Dissuasion nucléaire française : soutien à l’appel des militaires


Dans son intervention télévisée du 5 mars, où il est apparu plus désireux que jamais de revêtir l’uniforme de commandant en chef d’une armée européenne – ce n’est pas lui faire un procès d’intention, puisqu’il a reçu ensuite les chefs d’état-major européens à Paris – M. Macron a confirmé sa volonté d' »ouvrir le débat stratégique » sur la protection de « nos alliés du continent européen ». 

Deux jours plus tard, sur France-Soir, le colonel Hogard, le colonel Corvez et l’amiral Gaucherand dénonçaient l’idée d' »une dissuasion nucléaire européenne tranchant avec des décennies d’indépendance française sur le sujet ». 

Soulignant « le principe fondamental de la dissuasion nucléaire » – « arme ultime de défense d’une nation dont la seule existence (…) doit dissuader un quelconque ennemi potentiel de l’attaquer de peur de représailles terribles, insupportables qu’elles entraîneraient pour l’attaquant » – ces militaires mettent en avant deux propos du général de Gaulle : « c’est l’arme qui rend invulnérable et doit préserver la paix par la peur de l’emploi », et « la force de frappe n’est pas faite pour frapper, mais pour ne pas être frappé ». 

Les trois signataires de cette prise de position de la plus haute importance déplorent que « peu de responsables politiques ont assimilé ce concept au cours du temps, et notamment pas les dirigeants actuels ». Ils affirment que « la dissuasion nucléaire est, par essence, l’expression d’une volonté nationale et ne peut être partagée ». 

Parce que « brader notre dissuasion est inacceptable » et que « la dissuasion nucléaire ne se partage pas », ils appellent « à marquer une opposition ferme et complète au projet évoqué par le président Macron ». 

Répondant à leur appel, c’est bien volontiers que je leur apporte ici mon adhésion et mon soutien.  

SI LA FRANCE DOIT FAIRE LA GUERRE, « IL FAUT QUE CE SOIT SA GUERRE » 

Très logiquement, et de divers côtés, il est fait référence au général de Gaulle. Après avoir été le créateur du Commissariat à l’énergie atomique, il a été l’artisan de notre puissance militaire en adaptant la défense de la France à son époque, celle de la « révolution de l’armement nucléaire » succédant à la « révolution du moteur combattant », ce sont ses mots. 

À mon tour, je voudrais mettre à l’honneur sa pensée et son action sur ce sujet capital. 

Et, pour cela, je citerai en premier lieu l’allocution qu’il a prononcée à l’École militaire le 3 novembre 1959. On peut y voir, dans le domaine de la défense, le pendant du discours de Bayeux du 16 juin 1946 en matière institutionnelle. Dans l’un et l’autre cas, les principes fondateurs de son action sont posés en toute clarté, et définitivement. 

De l’allocution à l’École militaire, on retient généralement les premiers mots : « Il faut que la défense de la France soit française (…). Un pays comme la France, s’il lui arrive de faire la guerre, il faut que ce soit sa guerre. Il faut que son effort soit son effort ». 

De Gaulle poursuit : « Naturellement, la défense française serait, le cas échéant, conjuguée avec celle d’autres pays. Cela est dans la nature des choses. Mais il est indispensable qu’elle nous soit propre, que la France se défende par elle-même, pour elle-même et à sa façon ». Je souligne : « par elle-même », « pour elle-même ». 

En réalité, c’est une véritable doctrine qui est exposée par l’homme rappelé au pouvoir dix-huit mois plus tôt pour mettre un terme à la guerre d’Algérie commencée en novembre 1954, remettre la France debout, lui restituer son indépendance afin de faire entendre une voix libre, et au seul service de la paix, dans le concert des nations. 

Le général de Gaulle définit la mission élevée du « commandement militaire, qui doit avoir la responsabilité incomparable de (…) répondre du destin du pays ». Il est catégorique : « S’il n’était plus qu’un élément dans une hiérarchie qui ne serait pas la nôtre, c’en serait fait rapidement de son autorité, de sa dignité, de son prestige devant la nation ». 

