Dans les entrailles de l’USAID


Aux Etats-Unis, il arrive toujours un moment où l’envie de remettre le cirque en route a sonné. En apparence sans cadre théorique ni doctrinal, prenant forme en avançant, les mécanismes mis en œuvre par Donald Trump défient effectivement l’orthodoxie. Guerre commerciale avec la Chine, le Mexique et le Canada, humiliation publique de Volodimir Zelensky, razzia sur les matières premières de l’Ukraine, mépris affiché pour l’Union européenne, menaces sur le Groenland ou le Panamá, sanctions aggravées pour la République bolivarienne du Venezuela…

Rien d’autre ? Si, bien sûr ! En interne, l’annonce d’un cataclysme. Une purge politique de l’administration fédérale, jugée trop dispendieuse et inféodée aux démocrates. Des milliers de contractuels et d’agents fédéraux se retrouvent à la rue – y compris au sein du Département de la Justice ou de secteurs sensibles du Pentagone et du FBI. Voilà. L’imprévisible. Un monde s’écroule, règles à la dérive, codes annulés.

S’il est bien éduqué, le dogue allemand n’est pas plus agressif que les autres chiens. En revanche, le DOGE américain s’apparente au pit-bull : un animal dangereux représentant un péril grave et immédiat. Pour mener le carnage, Donald Trump a confié au ploutocrate Elon Musk, l’un de ses soutiens clés durant la campagne électorale, la direction du Département de l’efficacité gouvernementale, le DOGE en question. Celui-ci mord très fort : 2,3 millions de fonctionnaires sont dans un premier temps incités à démissionner en bénéficiant d’une compensation salariale jusqu’en septembre. Qu’ils refusent ce plan de départ et le pire leur arrivera.

L’Agence des Etats-Unis pour le développement international (USAID) a ouvert le bal. Supervisée par le Président, le Département d’Etat et le Conseil de sécurité nationale (NSC), elle est présente dans plus de cent pays et compte près de 10 000 employés. Dès le 26 janvier, Trump a annoncé « une réévaluation et un réalignement de l’aide étrangère étatsunienne », affirmant devant la presse qu’elle a été dirigée « par une poignée de lunatiques radicaux ». Pour Musk, qui la considère comme une organisation criminelle, « un nid de vipères radicales-marxistes détestant l’Amérique », il est temps que meure cette institution. De fait, son siège situé à Washington, le Ronald Reagan Building (RRB), a été fermé le 3 février et ses activités ont été suspendues pour 90 jours. A l’exception de 611 fonctionnaires essentiels, responsable des fonctions critiques, de la direction centrale et de programmes spécialement désignés, tous les employés ont été placés en congé administratif dans le monde entier. En attendant une réduction d’effectifs qui devrait affecter environ 2000 d’entre eux aux Etats-Unis, les agents « mis au repos » à Washington n’ont eu droit qu’à quinze minutes pour récupérer leurs affaires personnelles au RRB. Le mépris élevé à la hauteur d’un art, au pays de la liberté.

Insanité et déraison, l’affaire d’emblée fait grand bruit. Le budget de l’USAID a atteint 44 milliards de dollars en 2024. D’après le Service de suivi financier (FTS) du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA), les Etats-Unis avaient alloué 327,4 millions de dollars au seul « financement humanitaire » dans le monde entier pour 2025. Or, dans de multiples pays, immédiatement après l’ordre exécutif signé dans le Bureau Ovale, entités internationales, gouvernements, organisations non gouvernementales (ONG), fournisseurs de biens et de services ont été avisés de la suspension du financement des programmes en cours ou prévus.

En France, dans une vertueuse chronique publiée par le quotidien Le Monde (25 février), Najat Vallaud-Belkacem et Guillaume Gonin s’insurgent – « L’USAID apporte nourriture, eau et soins aux victimes des catastrophes naturelles et de malnutrition » – rappelant, pour expliciter leur propos, « comment Ebola fut en grande partie contenu grâce à la politique de prévention et de traitement de l’Agence ». D’autres s’inquiètent publiquement de l’interruption des financements apportés aux activités de la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH), aux opérations aériennes anti-drogue de la police colombienne, à l’accueil des Vénézuéliens ayant cherché refuge au Brésil ou aux programmes de substitution de la culture de coca dans plusieurs pays d’Amérique du Sud, pour ne citer que quelques exemples édifiants.

Nommé par Trump Administrateur intérimaire de l’USAID, le secrétaire d’Etat cubano-américain Marco Rubio a immédiatement congelé 83 % l’aide à destination de l’extérieur (5 200 contrats annulés), avec deux exceptions notables, pour des démocraties exemplaires : l’Egypte et Israël. L’humanitaire a ses priorités. Toutefois, en décalage avec quelques-uns de ses comparses, Rubio ne se montre pas spécialement favorable au démembrement de l’organisme. Depuis le Salvador, lors de sa première tournée en Amérique centrale, il a ainsi déclaré à son sujet : « Certaines des choses qu’elle fait sont bonnes ; d’autres suscitent des doutes sérieux. » Assertion qu’on estimera ici raisonnable. Mais pas forcément pour les mêmes raisons que celles qui tournicotent dans la tête de Rubio.

Grosse colère. « Le gel du financement de l’aide américaine sème le chaos dans le monde entier, y compris dans le journalisme, dénonce en France l’organisation Reporters sans frontières (RSF). Les programmes qui ont été gelés apportent un soutien vital à des projets qui renforcent les médias, la transparence et la démocratie [1]. » La suite du communiqué a le mérite de la clarté : les programmes de l’USAID soutiennent les médias « indépendants » (c’est nous qui rajoutons les guillemets) dans plus de 30 pays, mais il est difficile d’évaluer l’ampleur totale de l’impact. Selon les données de l’USAID de 2023, « l’agence a financé la formation et soutenu 6 200 journalistes, aidé 707 médias non étatiques et soutenu 279 organisations de la société civile œuvrant pour le renforcement des médias indépendants ». Le budget de l’aide étrangère pour 2025 prévoyait quelque 268 millions de dollars alloués par le Congrès US pour soutenir « les médias indépendants et la libre circulation de l’information ».

Par d’autres sources médiatiques tout aussi préoccupées, on apprendra bientôt qu’en Géorgie, « la quasi-totalité des médias indépendants fonctionnent grâce aux financements étrangers », qu’en Ukraine, selon une étude publiée en mai 2024 par le Lliv Media Forum, « environ 75 % des médias restaient partiellement ou totalement dépendants des subventions étrangères, dont la majorité américaine » [2], que…

Quelques temps avant son communiqué « SOS USAID », RSF, dans son exaltante tâche de « défense de l’information » et du pluralisme, avait publié une diatribe d’un tout autre ton : « Derrière un nom trompeur, International Reporters est en réalité un nouveau site au service de Moscou. Financé par les réseaux d’influence du Kremlin, il mobilise des propagandistes internationaux, souvent basés en Russie, pour toucher un public étranger. (…) RSF dénonce cet outil de propagande qui pollue l’espace informationnel [3]. » Il y aurait de quoi s’y perdre. Mais, non. Ne pas rire, s’il vous plaît. Une source d’ « information » financée par Washington est « indépendante » ; un média appointé par Moscou pratique la « désinformation ».

