« Écologistes, mobilisons-nous pour les exilés »


L’Observatoire Terre-Monde est le centre d’étude des écologies politiques des Outre-mer français et de leurs proches régions. Vietnam Dioxine est un collectif d’écologie décoloniale en soutien aux victimes de l’agent orange.


Nous, militantes et acteurices des luttes antiracistes, écologistes et décoloniales en France, condamnons fermement la décision prise par l’État français, via la préfecture de Paris, d’expulser soudainement et violemment de la Gaîté lyrique [un lieu culturel parisien] 450 jeunes mineures non accompagnées (MNA) à la rue, sans leur laisser le temps nécessaire pour un recours effectif et alors qu’aucune solution d’hébergement digne ou pérenne ne leur a été proposée.

Il est urgent de donner à ces jeunes ce à quoi ils ont droit : le respect de la présomption de minorité, des conditions de vie dignes, un logement immédiat et durable leur permettant d’assurer leurs besoins administratifs, une vie personnelle et familiale comme toute une chacune, un accès à l’éducation, aux soins et aux transports gratuits.

Il est aussi nécessaire de s’attarder et de saisir la gravité de ce qui se joue dans le traitement étatique des mineures non accompagnées en France. C’est l’émanation de violences coloniales passées qui se perpétuent quelle que soit l’alternance gouvernementale, par le « tri » entre les personnes sur la base de critères racistes. Nous alertons, depuis de longs mois, sur l’augmentation des violences d’État exercées en Kanaky, à Mayotte, à la Réunion, dans les quartiers populaires d’Hexagone ou même lors des mobilisations contre la vie chère en Martinique et en Guadeloupe.

Lire aussi : « Le peuple kanak est en état d’urgence colonial et climatique »

C’est ce même pouvoir colonial qui a mené des campagnes de « sécurisation contre la délinquance » auprès des mineures isolées, mahoraises pour la plupart, dans le quartier de Fayard à Saint-André de La Réunion à la demande de la préfecture. C’est ce même pouvoir colonial qui refuse aux mineures comoriennes à Mayotte le droit d’habiter et d’être de la terre, comme les impétueuses opérations Wambushu nous l’ont montré.

Violence raciale des autorités françaises

Nous interpellons sur la tendance aggravée à l’autoritarisme et à une normalisation de la violence raciale de la part des autorités françaises. Dos à dos, les administrations (Préfecture, Département et Ville de Paris) semblent décidées à se renvoyer la balle de la responsabilité plutôt qu’à agir. Elles gagnent ainsi du temps, piétinant le droit et aggravant la précarité déjà flagrante des MNA — voici leur cagnotte — en les empêchant de prétendre à un logement digne.

Le gouvernement, désormais infiltré par l’extrême droite, apparaît, lui, au service d’un projet de renaissance d’une communauté imaginaire passant par une stigmatisation des personnes exilées et de leurs descendantes, et la diffusion d’un fantasme populiste de « submersion migratoire ». Il est dès lors d’une urgence absolue de faire preuve de responsabilité et de recourir à la rationalité.

Qu’y a-t-il de plus urgent à l’heure actuelle, à Paris, que de reloger de façon pérenne et durable, les 450 jeunes concernées ? L’écologie, qui est l’étendard de cette mairie, ne devrait pas être l’affaire de réunions, de conférences et d’ateliers maintenus au détriment de jeunes gens qui dorment dans la rue.

Lutter pour l’écologie, c’est se préoccuper et agir pour le droit d’avoir accès à la terre et donc à un logement, qui que nous soyons et d’où que l’on vienne. Et la rue n’est un lieu favorable ni pour dormir, ni pour vivre, ni pour grandir. Le gouvernement de droite macroniste gouvernant avec l’extrême droite, la gauche institutionnelle ne peut plus se contenter de renvoyer la balle au camp adverse, sans se battre pour des mineures, seules et livrées à eux-mêmes.

