imposer comme leader en matière de technologies », assure Wataru Kadowaki.

Et c’est ainsi qu’au fil de ces quatorze années, les rizières se sont transformées en mers de panneaux solaires. Que les maisons démolies ont fait la place à des terrains propices aux essais de la robotique et que de riches bâtiments sont sortis de terre.


Des bâtiments flambant neufs ont été bâtis pour accueillir de nouveaux habitants potentiels, comme ici à Okuma.
© Johann Fleuri / Reporterre

Mais la promesse de l’innovation peine à cacher la réalité du tissu social de la zone. La population se compose désormais principalement de fonctionnaires qui travaillent à la reconstruction et d’ouvriers du bâtiment et de Tepco. Traumatisés, les anciens habitants ne veulent pas revenir. En plus de la contamination de la région, la situation de la centrale est encore instable, avec des débris de fuel toujours en cours d’extraction dans les réacteurs 1 et 2.

Pour les anciens habitants, parler de reconstruction est prématuré et s’ajoute à leur douleur. Parmi eux, Mizue Kanno, 72 ans, fait partie des 8 000 anciens habitants de la zone toujours interdite en 2025. Cette assistante sociale vivait à Tsushima, hameau des hauteurs de Namie lorsque la catastrophe a changé le cours de sa vie.

Désormais installée à Miki, dans la préfecture de Hyogo, à plusieurs centaines de kilomètres de là, elle retourne chez elle tous les trois mois, à tour de rôle avec son mari, mais sans s’y attarder : la maison familiale demeure dans l’une des zones qui n’a pas été rouverte et où la radioactivité reste très élevée. En janvier, des mesures ont révélé la présence de césium 137 à hauteur de 3 300 bq/kg, une dose considérable.


La radioactivité est telle que Mizue Kanno et son mari ne passent brièvement à leur maison que tous les trois mois.
© Johann Fleuri / Reporterre

Le projet Fukushima Innovation Coast la révolte au plus haut point : « Cet ensemble d’entreprises peut être converti en industrie militaire en cas d’urgence, dénonce celle qui est devenue militante antinucléaire après 2011. À Namie, l’institut de recherche F-REI s’inspire du site d’Hanford, construit en 1943 pour créer les centrales nucléaires dans le cadre du projet Manhattan. En d’autres termes, il collaborera avec le Pacific Northwest National Laboratory (PNNL), qui a ses racines dans le développement de la bombe atomique. »

Et d’ajouter : « Cela me met tellement en colère que nous, qui avons tant souffert de cette catastrophe, devenions une ville liée à la technologie utilisée dans le développement de la bombe atomique. »


Le gouvernement japonais a investi 440 milliards de yens sur une période de sept ans pour que des entreprises innovantes s’installent sur la côte, comme, ici, Kimidori, qui produit des salades en culture hydroponique.
© Johann Fleuri / Reporterre

L’accélération des levées des interdictions de résidence pour d’autres zones a également eu des effets délétères sur de nombreuses familles, à qui cela a fait perdre des aides, car plus considérées comme évacuées.

« Nos résultats d’enquêtes montrent qu’il y a une superposition des vulnérabilités, explique Cécile Brice, chercheuse au CNRS et codirectrice du Mitate Lab. Les personnes qui ont accepté de s’installer ici n’avaient pas les moyens de faire autrement. Ce sont, pour la plupart, des familles qui étaient socialement fragiles et qui se retrouvent dans une situation qui accroît potentiellement leur précarité, voire la multiplie en y associant d’autres formes de vulnérabilités : environnementales, psychologiques, potentiellement sanitaires… »

Choisie pour incarner l’innovation, Namie est « la ville la plus vaste de l’ancienne zone contaminée, celle qui a été traversée par le panache radioactif le plus dense, poursuit-elle. En la désignant comme modèle de résilience post-accident nucléaire, elle représente l’idée que si le challenge peut être relevé ici, les autres localités ne poseront plus de problème. »


Les communes qui entourent la centrale, en particulier Namie, ont été recouvertes de panneaux solaires.
© Johann Fleuri / Reporterre

Le renouveau de sa ville, Hirofumi Nakatsu, 67 ans, veut y croire. Sa plantation de 300 bananiers « représente la promesse du renouveau d’Hirono, notre ville, et de son dynamisme perdu dans la catastrophe », pense-t-il.

Située à une trentaine de kilomètres au sud de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, la commune a été évacuée en mars 2011, puis rouverte un an plus tard. Enfant du pays, Hirofumi Nakatsu a choisi de rentrer. « Les politiciens ne pourront pas reconstruire tout seuls, dit ce cultivateur. Nous devons être porteurs d’espoir. »

Une seule banane d’Hirono coûte le prix d’un kilo de bananes importées depuis l’étranger.
© Johann Fleuri / Reporterre

Et ce, même si les blessures restent à vif. « La peur des radiations et d’une nouvelle catastrophe demeure. Les cicatrices mentales ne sont pas soignées », déclare-t-il avec pudeur.

Le climat rude de la région du Tohoku ne se prête pas du tout à la culture de ses bananes, qu’il cultive sous serres. Mais qu’importe. Il en faut plus pour entamer son optimisme. « Je ne réfléchis pas en termes de business ou de rentabilité », dit-il. Ce qu’il souhaite, c’est créer une nouvelle identité pour Hirono, loin de ses blessures. Il veut insuffler « du rêve et de l’espoir » à la ville qui l’a vu grandir. Et croire à une guérison, coûte que coûte.

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