Ces arguments ne tiennent pas. Tous deux sont des outils de propagande. Ils poursuivent simplement des objectifs opposés. Directrice du Centre pour le journalisme d’investigation – une organisation bosniaque soutenue par l’USAID –, Leila Bicakcic a eu l’honnêteté d’admettre que « si vous recevez un financement du gouvernement américain, il y a certains sujets que vous n’aborderez simplement pas, car le gouvernement américain a des intérêts qui passent avant tous les autres [4] ».

On retrouve dans l’entourloupe le RSF dirigé entre 1985 et 2008 par le militant d’extrême-droite Robert Ménard : une ONG « indépendante » (elle aussi !) financée entre autres, à l’époque, par le Centre pour Cuba libre – une fondation impliquée, depuis Miami, dans des actions à caractère terroriste sur le territoire cubain – et la National Endowment for Democracy (NED), créée en 1982 par Ronald Reagan pour financer publiquement ceux que la CIA arrosait en secret avant que de multiples scandales ne l’obligent à faire profil bas [5]. Avec, pour corollaire, s’agissant de RSF, une défense inconditionnelle de médias latino-américains pratiquant le mensonge, l’incitation à la violence et le soutien à la déstabilisation de leurs pays respectifs, ainsi que des attaques incessantes contre les gouvernements progressistes latinos (pour ne citer que la zone géographique dont il va être question dans cet article). Ce, bien entendu, pour la plus grande satisfaction de l’impérialisme américain.


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L’USAID ayant vu fermer tous les accès à son site Web, il se révèle difficile de dresser la liste complète des médias (et des journalistes à la déontologie plutôt souple) ayant reçu ponctuellement ou régulièrement ses paiements. Toutefois – car il ne s’agit pas d’une découverte –, beaucoup étaient déjà parfaitement connus. D’autres, toute honte bue, attirent eux-mêmes l’attention sur leur cas. Ainsi, le 21 janvier, le site Nicaragua Investiga a averti que le décret de Trump «  menace de porter un coup sévère » à sa croisade antisandiniste, ce soutien étant un « pilier fondamental » dans les efforts de la droite dure et de pseudo-sociaux démocrates pour saper l’influence et renverser le chef de l’Etat Daniel Ortega [6].

Le 26 février, Cubanet, média « indépendant » créé en 1994 à Miami pour mener campagne contre le gouvernement de l’île, a été pareillement averti : la subvention de 1,8 millions de dollars octroyée par l’USAID pour une durée de trois années est supprimée. En 2024, 500 000 dollars lui avaient été spécifiquement attribués pour mobiliser « la jeunesse cubaine de l’île à travers un journalisme multimédia objectif et non censuré ». Diario de Cuba (siège à Madrid ; 1,3 millions de dollars de 2016 à 2020), ADN Cuba (3 millions de dollars de 2020 à 2024), El Toque (grand pourvoyeur de « chatbots » [7] destinés au public insulaire sur les plateformes WhatsApp, Telegram et Messenger) ou CiberCuba voient également leur oxygène se raréfier.

Balayant toute capacité de raisonnement, un déferlement d’émotions a accompagné la plus spectaculaire des annonces : chefs de file historiques de l’industrie médiatique anti-cubaine, Radio et TV Martí vont cesser de vociférer. Elles ont, depuis leur naissance – 1984 pour la radio, 1990 pour son homologue télévisée – coûté quelque 800 millions de dollars au budget fédéral étatsunien pour entretenir vainement le rêve des ennemis de la révolution cubaine : aller enfin danser sur la tombe de Fidel Castro.

Au Salvador, Gato Encerrado , El Faro , Revista La Brújula , Focos , Mala Yerba , Factum , Ilumina en appellent à leurs lecteurs pour combler le gouffre qui s’ouvre sous leur impartialité. Sale temps aussi en Colombie : très critiques à l’égard du président de centre-gauche Gustavo Petro, La Silla Vacia (dont 45,9 % des revenus provenaient de l’USAID en 2023) ou la Fundación para la Libertad de Prensa (FLIP) voient poindre la disette. Même panique au Venezuela pour Efecto Cocuyo et l’armada des influenceurs sous influence anti-bolivariens.

Une situation d’autant plus « préoccupante » pour les droites locales que ces médias dits alternatifs « made in US » alimentent abondamment la presse internationale, faisant de ce qu’ils racontent, exagèrent ou inventent une réalité largement admise et répercutée.

En France, c’est dans la « matinale » de France Culture que l’affliction atteint son apogée. Le 18 mars, d’une voix littéralement bouleversée, Catherine Duthu, responsable de la Revue de presse internationale, avise de la terrible nouvelle : ce que Hitler, Staline, Mao et Poutine avaient échoué à obtenir, Trump l’a fait. Voice of América (VOA ; La Voix de l’Amérique) vient de cesser d’émettre (temporairement ou définitivement), 1 300 de ses employés sont mis en congé. Directement contrôlée par l’Etat, diffusée en 63 langues vers 400 millions d’auditeurs, VOA est le service de diffusion internationale du gouvernement américain. En matière d’impartialité, on a déjà fait mieux. S’agissant de l’Amérique latine, VOA défraie la chronique depuis très longtemps. Entre autres hauts faits d’armes, elle a mené les campagnes médiatiques qui, telles des préparations d’artillerie, ont précédé le renversement de Jacobo Árbenz au Guatemala (1954), la tentative d’invasion de la Baie des Cochons à Cuba (1961), le coup d’Etat contre le progressiste Juan Bosch en République dominicaine (1963) et l’invasion de ce pays par les « marines » en 1965.

Lorsqu’elle traite d’un sujet « latino », avec un intérêt marqué pour la diabolisation du Nicaragua, du Venezuela et des gouvernants de gauche, dits « populistes » de la région (à l’exception peut-être du brésilien Lula), Duthu cite régulièrement cette radio « indépendante » (nous n’inventons rien !) [8], qui, à l’évidence, va beaucoup lui manquer. Responsable de la « matinale, Guillaume Erner s’étrangle avec Duthu : Radio Free Europe, qui hier contribua « à fissurer le bloc de l’est », va également se taire [9]. Les haut-parleurs de l’Amérique devenus silencieux, l’information objective – c’est-à-dire pro-impérialiste – ne sera plus ce qu’elle était.

Qu’on se rassure à France Culture  : rien n’est perdu. Le 21 mars, RSF a porté plainte contre l‘administration Trump afin d’exiger l’arrêt immédiat de la dissolution de VOA et la réintégration rapide de ses employés.

Un détail, au passage. Pour justifier la fermeture de VOA et de Radio Free Europe/Radio Liberty, Musk a aboyé : « C’est juste des gauchistes fous qui se parlent entre eux tout en sifflant un milliard de dollars aux contribuables. » On ne saura jamais s’il croit ou non à ce qu’il dit. A l’exception du paquet de dollars invoqué, c’est en tout cas grotesque, incroyable, très rigolo.