Elle a le devoir de proposer d’autres solutions. Que sont 90 euros par jour — coût maximum pour la prise en charge d’un MNA par l’administration — pour 450 vies humaines, par rapport à 170 millions d’euros investis par la Ville de Paris pour les Jeux olympiques ? La situation des MNA est la vitrine du traitement défaillant de l’ensemble de l’administration française à l’égard de certaines vies, et chacune des parties a le devoir impératif d’en changer, urgemment.

Combien parmi nous ont été jugés indésirables en France ?

Nous demandons à la France de cesser ces pratiques qui s’inscrivent malheureusement dans la longue tradition d’un accueil à la française. Combien parmi nous, nos parents ou grands-parents, ont été jugés indésirables et sont passés par les dispositifs dits d’accueil et pourtant mortifères dans ce pays : camps de transit et d’hébergement, bidonvilles, CRA [centres de rétentions administratives], « jungles », etc. Combien parmi nous et nos aînées ont été déshumanisées, essentialisées, rejetées pour ce qu’iels sont ? Les mots et les dispositifs changent, la violence et le mobile raciste, eux, restent inchangés.

Les blessures physiques et psychologiques causées par ces conditions d’arrivée en France ne concernent d’ailleurs pas uniquement ceux qui en sont directement victimes. La France engendre, depuis trop d’années, des générations entières marquées par les traumatismes hérités des expériences vécues par leurs aînées, sans qu’aucune forme de réparation ni de soin ne soit apportée.

Comme nous l’écrivions avec d’autres collectifs écologistes, « l’écologie décoloniale invite à une intégration plus large des questions antiracistes et décoloniales, et non uniquement quand les problèmes sont cadrés d’un point de vue écologiste ».

« Comment vouloir préserver les terres si certaines en sont exclues ? »

Nous interpellons donc les écologistes (élus, militantes, organisations et collectifs) à une mobilisation solidaire contre le racisme d’État dont sont victimes les MNA. Comment parler d’un monde plus durable sans demander plus de justice ? Comment vouloir préserver les terres si certaines en sont exclues ? Et alors même que les modes de vie occidentaux, responsables de la crise climatique, devraient amplifier les phénomènes migratoires ?

Nous souhaitons, militants écologistes décoloniaux, par la présente tribune, bâtir un pont entre ces deux champs de lutte afin de créer et renforcer un front écologiste antiraciste.



Les premiers signataires :

Action Justice Climat Paris

Assemblée des Quartiers

Bon Pote, média indépendant

Valérie Cabanes, juriste spécialisée dans les droits de l’Homme

CliMates

Comité Vérité pour Adama

Cyril Dion, écrivain et réalisateur

Désobéissance écolo Paris

Destins liés

Droit dans les yeux

France Nature Environnement Ile-de-France

Génération Panasiatique

Jeunesse populaire

La Collective Kwir

Léna Lazare, porte-parole des Soulèvements de la Terre

Les Impactrices

Lilith du COAADEP

Marie Chureau, activiste pour l’écologie et la justice sociale

Observatoire féministe des violences médicales

PikPik Environnement

Reha Simon, Histoires Crépues

Réunion Palestine

SOS Paris

Vincent Verzat, vidéaste

Jonathan Ruff-Zahn, Tsedek !

Thu-An Duong, Bissai Media

Sam Leter, Decolonial Film Festival

Youth for Climate IDF

David Maenda Kithoko, Génération Lumière/OTM

Camille Etienne, militante écologiste

Lissell Quiroz (CY Cergy Paris Université)

Vinz Kanté – LIMIT

Vipulan Puvaneswaran, militant écologiste et antiraciste

Urgence Palestine Paris 19e

Collectif Voix déterres

SAMBA (Section antifasciste Montreuil Bagnolet & alentours)

SURVIE

Frah, chanteur de Shaka Ponk

Jason Temaui Man, President de Te Motu

Johan Reboul – Le jeune engagé

Les Digitales

Comité Palestine SciencesPo

Comité Palestine Paris-Saclay

#NousToutes

Assemblée pour des soins antiracistes et populaires (ASAP)

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