De Gaulle condamne formellement « le système qu’on a appelé intégration ». Il « a vécu », dit-il. Et il s’en explique : « La conception d’une guerre et même celle d’une bataille dans lesquelles la France ne serait plus elle-même et n’agirait plus pour son compte avec sa part bien à elle et suivant ce qu’elle veut, cette conception ne peut être admise ». 

Pour autant, il n’exclut pas que « notre défense, la mise sur pied de nos moyens, la conception de la conduite de la guerre doivent être pour nous combinées avec ce qui est dans d’autres pays ». Cela « va de soi ». « Notre stratégie doit être conjuguée avec la stratégie des autres. Sur les champs de bataille, il est infiniment probable que nous nous trouverions côte à côte avec des alliés. Mais que chacun ait sa part à lui ! » 

« DONNER A LA FRANCE LES MOYENS DE SON INDÉPENDANCE, DE SA SÉCURITÉ » 

Nous sommes en 1959. La France n’est alors dotée que d’un armement conventionnel. 

De sa conception de la défense nationale, le nouveau chef de l’État tire une « conséquence » : « Il faut  évidemment, que nous sachions nous pourvoir, au cours des prochaines années (…), de ce qu’on est convenu d’appeler « une force de frappe » susceptible de se déployer à tout moment et n’importe où ». Et, « à la base de cette force sera un armement atomique – que nous le fabriquions ou que nous l’achetions – mais qui doit nous appartenir. Et (…) il faut que cette force soit faite pour agir où que ce soit sur la terre ». 

En pratique, cette arme nucléaire sera « bâtie » par « la France seule, ou quasiment seule, en tout cas sans connaissance des grands secrets scientifiques comme des petits secrets technologiques », expliquera Michel Debré. Dans une conférence de presse, le 23 juillet 1964, le général de Gaulle peut se féliciter que « la carrière de la dissuasion nous est donc désormais ouverte. Car le fait d’attaquer la France équivaudrait, pour qui que ce soit, à subir lui-même des destructions épouvantables ». 

Quand bien même nous ne disposons pas de l’arsenal des Américains et des Russes, il insiste sur ce fait majeur : « à partir d’une certaine capacité nucléaire » et « puisqu’un homme et un pays ne peuvent mourir qu’une fois, la dissuasion existe dès lors qu’on a de quoi blesser à mort son éventuel agresseur, qu’on y est très résolu et que lui-même en est bien convaincu ». 

Au total, « notre effort atomique, à court, à moyen et à long terme » a pour but de « donner à la France les moyens de sa sécurité et de son indépendance, par là même ceux de son action au profit de l’équilibre et de la paix dans le monde ». 

De Gaulle le répétera dans une autre conférence de presse, le 28 octobre 1964 : « L’accession de la France à la puissance nucléaire en même temps qu’à l’indépendance en matière de défense nationale est pour elle, désormais, une garantie essentielle sans précédent de sa sécurité propre ». 

« De sa sécurité propre ». Voilà qui est bien clair ! Notre armement nucléaire a été conçu pour assurer la défense de la France, et d’elle seule. On ne pouvait, du reste, pas s’attendre à autre chose quand on sait que le général de Gaulle avait combattu très vigoureusement le projet d’armée dite européenne, sous la IVᵉ République. 

Michel Debré le dira aussi : « Ne parlons pas à la légère de défense européenne. La défense est d’abord nationale. Une nation, la France notamment, est toujours seule devant son destin ». Ce qui « n’empêche pas les alliances ». 

Alors que l’Amérique a renoncé à être le gendarme du monde, la France n’a ni la vocation, ni moins encore les moyens, de devenir le gendarme de l’Europe. 

Les militaires qui sont intervenus dans le débat public, avec leur appel diffusé par France Soir, ont mille fois raison. On ne joue pas avec la dissuasion nucléaire française.

 

 





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