Dans un autre registre, s’insurge implicitement Le Monde, des ONG travaillant sur la Chine, les Ouïgours ou les Tibétains, sont dans la même situation, « mais peu de leurs représentants sont désireux de parler, pour ne pas souligner leur dépendance aux aides américaines, angle d’attaque évident pour Pékin ». De quoi, pour les uns, vilipender Xi Jinping, mais aussi, pour d’autres, lever un sourcil circonspect face au déferlement d’informations et de rumeurs toutes plus accusatrices les unes que les autres dès que sont évoquées ces contrées – « génocide culturel », « stérilisations », « torture », « persécutions religieuses », « travail forcé » [10]

Moins d’un quart du budget humanitaire mondial est financé par des fonds privés. Aux trois quarts, ce sont les Etats qui règlent la note. Or, seulement vingt pays, pour la plupart membres ou alliés de l’OTAN, règlent 97 % des dépenses étatiques pour l’humanitaire [11]. En fournissant 42 % de ce budget mondial, l’USAID occupe dans le concert une place de choix.

Créée le 3 novembre 1961 par John F. Kennedy, en plein cœur de la guerre froide, l’USAID l’a été en même temps que l’Alliance pour le progrès, destinée spécifiquement à l’Amérique latine. Une réponse, s’agissant de cette dernière, à la révolution cubaine et à la montée des mouvements de libération nationale, armés ou non. Outil d’aide financière au développement destiné à réduire la pauvreté, l’expérience de l’Alliance se terminera dix ans plus tard sans avoir atteint ses objectifs malgré les 20 milliards de dollars injectés. A ce moment, au Chili, le président Salvador Allende entendait s’attaquer aux problèmes non résolus par une autre voie : un socialisme arrivé au pouvoir démocratiquement.

Si l’Alliance pour le progrès s’éclipse, l’USAID, elle, survit. Poursuivant les objectifs initiaux par d’autres moyens. Qu’on dira moins… altruistes – si tant est que ceux de l’Alliance pour le progrès l’aient été. Ce qui oblige à revenir sur toutes sortes de vieilles histoires folles que le monde a oubliées.

Entre 1960 et 1970, l’USAID s’est associée au Bureau de sécurité publique de la CIA, un département accusé de former des milliers de policiers et de militaires vietnamiens, philippins, indonésiens et thaïlandais aux « techniques de terrorisme et de torture » [12]. En 1970, l’USAID sert de couverture à l’agent du FBI Dan Mitrione, envoyé en Uruguay afin d’y dispenser, lui aussi, les « techniques avancées de contre-insurrection ». En d’autres termes : éliminer tout être dont les idées sociales peuvent devenir dérangeantes. Expert en torture, le « yankee » est passé de 1962 à 1967 par le Brésil du coup d’Etat. Puis, en 1965, par la République dominicaine, lors du débarquement de « marines » chargé de pérenniser le renversement du président Juan Bosch. A ses élèves en uniforme, Mitrione transmet son cœur de métier : « La douleur exacte, à l’endroit exact, en quantité exacte, pour obtenir l’effet désiré ». En Uruguay, l’aventure ne se termine pas exactement comme il l’avait prévu : démasqué et enlevé par les révolutionnaires Tupamaros, il est exécuté le 10 août 1970 [13].

Lors de ses funérailles, aux Etats-Unis, le porte-parole de la Maison-Blanche, Ron Ziegler, le qualifie d’homme dont « le service dévoué à la cause du progrès pacifique dans un monde ordonné demeurera un exemple pour tous les hommes libres ». Il y a incontestablement de l’USAID, là-dedans…

Asie, Amérique du sud, Amérique centrale, la Guerre froide n’a pas de préférés. Cette même année 1970, au moins 30 000 policiers guatémaltèques ont déjà reçu une formation à la contre-insurrection organisée et financée par l’USAID. La guerre civile fait rage dans ce pays depuis 1960 – conséquence du renversement de Jacobo Árbenz en 1954 [14] ; elle se terminera en 1996 en ayant fait 200 000 morts et disparus, dont 80 % d’origine indigène, selon l’ONU.

Entre 1996 et 2000, lorsque le dictateur péruvien Alberto Fujimori ordonne et provoque la stérilisation forcée de 300 000 femmes en majorité pauvres et autochtones, 35 millions de dollars de l’USAID financent les opérations.

Ce sont là des choses qu’on hésite à raconter aux âmes sensibles indignées par les malheurs de l’USAID. De même, mieux vaudrait sans doute éviter de leur détailler le curriculum vitæ de certains de ses dirigeants.

En mode non exhaustif, juste histoire de causer…

De 1981 à 1983, sous la présidence de Ronald Reagan, la division latino-américaine de l’USAID est dirigée par l’idéologue d’extrême droite Otto Reich. Lorsque celui-ci abandonnera cette fonction, ce sera pour créer le Bureau de diplomatie publique, une officine rattachée au département d’Etat d’où il alimentera la presse en rumeurs – on dirait aujourd’hui « fake news » – sur le Nicaragua, faisant état de l’acquisition, par le gouvernement sandiniste, de MIGs soviétiques ou d’armes chimiques aussi réelles que celles invoquées plus tard par Colin Powell pour justifier l’invasion de l’Irak. Reich collabore également avec l’équipe du lieutenant-colonel Oliver North, lequel organise un trafic secret d’armes avec l’Iran pour financer l’équipement des « contras » (contre-révolutionnaires nicaraguayens). Près de dix ans plus tard, Reich sera nommé envoyé spécial pour l’Hémisphère occidental (le continent américain) par le président George Bush Ier. Avocat de l’industrie militaire (Lockheed Martin), on le retrouve sous-secrétaire d’Etat pour l’Amérique latine de l’administration Bush II et directement impliqué dans la tentative de coup d’Etat contre le président vénézuélien Hugo Chávez, le 11 avril 2002.

Mark B. Feierstein. Administrateur adjoint de l’USAID pour l’Amérique latine et les Caraïbes, il confie en 2012 que Washington accorde la priorité au soutien des forces d’opposition « luttant pour les droits de l’homme et la démocratie » à Cuba, au Venezuela, en Bolivie, en Equateur, au Nicaragua et que des fonds sont fournis à des groupes anti-gouvernementaux basés dans ces pays [15]. C’est déjà une forme d’aveu. Ceux-ci seraient complets si Feierstein précisait qu’il a été agent du renseignement américain ; « chef de projet », lui aussi, de la guerre sale menée au Nicaragua contre le gouvernement sandiniste pendant la décennie 1980 ; acteur clé de la fuite à l’étranger de l’ex-chef de l’Etat bolivien Gonzalo Sánchez de Lozada, responsable pendant son mandat, en octobre 2003, d’un massacre ayant causé 67 morts et 400 blessés.

Avant d’intégrer l’USAID en tant que sous-directeur, Donald Steinberg a, entre autres missions, transité par le Conseil de sécurité nationale de la Maison-Blanche (affaires africaines) et dirigé le bureau diplomatique de Washington en Afrique du Sud avant la fin du régime d’apartheid.

