La loi zéro artificialisation nette (ZAN) ne sera-t-elle plus que l’ombre d’elle-même ? En quatre ans, voici déjà la troisième proposition de loi à ce sujet. Malgré les enjeux majeurs qu’elle représente en termes de lutte contre le changement climatique, une proposition de loi inquiète les écologistes. Examinée à partir du 12 mars et jusqu’au 13 mars au Sénat, et portée par la droite, elle vise à détricoter les contours de la loi ZAN.
En 2021, via la loi Climat, la France s’était engagée à diminuer de moitié sa consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers d’ici 2031, en passant ainsi de 250 000 à 125 000 hectares en dix ans, jusqu’à atteindre la neutralité en matière d’artificialisation nette des sols en 2050. À partir de cette date, toute nouvelle surface bétonnée devrait être compensée par la renaturation d’une surface de taille équivalente. En filigrane, il s’agit aussi de restreindre le ruissellement des eaux de pluie et les inondations.
Mais en novembre dernier, en conclusion d’un rapport de la droite sur la mise en place de la stratégie de réduction des sols artificialisés, les sénateurs Guislain Cambier (UDI) et Jean-Baptiste Blanc (LR) ont déposé une proposition de loi de « trajectoire de réduction de l’artificialisation concertée avec les élus locaux » (Trace), visant notamment à abroger cet objectif fixé à 2031, tout en maintenant le cap de la neutralité pour 2050.
En amont des discussions autour des 154 amendements retenus, le 12 mars au matin, les rapporteurs Jean-Marc Boyer (LR) et Amel Gacquerre (Union centriste) ont résumé les enjeux lors d’une conférence de presse.
Malgré les assouplissements déjà apportés par la loi du 20 juillet 2023, « la loi ZAN était perçue comme un véritable casse-tête pour les élus, voire même pire, comme un repoussoir », estime la sénatrice Dominique Estrosi-Sassone (LR) en préambule. Au motif que « les conditions d’urbanisation ne sont pas les mêmes partout », la proposition de loi vise à alléger les contraintes qui pèseraient sur les élus locaux, en leur donnant davantage voix au chapitre et en leur laissant davantage de marges de manœuvre pour mener à bien leurs projets de développement.
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Dans le détail, les sénateurs entendent repousser les différentes dates butoirs prévues par la loi, pour intégrer ces objectifs de sobriété foncière dans leurs documents d’urbanisme. Parmi les textes importants, adoptés par le conseil régional, le schéma régional d’aménagement aussi appelé « Sraddet » fixe et impose des objectifs à atteindre en matière de planification territoriale. Mais les sénateurs souhaitent faire sauter son verrou, en lui ôtant son caractère « prescriptif » et en le remplaçant par une « simple prise en compte au niveau local ».
Les sénateurs entendent aussi soumettre l’ensemble des décisions prises autour de ces Sraddet à l’approbation d’une « conférence élargie » composée de représentants des communes et des intercommunalités, des régions et de l’État.
La proposition de loi prévoit d’intégrer de nombreuses exceptions aux quotas d’artificialisation des sols. Les projets d’envergure nationale ou européenne (Pene), les projets industriels, les infrastructures liées aux énergies renouvelables, et la construction de logements sociaux ne compteraient ainsi plus parmi les décomptes.
« Une “trumpisation” qui ne s’assume pas »
Autant de chamboulements qui inquiètent le groupe écologiste, qui n’a pas manqué de dénoncer une « loi de détricotage complet du ZAN » lors d’une conférence de presse organisée le 11 mars. « Quand vous supprimez l’objectif intermédiaire, la réalité c’est que vous abrogez la loi, a fustigé le sénateur de Paris Yannick Jadot. C’est une forme de “trumpisation” qui ne s’assume pas. » Et de filer la métaphore : « C’est comme si, à propos de la réduction du déficit de la France, le gouvernement disait “En 2029, on sera à 3 %”, sans imposer d’objectifs de réduction d’ici là. »
Conscients des attaques sur ce point, sans donner de chiffre ni de date, les sénateurs de droite font uniquement état d’un « objectif crédible » que les régions devront s’imposer afin de respecter la loi zéro artificialisation nette en 2050.
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De son côté, le sénateur de Loire-Atlantique Ronan Dantec voit dans la loi Trace une opération orchestrée par certains des barons de la droite, notamment Laurent Wauquiez. En 2023, devant le congrès de l’Association des maires ruraux à l’Alpe d’Huez (Isère), alors président de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, il s’en était violemment pris à la ZAN, selon lui symbole « des décisions administratives hors sol », et avait laissé entendre qu’il ne respecterait pas les objectifs imposés par la loi.
« On espère que le gouvernement restera ferme contre cette loi de posture qui s’oppose au monde agricole, aux élus locaux et à la transition écologique », a martelé le sénateur Ronan Dantec. L’attitude de l’exécutif n’a pas de quoi rassurer le groupe écologiste : pour l’heure, difficile de déterminer de quel côté pencheront les votes.
Quelques éléments permettent en tout cas d’y voir plus clair. Le 24 février dernier, lors d’une réunion interministérielle, le ministre de l’Aménagement François Rebsamen avait déjà affirmé sa volonté de décaler l’objectif de réduction de moitié de l’artificialisation de 2031 à 2034. Un amendement allant dans ce sens a d’ailleurs été déposé. Bloquant le système de navette parlementaire, la procédure accélérée d’examen du texte a été activée par le gouvernement — autrement dit, il devrait aboutir raidement.
Freiner ce retour en arrière
De leur côté, certaines ONG ne voient toujours pas comment ces assouplissements successifs régleront les préoccupations des maires. Le Fonds mondial pour la nature (WWF) a publié un rapport dessinant les contours d’un grand plan de réforme de la fiscalité pour tenter de régler la question, encore trop peu abordée, des moyens.
D’après ses calculs, réformer la taxe sur la plus-value des terrains nus devenus constructibles, la taxe d’aménagement ou encore la cotisation foncière des entreprises, permettrait ainsi de dégager 2 à 5 milliards d’euros supplémentaires, et de les réinjecter dans des projets de renaturation ou de préservation de la biodiversité.
« Tant que cela coûtera moins cher aux élus locaux de désartificialiser que de densifier l’occupation des terrains existants ou de les réhabiliter, rien ne les incitera à la sobriété foncière », insiste auprès de Reporterre Jean Burkard, chargé de plaidoyer chez WWF France.
Le sénateur écologiste Ronan Dantec le certifie : « Nous allons tout faire pour freiner ce retour en arrière que le pays ne souhaite pas. »
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