De fil en fil, l’Ariège reconstruit sa filière locale de laine


Ariège, reportage

Au bord de la route qui mène au hameau de la Jalousie, dans le nord de l’Ariège, un troupeau de tarasconnaises paît paisiblement. Reconnaissables à leurs cornes enroulées, ces brebis locales, qui vivent au rythme des transhumances, seront tondues au printemps et leur laine sera stockée à quelques centaines de mètres de là. « En Ariège, la laine pousse dans les champs, s’amuse Olivia Bertrand, loin de l’industrie textile mondialisée basée sur la pétrochimie et les OGM. »

Tisserande de formation, cette trentenaire a lancé Laines paysannes en 2016 avec son compagnon Paul de Latour, éleveur de brebis. Au sein de cette association devenue coopérative sous le statut de société coopérative d’intérêt collectif (Scic), le couple et les neuf salariés transforment et valorisent la laine. Celle tondue sur place, mais aussi celle récoltée en se déplaçant de ferme en ferme dans la région, « un territoire avec une grande tradition de pastoralisme  », souligne la tisserande.


Des brebis paissent au port de Salau, dans l’Ariège.
Flickr / CC / PierreG_09

Après la tonte, la laine est triée à la main, lavée, filée, tissée, tricotée… Autant d’étapes réalisées soit sur place soit dans des filatures et ateliers «  à 400 kilomètres maximum de chez nous », précise Olivia Bertrand. En mettant en lien des acteurs locaux et en commercialisant le fruit de leur travail, la coopérative s’est donné pour mission de ressusciter une filière laine dans la région.

4 % de la laine valorisée

La tâche n’a rien d’évident. À l’échelle nationale, le secteur a périclité dès les années 1980, entraînant dans sa chute toute l’industrie liée à la transformation de cette fibre. Aujourd’hui, sur 10 000 tonnes de laine brute française produite par an, 4 % seulement sont valorisées dans l’Hexagone et une grande partie est envoyée en Chine… pour parfois revenir en Europe sous forme de pelotes ou de vêtements bon marché. En quelques décennies, la laine a ainsi perdu toute sa valeur : les grossistes l’achètent aux éleveurs entre 5 et 40 centimes le kilo.  

En France, les moutons sont donc principalement élevés pour leur viande. La tonte n’en est pas moins incontournable : sans elle, les animaux souffriraient de parasitisme ou de la chaleur. Elle coûte 2 à 3 euros par bête et se fait à perte. Faute de débouchés rémunérateurs, les stocks s’entassent dans les hangars des fermes françaises. Certains éleveurs en viennent même à la jeter ou la brûler, d’autres l’utilisent comme engrais.  

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Chez Laines paysannes, c’est tout le contraire : à contre-courant de la fast-fashion, la laine locale est transformée en vêtements, accessoires ou tapis qui ont vocation à durer. Par amour du produit, pour lutter contre le gâchis massif d’une ressource aux multiples vertus, mais aussi par conviction. En favorisant un nouveau débouché pour l’élevage de montagne, la coopérative promeut l’émergence d’une « économie agricole familiale et vivrière ».  

La petite structure est en passe de relever son défi. « 10 à 12 tonnes de laine brute par an sont valorisées par Laines paysannes », souligne Olivia Bertrand. 25 fermes adhèrent à la coopérative qui leur achète la laine à 1,20 euro le kilo, pour couvrir symboliquement le prix de la tonte. « On n’a pas vocation à valoriser toute la laine d’Ariège [environ 60 tonnes produites par an sur le département], reconnaît Olivia Bertrand, mais notre modèle est reproductible. » En opposition au modèle capitaliste des start-up, la structure crée un écosystème vertueux, écologique, mais aussi un « lien social rural » entre éleveurs et acteurs de la filière.

« Nous sommes au début de la reconstruction de la filière »

À une quarantaine de kilomètres de là, à Camarade, petit hameau du nord de l’Ariège, les chèvres angoras de Pauline Fis et Loïc Pélissier passent leurs journées dans le sous-bois de la ferme Mohair Pyrénées. Le couple est un maillon d’une autre branche de la filière laine : le mohair, connu pour sa douceur, sa solidité et ses vertus isolantes. Les chèvres, dont les bouclettes typiques commencent à se dessiner, passeront leur vie à la ferme jusqu’à leur mort. « Après la tonte hivernale ou estivale, le mohair est trié en lots selon sa qualité », explique l’éleveuse.   