Directeur régional adjoint pour l’Amérique latine sous l’administration de George W. Bush, José Cárdenas a lui aussi siégé au Conseil de sécurité nationale pendant cette même administration et y a défendu le concept des « frappes préventives ». En 2013, s’il s’est fait remarquer, ce n’est pas pour son dévouement à la cause du développement durable ou à la qualité de la vie dans les pays récepteurs, mais pour avoir tenté d’interférer dans une enquête interne de l’USAID sur une possible corruption dans la gestion de fonds destinés à des actions subversives menées à l’étranger.

Plus récemment, en janvier 2021, le président démocrate Joe Biden annonçait la nomination de Samantha Power à la tête de l’institution. Là encore, de nombreux détails attirent l’attention. Dans un ouvrage publié en 2002 [16], Power a théorisé la « responsabilité de protéger » (R2P), version « soft » du droit d’ingérence utilisé ultérieurement (2011) pour justifier l’intervention militaire internationale et la destruction de la Libye [17]. Entretemps, bien qu’en désaccord avec les méthodes de George W. Bush, Power a soutenu la guerre contre l’Irak : « Une intervention étasunienne améliorera probablement la vie des Iraquiens », déclare-t-elle dans une interview, le 10 mars 2003. Des postes qu’elle occupe ensuite au Département d’Etat et au Conseil de sécurité nationale – décidément la voie royale pour arriver à la direction de l’USAID – sous la présidence de Barack Obama, elle soutient fermement les interventions militaires en Libye et en Syrie. Lors de la séance de confirmation qui précède sa nomination au poste d’ambassadrice des Etats-Unis à l’ONU (2013-2017), elle déclare devant le Sénat : « Ce pays est le plus grand du monde. Je ne m’excuserai jamais au nom des Etats-Unis ! »

A l’ONU, Power critique l’institution pour son « traitement inégal » de l’ « Etat juif » et pour son silence « indéfendable » face aux « attaques terroristes contre des Israéliens ». Au passage : que ce soit pendant l’opération « plomb durci » (décembre 2008 ; 1 300 Palestiniens tués) ou aujourd’hui, alors que se déroule, sous les yeux du monde, le massacre des Gazaouis, jamais on n’a entendu Power invoquer sa marotte à géométrie variable, la « responsabilité de protéger » [18].

Un passage par la Carnegie Endowment for International Peace, où elle travaille en tant qu’assistante de Morton Abramowitz, ex-administrateur de la NED (la version présentable de la CIA !), et voici notre « faucon humanitaire », comme elle s’est elle-même baptisée, à la tête de l’USAID.

So, what ?

Nothing !

Comme d’habitude, dans une orgie de fonds « humanitaires », l’institution se consacre à la déstabilisation « non-violente » des pays considérés « non-amicaux » ou « non-vassaux » – à commencer par Cuba, le Nicaragua et le Venezuela.


Samantha Power, « faucon humanitaire »

D’accord, d’accord, d’aaaaaccord  : il existe une version respectable des activités de l’USAID allant de la vaccination des enfants à l’accès à l’eau potable des populations, de la lutte contre la malnutrition au financement des grandes organisations onusiennes – Unicef, Programme alimentaire mondial (PAM), Organisation internationale pour les migrations (OIM), Haut Commissariat pour les réfugiés (HCR), etc. Un système bien articulé de « smart power », mais, somme toute, aux objectifs salutaires et particulièrement importants.

Toutefois, que vient faire au milieu de ces nobles desseins le soutien aux partis politiques, introduit en 2003 sous l’administration de George W. Bush ? En théorie, cet appui n’est autorisé qu’à certaines conditions : tous les partis « démocratiques » du pays concerné doivent recevoir « des niveaux de soutien équitables », étant entendu que ceux-ci ne doivent en aucun cas « affecter les résultats électoraux ».

En Haïti, cela s’est traduit de cette manière : en 2011, peu de temps après que Washington ait contribué à inverser les résultats de l’élection présidentielle pour porter au pouvoir Michel Martelly (arrivé en troisième position au premier tour), l’USAID a alloué près de 100 000 dollars au Mouvement Tet Kalé (MTK), proche du nouveau chef de l’Etat. Le transfert de fonds se fit à travers le Bureau des initiatives de transition (OTI), une branche de l’USAID, et plus précisément par l’intermédiaire d’une entreprise à but lucratif, Chemonics. Selon cette dernière, ce soutien visait à financer le nettoyage de la capitale « avant la prise de pouvoir présidentielle » [19]. Question inopportune : indépendamment du fait que MTK n’avait rien d’une d’entreprise de nettoyage, quelle était sa véritable nature ? N’avait-il pas organisé les violentes manifestations contestant le résultat du premier tour de l’élection et obtenant son inversion ? La main sur le cœur (et le carnet de chèques), l’USAID se contenta de répondre : « Le Mouvement Tet Kale n’est pas la même chose que le Parti Tet Kale » – parti de Martelly qui ne verra le jour qu’en 2012, un an après l’investiture et le don. Explication non expurgée : en Haïti, les politiciens montent des mouvements pour accéder au pouvoir et ensuite les transforment en parti. Aucune formation ou parti opposés à Martelly ne bénéficia en parallèle d’un quelconque soutien financier.

Puisque nous étions en Haïti, restons-y un instant.

En mai 1991, le Congrès américain autorise l’USAID à consacrer 24,5 millions de dollars sur quatre ans à un Projet de renforcement de la démocratie. Il s’agit (en version présentable) de consolider « les gouvernements locaux et les organisations indépendantes », mais surtout (en version non autorisée), de soutenir les organisations conservatrices susceptibles d’agir comme « contrepoids institutionnel » au président de gauche Jean-Bertrand Aristide. Par le plus grand des hasards, ce dernier est renversé par un coup d’Etat militaire cette année-là. Si le « Projet de renforcement de la démocratie » est suspendu, ayant à l’évidence perdu toute utilité, certains de ses éléments, notamment le soutien aux syndicats les plus conservateurs, demeurent actifs pendant toute la durée du gouvernement putschiste [20].

Bis repetita placent  : d’après le sénateur étatsunien démocrate Christopher Dodd, l’USAID a déboursé 1,2 millions de dollars pour entraîner et équiper de 20 000 fusils M-16 les « rebelles » qui, en 2004, ont renversé Aristide une seconde fois.

Le 12 janvier 2010 et les jours suivants, un tremblement de terre de magnitude 7 frappe Haïti. Terrifiant : 280 000 morts, 300 000 blessés, plus d’un million de sans-abris.

Côté pile : l’USAID déploie immédiatement son équipe d’élite d’intervention en cas de catastrophe (DART). Comprenant 545 personnes et 34 experts, ce fût la plus grande équipe d’intervention jamais déployée par l’Agence. Avec 130 personnes sauvées, elle fit un travail admirable. L’USAID fournit également des secours alimentaires d’urgence à près de quatre millions de personnes ; de l’eau potable, quotidiennement, à 1,3 million de personnes ; en partenariat avec d’autres donateurs internationaux, des abris de base à 1,5 million de Haïtiens.

Côté face : de janvier 2010 à avril 2011, le gouvernement étatsunien signa 1490 contrats pour un montant total de 194 millions de dollars en vue de la reconstruction. De tous ces contrats, seuls 23 bénéficièrent à des entreprises haïtiennes, pour un montant de 4,8 millions de dollars (2,5 %) [21] ; un tiers des fonds dégagés revinrent aux Etats-Unis. Sur les dix premiers bénéficiaires du financement de l’USAID, les deux plus importants furent Chemonics et Development alternatives incorporated (Dai). Après 2016, les deux institutions recevaient encore plus de 40 % de tous les financements contractuels.

Forte de 6 000 employés, Chemonics est la plus importante entreprise de la foule des intermédiaires, traitants et sous-traitants de l’USAID – Creative Associates International, Navanti, DevTech Systems, Dexis, Research and Exchange Board (IREX), etc. Mais l’œuvre « philanthropique » des Etats-Unis ne transite pas que par l’USAID. Plus discrète car plus sulfureuse, la Fondation nationale pour la démocratie (NED), succédané de la CIA, canalise également les subventions en direction de l’étranger. Pour distribuer la manne, USAID et NED s’appuient sur les véritables succursales que constituent l’Institut national démocrate (NDI) et l’Institut républicain international (IRI), les organisations de l’ « establishment » étatsunien. Autour, gravitent une foultitude de satellites – Freedom House, Open Society Foundations (du banquier George Soros), Solidarity Center, Center for International Private Enterprise (CIPE), Consortium for Elections and Political Process Strengthening (CEPPS), etcetera, etcetera, etcetera, etcetera.

On s’efforcera ici de s’en tenir au rôle de l’USAID, même si toutes ces officines travaillent souvent de façon très imbriquée.

Qui pense agression des Etats-Unis contre une nation latino-américaine pense immédiatement à Cuba. Il s’agit néanmoins d’un cas particulier dans la mesure où le blocus en place depuis soixante ans ne permet pas la présence officielle de l’USAID dans l’île ni le flux direct de ressources tel qu’utilisé dans d’autres pays. Ce qui n’empêche nullement une ingérence dont, pendant des décennies, l’USAID ne sera pas la pièce maîtresse, la CIA dirigeant quasiment sans masque les opérations.

En 1995, en démocrate soucieux de ménager les apparences, Bill Clinton ordonne à l’USAID de créer un programme « pro-démocratie » pour Cuba. Plus de 6 millions de dollars sont affectés au financement de groupes « dissidents » et à l’introduction en territoire cubain de ressources techniques –informatique, impression digitale, télécommunications, équipements de fax et de vidéo.

Avec l’arrivée de George W. Bush, la fièvre du billet vert s’amplifie. Une fièvre, oui. Et une sacrée fièvre. Entre 2001 et 2006, un flot de 61 millions de dollars arrose la floraison de 142 « projets » et activités illégales au regard de la loi cubaine ; 120 millions de dollars prennent le relais entre 2007 et 2013 pour 215 « projets » – dont 1,5 millions de dollars pour renforcer « l’écosystème médiatique » cubain cher à RSF.

En 2009, coup dur pour l’USAID, qui ne déteste pas une certaine discrétion : les autorités cubaines arrêtent à La Havane un de ses contractuels, Alan Gross, alors qu’il distribuait des ordinateurs et du matériel de transmission satellitaire aux éléments anticastristes de la communauté juive. Condamné à quinze ans de prison, Gross sera libéré en décembre 2014, dans le cadre d’un échange de prisonniers [22]. L’imagination n’en demeure pas moins au pouvoir dans les entrailles US de la subversion. Cette même année 2014, on découvre que, recrutés par l’USAID (et payés par Creative Associates Internacional), une douzaine de jeunes vénézuéliens, costariciens et péruviens se sont fait passer pour des touristes à La Havane et Santa Clara, chargés d’« identifier des acteurs sociaux susceptibles d’impulser un changement social » dans l’île. Un peu plus tôt, Aldo y los Aldeanos, un groupe de rap critique envers le pouvoir, avait été enrôlé par l’intermédiaire de promoteurs musicaux. Objectif : utiliser le mouvement hip-hop pour « aider la jeunesse cubaine à briser le blocus de l’information ».

Entre 2010 et 2012, des milliers de Cubains ont utilisé ZunZuneo, une sorte de Twitter local, sans savoir qu’il avait été conçu par l’USAID – « sans aucune arrière pensée », préciseront les autorités américaines avec le plus grand sérieux. La première étape de ce programme, lancé depuis une société-écran en Espagne avec des fonds dissimulés aux îles Caïman, avait pour but de construire une base « critique » d’utilisateurs en diffusant des contenus généraux, sportifs ou culturels notamment. Une fois cet objectif atteint, devaient y être introduits des contenus plus politiques afin de créer des mobilisations et déclencher, si possible, une « révolution de couleur ». Doté d’un budget de 1,6 million de dollars, le projet sera finalement abandonné après deux ans d’existence, faute d’avoir atteint les 200 000 utilisateurs initialement espérés.

Rôle clé encore pour l’USAID en 2021. Embargo étatsunien, perte de soutien économique du Venezuela (lui-même agressé et affaibli), désertion des touristes en raison du Covid accentuent à l’extrême les difficultés économiques. Epuisés par les pénuries d’aliments et de médicaments, excédés par les coupures d’électricité, des milliers de Cubains vont finir par descendre dans la rue. Depuis Washington, l’USAID souffle par avance sur les braises. De plus en plus prise de passion pour la musique tropicale, elle a sorti 2 millions de dollars de ses caisses pour subventionner l’orchestre accompagnant les futurs événements. Elle s’en vantera ultérieurement en expliquant que, grâce à elle, « des artistes et des musiciens sont descendus dans la rue pour protester contre la répression gouvernementale, produisant des hymnes comme ”Patria y Vida“, qui ont non seulement sensibilisé davantage le monde au sort du peuple cubain, mais ont également servi de cri de ralliement pour le changement sur l’île. »

D’après le ministre cubain des Affaires étrangères Bruno Rodríguez, l’USAID a arrosé de plus de 120 millions de dollars les dizaines d’organisations impliquées dans la déstabilisation de l’île. Sur X (14 février 2025), le président Miguel Diaz Canel s’est insurgé : « Le gouvernement américain et la presse à scandale sont alarmés par les millions de dollars de l’USAID destinés à la subversion et au financement de médias et d’ONG soi-disant indépendants, alors que nous dénonçons cela depuis des années ! »


Ambassade des Etats-Unis à La Havane – photo Maurice Lemoine (ML)

Mais, au fait… Quid des organisations non gouvernementales financées par l’USAID ? Vaste et délicat sujet. Dans le sillage du séisme affectant la coopération étatsunienne, on découvre avec étonnement que de grandes ONG françaises sont touchées : Solidarités International (dont 36 % du budget dépendait de l‘USAID), Action contre la Faim (30 %), d’autres sûrement, qu’on découvrira peut-être demain. On ne fera a priori à ces institutions aucun procès d’intention. Pas plus qu’on ne contestera la pertinence des ONG lorsqu’elles s’attellent à des problèmes tels que la dette des pays pauvres, la faim dans le monde, l’accaparement des terres, les paradis fiscaux, la défense des minorités sexuelles, l’accès à l’éducation et à la santé pour tous, l’accueil des réfugiés ou des migrants. Qui reprocherait aux organisations de secours médical, dans des contextes de conflits armés ou de catastrophes en tous genres, d’alléger les souffrances des populations ? Qui oublierait les ONG opposées à la mondialisation néolibérale, capables de mobiliser, lors du Forum social de Mumbai, en 2004, plus de 100 000 participants ?