Les chèvres angoras, dont les bouclettes typiques commencent à se dessiner, passeront leur vie à la ferme jusqu’à leur mort.
Flickr / CC / myri_bonnie

Avec seulement 9 500 kilos de laine brute par an, la production de mohair est plus discrète que celle de la laine de mouton. Mais elle connaît les mêmes problématiques. La disparition des manufactures, et avec elle la perte de compétences et de matériel, fragilise les petits acteurs, obligés de trouver des solutions pour leur survie. « Nous faisons partie d’une société d’intérêt collectif agricole (Sica), basée à Castres dans le Tarn, qui regroupe une centaine d’éleveurs, précise Pauline Fis. Cela nous permet de mutualiser les étapes de fabrication, et la Sica a racheté de vieilles machines des années 1960, qui en général partent dans les pays de l’Est. »



Et de préciser : « Nous avons embauché une tisserande, car le dernier tisserand de Mohair que l’on connaissait partait à la retraite et aucune manufacture ne voulait s’occuper de notre laine. » Lavage, filage, tissage, tricotage, le parcours de la laine made in France est long et coûteux. De l’autre côté du département, Laines paysannes a internalisé le tissage de ses tapis ainsi que la confection de vêtements pour faire face à l’inflation des prix en ateliers. Pour Olivia Bertrand, l’enjeu, « c’est la réappropriation des outils de production et l’autonomie ».

Une feuille de route présentée à l’Assemblée nationale

Soucieuse d’accompagner le mouvement, la région Occitanie tente d’identifier les besoins du secteur. « On va développer une plateforme de tri d’ici à quelques mois. C’est un projet structurant », explique Mélanie Tisné-Versailles, conseillère régionale. Le projet est porté par cinq acteurs de la filière, basés en Occitanie, souhaitant mutualiser l’étape de la collecte. « Nous sommes au début de la reconstruction de la filière », s’enthousiasme l’élue. 

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Le conseil régional a d’ailleurs adopté, en 2021, un contrat pour les filières textiles, laines et cuir sur cinq ans avec un budget de 19 millions d’euros. Au niveau national, le collectif Tricolor essaie de redonner une dimension nationale à la relance de la filière. Pascal Gautrand, son délégué, est convaincu qu’il faut changer d’échelle et milite pour que « tous les maillons de la chaîne soient ensemble ».

Mais y parvenir suppose des soutiens structurels. C’est pourquoi une feuille de route a été présentée au ministère de l’Agriculture en mai dernier. Elle synthétise 65 contributions des acteurs des filières.

La traçabilité, un argument de vente

Depuis ses bureaux ariégeois, Laines paysannes s’emploie à rendre la laine tendance, en soignant ses produits autant que sa communication. Sur leur boutique en ligne, les marchés ou magasins éphémères, les clients peuvent s’offrir une paire de baskets en laine à 180 euros, un pull pour 120 à 200 euros, ou un tapis tissé main à 3 000 euros. Les prix s’expliquent par le coût de fabrication et la volonté d’une rémunération juste des éleveurs et artisans. 

« C’est un acte militant d’acheter nos produits », soulignent également Pauline Fis et Loïc Pélissier, conscients que le prix peut être un frein. Pourtant, pour les deux structures, la clientèle locale répond présente. La traçabilité est un argument de vente et « la laine est un formidable outil pédagogique pour expliquer la réalité du travail des éleveurs », souligne Olivia Bertrand.

Sous le hangar de Laines paysannes, de gros ballots de laine sont stockés en attendant de poursuivre le chemin de la transformation. Ils sont étiquetés selon leur provenance, la race de brebis, leur couleur naturelle. Un travail de fourmi dans une filière en pleine renaissance, selon Olivia Bertrand : « Fabriquer un pull en laine d’ici, c’est une innovation territoriale. »

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