Néanmoins, vu sous un autre angle…

« Du réseau d’ONG susmentionné, dénonçait en 2021 l’ex-président hondurien Manuel Zelaya, renversé en 2009 par un coup d’Etat pro-américain et évoquant le Nicaragua voisin, se détachent des centaines d’organismes qui saturent la vie politique de la société, créant une sorte d’Etat parallèle piloté par de grands médias et réseaux, qui deviennent artificiellement des protagonistes, tentent de saper les avancées des gouvernements progressistes ou d’empêcher la montée au pouvoir des projets politiques de gauche revendiquant la participation de la société et de l’Etat contre la tromperie du marché [23]. »

« L’aide au développement ne peut réussir que si elle s’appuie durablement sur des réformes démocratiques et l’aide aux forces réformistes sur une longue période, peut-être des décennies », a théorisé l’USAID [24]. Par « forces réformistes », on entendra courants ne mettant pas le capitalisme et ses bénéficiaires en danger. Pour ce faire, l’Agence sert de tiroir-caisse à une myriade d’ONG aux centres d’intérêts on ne peut plus louables, tels que ceux précédemment cités. Très bien. Mais encore ?

Dans la plupart des cas, et depuis 1990, les gouvernements néolibéraux se sont tournés vers elles pour fournir les services qu’ils devraient assurer – santé, éducation, culture – et qu’ils ont délibérément abandonnés soit au néant soit au marché.

Les dirigeants de ces ONG ne sont pas élus, mais nommés par des groupes restreints d’individus. Grandes ou petites et une fois qu’elles ont pignon sur rue, ces organisations doivent assurer leur financement. Elles finissent par ressembler à des entreprises traditionnelles, avec des objectifs chiffrés, du personnel, des calculs de rentabilité. Outre les citoyens appelés à se montrer généreux, de puissants mécènes ouvrent le portefeuille. L’USAID, par exemple. Qu’elles le veuillent ou non, les ONG se retrouvent liées par l’argent qu’elles acceptent. L’adhésion aux principes et valeurs du généreux donateur se fait automatiquement, ou progressivement, ou insidieusement. Ce, alors qu’actions « philanthropiques » et ressources pour les mener vont de pair. On s’en rend soudain compte lorsque Trump, tel un éléphant dans un magasin de porcelaine, met le tout Genève en émoi. La suppression des fonds de l’USAID rend la ville suisse désormais trop chère pour les finances de certaines des 38 organisations internationales qui s’y sont établies et dépensent près de 7 milliards de dollars par an pour soutenir 400 ONG. Beaucoup des 29 000 postes liés à ce « business » étant menacés, la ville a dû voter un budget de 2 millions de francs suisses pour soutenir les « humanitaires » en péril. A quand une caravane de Médecins sans frontières ou Médecins du Monde pour ramasser les blessés et les rescapés ? Dur-dur. Mais, tout de même… Derrière l’abnégation hautement proclamée, des sommes considérables en frais de fonctionnement permettent à l’évidence à un monde de professionnels des droits de l’Homme et du développement de vivre au-dessus de raisonnables moyens.

Posant des sparadraps sur la misère du monde, les ONG n’en évitent pas moins d’aborder avec leurs protégés les causes politiques des problèmes auxquels ceux-ci sont confrontés. Pas forcément par cynisme ou acceptation, mais pour les raisons préalablement exposées. Ce qu’on appellera la reconnaissance du ventre ; ou le concept « nécessité fait loi ». Quand bien même elles seraient pacifiques, l’USAID n’a pas pour vocation de financer des transformations sociales radicales ou des révolutions. Elle a son agenda. Lorsqu’elle est présente sur place, derrière les sourires déversant une lueur d’amour fraternel, se cache à l’occasion la camaraderie du loup et de l’agneau. Outre ses fonctionnaires ou contractuels engagés par conviction humaniste dans leur mission, de bons samaritains moins désintéressés pénètrent la société civile, la travaillent idéologiquement, l’observent, recueillent ce qu’on appelle du « renseignement humain » et transmettent « à qui de droit » les informations collectées sur les militants locaux, les leaders influents, les groupes contestataires, les intellectuels engagés. Activité également pratiquée, sans couverture officielle (SCO, dans le jargon), au cœur des régions sensibles, par des barbouzes occasionnelles ou professionnelles agissant dans l’ombre des milliers d’employés des ONG.

En Haïti, après le tremblement de terre de 2010, on parle ouvertement de la République des ONG. On estime alors leur nombre à… 10 000. Pratiquement autant qu’en Inde, un pays de 1,438 milliards d’habitants ! Au lendemain du séisme, dans la salle de conférence de l’hôtel Karibe, plusieurs dizaines de personnes travaillent au « Post Disaster Needs Assessment » (PDNA), document qui doit être présenté au siège des Nations unies. Plus de 80 % des rédacteurs sont des « blan » (des étrangers). Comme des mouches, les patrons de nombreuses organisations internationales tournent autour d’eux pour s’assurer que leurs projets vont être incorporés dans ce plan [25]. « Business » avant tout : ce que d’aucuns voient comme un véritable plan Marshall va générer de très gros budgets.

Plus tard, lorsque viendra l‘heure du bilan, Haïti sera toujours aussi pauvre et aussi sous-développée.

Sans généraliser une situation aussi caricaturale, ces myriades d’ONG, chacune avec son propre programme en matière de santé, d’éducation, d’agriculture, de développement, d’environnement, de gouvernance, constituent autant d’Etats dans l’Etat. Contourné, affaibli. Maintenu (avec son assentiment souvent) dans une dépendance absolue.

Dans son registre, l’USAID porte un intérêt particulier aux ONG artificiellement créées pour s’occuper de « causes » dont la défense apparente peut profiter aux puissances dominantes, à commencer par les Etats-Unis. Sachant que ces « humanitaires » saturent l’espace médiatique de l’Occident collectif. Et que les informations qu’ils distillent circulent de manière circulaire avec les agences de l’ONU.

Constat trop sévère, injuste, entaché de mauvaise foi ou d’idéologie ? « Por favooooor ! » Contribution au débat du secrétaire d’Etat américain Colin Powell, le 26 octobre 2001 : « Aussi sûrement que nos diplomates et nos militaires, les ONG américaines sont dehors, en train de servir et de se sacrifier sur le front de la liberté. […] J’entends sérieusement m’assurer que nous avons les meilleures relations avec les ONG qui sont une force multiplicatrice pour nous, une partie si importante de notre équipe de combat. »

Equateur, 2007-2017. Le président Rafael Correa est un dangereux individu. Nouvelle Constitution, importantes réformes sociales. Réduction considérable de la pauvreté. Considère la communication comme un service public. Interdit qu’un établissement financier détienne plus de 6 % du capital d’un organe de presse. Va tenter de redistribuer l’espace médiatique : un tiers du spectre radioélectrique pour le secteur privé, un tiers pour le secteur public et un tiers pour le secteur à but non lucratif. Entretient des relations amicales avec Fidel Castro, Hugo Chávez, Luiz Inacio Lula da Silva, Néstor puis Cristina Kirchner, Evo Morales, la bande des « illuminés magnifiques » qui changent la face du sous-continent.

Les évaluations raisonnables estiment la proportion des autochtones équatoriens à environ 25 % de la population. Dans les années 1990, sur la base de revendications identitaires mais aussi de classe et anti-impérialistes, la Confédération des nationalités indigènes d’Equateur (Conaie) a mené deux gigantesques soulèvements. Devenu le référent national de l’opposition aux élites traditionnelles, le mouvement s’est doté d’un bras politique, Pachakutik (PK).

A ce moment, déferle sur l’Equateur une armada d’ONG. Certaines, pleines de bonne volonté, venues d’Europe, sans réelle connaissance de la réalité du pays. D’autres financées par l’USAID (et/ou la NED). « Elles ne viennent pas pour appuyer les luttes sociales, nous explique en 2023, à Quito, Eduardo Meneses, excellent connaisseur des mouvements sociaux. Elles arrivent, par exemple, pour donner 10 000 dollars à un petit projet local d’agro-écologie. » Pour ce faire, elles n’ont besoin que de quelques « éduqués ». « Elles prennent le seul jeune qui, dans un village, est capable de rédiger un rapport et, sans aucune formation politique, sans capacité d’organisation, mais indispensable relais avec les généreux bienfaiteurs étrangers, il devient un nouveau leader de la communauté. » Rupture générationnelle, toute l’histoire du mouvement indigène, toute la forte formation idéologique des années 70/80 s’estompe, disparaît.

Dans le même temps, Pachakutik est infiltré par des ONG qui ne répondent en rien aux objectifs originels de la Conaie. De nombreux dirigeants de PK montent des fondations gavées de subventions d’Etats (Etats-Unis, Union européenne), en lien avec ces fameuses ONG.

Dès 2010, Correa doit affronter une « révolte de la police » qui ressemble fort à un coup d’Etat. Des dirigeants indigènes de PK participent directement à la sédition, parmi lesquels l’« ultra » Lourdes Tibán. L’USAID subventionne la Corporation patronale indigène d’Equateur (CEIE), dont Tibán est une membre éminente. Le même aimable donateur alimente Participation citoyenne, autre organisation hostile à la Révolution citoyenne.

Pour financer les programmes sociaux, Correa s’appuie entre autres sur le développement de l’activité minière. Il est temps qu’apparaisse Chemonics. L’entreprise répartit en urgence 5,4 millions de dollars de l’USAID pour un programme « Côtes et forets soutenables ». Une intrusion cousue de fil blanc et aux effets patents. En juin 2011, Correa dénonce le fait que ces ONG étrangères travaillent auprès des populations indigènes, à la frontière colombienne, pour « faire de la politique, générer le chaos  » et déstabiliser son gouvernement. Le 5 juillet est en conséquence adopté le décret exécutif 812 exigeant de ces ONG qu’elles fassent connaître l’origine et l’usage des millions de dollars qu’elles dépensent, qu’elles déclarent leurs programmations annuelles et rapports financiers, la pertinence de leur action avec le plan national du « bien vivre » (« Buen Vivir »), les territoires où elles opèrent et les acteurs sociaux auprès de qui elles agissent.

Refusant de se conformer à la loi, l’ONG écologiste étatsunienne Conservation internationale (CI) est chassée du pays. Scandale ! Alertées, ameutées, déconnectées du contexte réel, les gauches et extrême-gauches européennes commencent à dénoncer l’ « autoritarisme » qui plus est « anti-écologique » de Correa. Seul (ou presque) le journaliste Eduardo Tamayo, de l’Agence latino-américaine d’information (ALAI), fronce les sourcils : outre l’USAID, CI compte parmi ses partenaires et bailleurs de fonds des transnationales comme Rio Tinto, Ford, Monsanto, Intel, Coca-Cola, Starbucks, Walmart, Walt Disney, MacDonalds et… la deuxième compagnie pétrolière des Etats-Unis, Chevron [26]. Vous avez dit conservation de la nature ?

La Fondation Pachamama en fait tant dans ses attaques implacables contre Correa, au nom d’un « anti-extractivisme » maximaliste (car il peut en exister un raisonnable et raisonné), qu’elle est à son tour expulsée du pays en 2013. A ce moment, pour qui veut bien ouvrir les yeux, la stratégie de l’USAID est parfaitement lisible. Cette même année 2013, c’est 16 millions de dollars qu’elle a injectés en Equateur, toujours à travers Chemonics, dans des initiatives sur le thème porteur, vis-à-vis des jeunes Equatoriens et de la « communauté internationale », de la « protection de l’environnement » [27].

Bien que se présentant comme « apolitiques » et représentantes de la « société civile », nombre de ces ONG partenaires, que ce soit en Equateur ou ailleurs, fonctionnent en fait comme des partis de facto et en courroie de transmission d’agendas politiques destinés à déstabiliser le (des) gouvernement(s).

Depuis 2012, en conséquence, les pays progressistes de l’Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique (Alba) envisagent sérieusement d’expulser l’USAID de leurs territoires [28]. En mai 2013, le président bolivien Evo Morales passe à l’acte, accusant l’Agence d’agir « non pas à des fins sociales mais à des fins politiques », mue par « une volonté de soumission et une mentalité de domination ».

Il y avait en 1930 une dizaine d’ONG en Bolivie ; en 1980, on en comptait environ 200 ; en 2000, un peu plus de 600, dont une grande majorité nationales. En janvier 2006, avec Evo Morales, le Mouvement vers le socialisme (MAS) arrive au pouvoir. De 2007 à 2019 – année au cours de laquelle, réélu, Morales sera renversé par un coup d’Etat – le nombre de ces ONG va tripler (667 seulement étant officiellement enregistrées) [29]. Alors même que la situation sociale s’améliore considérablement, une centaine de ces ONG se positionnent plus ou moins ouvertement en phase avec l’opposition. Pareille à un vautour plus qu’à un condor, l’USAID plane sur les hauts-plateaux et les chaudes contrées, très hostiles au pouvoir, de la « Media Luna » (« demi-lune »). A partir de 2002, alors que la gauche montait en puissance, l’Agence étatsunienne a investi plus de 97 millions de dollars dans des projets de « décentralisation » et d’ « autonomie régionale » – chevaux de bataille, précisément, des gouvernements régionaux putschistes de la « Media Luna ». En 2008, c’est sur ce type de revendications que ces « élites » blanches tenteront de renverser le chef de l’Etat indigène. En 2005 et 2006, 75 % des ressources de l’USAID avaient été dirigés vers leurs groupes séparatistes violents.

La connivence étant aussi visible que le nez au milieu du visage, Morales, le 10 septembre 2008, a expulsé l’ambassadeur des Etats-Unis Philip Goldberg, dont la compétence en matière de séparatisme s’était forgée lors de ses missions diplomatiques antérieures en Bosnie et au Kosovo. Le 1er novembre, c’est à son tour l’agence anti-drogue américaine (DEA), accusée elle aussi d’avoir soutenu le soulèvement, qui doit quitter le pays. L’USAID, on l‘a vu, subit le même sort en mai 2013. Si ses fonctionnaires font leurs valises, elle n’en maintient pas moins, depuis Washington, les financements destinés à ses affidés. En mettant en cause, deux ans plus tard, quatre ONG dites de défense de l’environnement qu’elle sponsorise – Milenio, CEDIB, Fundación Tierra et CEDLA – le vice-président Álvaro García Linera déclarera : « Nous ne pouvons permettre à aucun gouvernement étranger, entreprise ou organisation paragouvernementale étrangère de définir les politiques publiques de l’Etat plurinational de Bolivie. Sinon, nous nous soumettrions au néocolonialisme. »

En 2013, en même temps que la Fondation Pachamama, Rafael Correa a expulsé d’Equateur sept des 180 ONG officiellement présentes dans le pays. Financées depuis l’étranger (Italie, Hollande et Espagne), elles avaient refusé de fournir des informations sur leurs activités. « La coopération officielle des autres gouvernements doit compléter le projet politique légitimement voté dans les urnes », fit savoir le pouvoir à cette occasion. Ce qui n’empêcha pas Amnesty International d’émettre un communiqué dénonçant la fermeture de la Fondation Pachamama et ne sembla gère émouvoir l’USAID, dont le programme « Renforcement de la démocratie » continua à alimenter en liasses de dollars les diverses formes d’opposition.

Mise en cause en Bolivie, l’Agence l’était aussi au Venezuela où son Bureau d’initiatives pour la transition (OTI) dirigeait une évidente opération de changement de régime. Correa prend acte. Estimant affectée la souveraineté nationale, il gèle les relations avec l’USAID en décembre et la sort du pays en 2014.

La partie est finie – jusqu’à la prochaine fois !

Ex-vice-président de Correa, élu le 2 avril 2017 sur le programme de la Révolution citoyenne, Lenín Moreno trahit ses électeurs et ses promesses de campagne. Il fait du Trump avant l’heure : 160 000 travailleurs du secteur public vont recevoir leur lettre de licenciement. Dès 2018, co-gouvernant avec la droite la plus pro-américaine, Moreno autorise l’USAID à reprendre ses activités dans le pays.

Devenu trop impopulaire du fait de sa gestion catastrophique, Moreno ne peut se représenter à l’élection présidentielle de 2021. Face au « corréiste » Andrés Arauz, se dressent le banquier Guillermo Lasso et le candidat de Pachakutik Carlos Arnulfo Pérez Guartambel – dit « Yaku Pérez ». « Indigène écolo de gauche », radicalement opposé à la politique « développementiste » de Correa et de ses éventuels successeurs, Pérez est un authentique « fils d’ONG ». Même s’il est ouvertement pro-yankee, son positionnement – « défenseur du droit à l’eau, opposé à l’exploitation minière » – provoque intérêt et sympathie (en particulier à l’étranger). En troisième position lors du premier tour (19,39 % des suffrages), derrière Arauz (arrivé premier avec 32,72 % des voix) et Lasso (19,74 %), il va s’appuyer sur le quart de siècle de cooptation des groupes écologistes et indigènes par l’USAID pour faire battre le candidat de gauche. Alors que Pérez laisse à ses électeurs leur liberté de vote pour le second tour, la Conaie se prononce pour un « vote nul idéologique ». Ce qui permet au banquier de l’emporter.

A peu près pour les mêmes raisons, lors du second tour de la présidentielle anticipée, le 15 octobre 2023, la « Sierra » indigène et « écolo » votera massivement pour le fils d’un multimillionnaire magnat de la banane, Daniel Noboa. La candidate de gauche Luisa González (Révolution citoyenne ; RC) avait pourtant remporté le premier tour avec 33,61 % des voix.

Au coude à coude au premier tour de la présidentielle, le 9 février 2025, les deux mêmes se retrouveront au second tour, le 13 avril prochain. Les gestions néolibérales successives de Moreno, Lasso puis Noboa ayant plongé le pays dans une situation passée de calamiteuse à catastrophique, le dirigeant Guillermo Churuchumbi a marqué une rupture en signant le 30 mars un pacte apportant le soutien de Pachakutik à Luisa González. Mathématiquement, la candidate du « correisme » devrait dès lors l’emporter. Néanmoins, de fortes tensions internes agitent le mouvement indigène, dont la faction influencée par le complexe « USAID-ONG » crie à la trahison et laisse envisager un résultat indécis.


Manifestation indigène à Quito, en 2023 (ML)

Ne remontons pas à l’agression menée par la CIA contre le Nicaragua pendant les années 1980. Vaincu par les conséquences de la guerre, Le Front sandiniste de libération nationale (FSLN) perd l’élection présidentielle de février 1990. Fort démocratiquement, il abandonne le pouvoir à la nouvelle cheffe de l’Etat, Violetta Chamorro. Seize longues années de gouvernements néolibéraux détruisent tous les acquis sociaux. Entre ceux qui refusent de manger moins et ceux qui veulent manger trop, les contradictions s’exacerbent. L’élection présidentielle de novembre 2006 se profile. Pour les dominants, il devient de moins en moins certain que les Nicaraguayens vont voter « comme il faut ».

Tout au long de 2006, l’USAID se réveille et investit la somme pharamineuse de 260 millions de dollars dans le pays. Destinée à des projets d’infrastructure, de transport et de développement rural, la plus grande part du butin transite par l’entreprise de Washington Millenium Challenge Corporation.

Malgré ce lourd et altruiste effort, les parias enfreignent les règles de la bienséance et élisent le sandiniste Daniel Ortega. Le développement n’est plus à l’ordre du jour : l’USAID réduit sa contribution à 45 millions de dollars en 2009 et à 34 millions en 2012. Un partenaire privilégié reçoit ce qui demeure tout de même une manne conséquente et en redistribue une partie : la Fondation Chamorro. Fille de l’ex-présidente, Cristina Chamorro dirige l’institution.

A partir de 2009, une part substantielle de l’effort s’est porté sur un programme baptisé « Voix vitales Nicaragua ». La Première Dame Hillary Clinton et la secrétaire d’Etat Madeleine Albright ont participé à l’aventure en la cautionnant. Sous couvert d’appuyer les « femmes leader », le programme promotionne les femmes susceptibles de jouer un rôle de premier plan dans les pays où Washington verrait d’un bon œil soit le maintien des politiques néolibérales, soit un changement de régime. Un projet éminemment politico-économique avec le féminisme et l’ « empowerment » (autonomisation) comme rideau de fumée. En 2017, une année cruciale, nous le verrons ultérieurement, « Voix vitales Nicaragua » se verra attribuer 2 071 639 dollars.

A chacun « son truc » : si l’USAID offre du grain à moudre, le sandinisme donne du fil à retordre. Loin de s’affaiblir, il se renforce, porté par l’efficacité de ses programmes sociaux. Or, si l’on attend le moment où un changement en douceur sera possible, l’histoire risque de traîner trop longtemps. L’USAID repasse à l’offensive et fait danser les millions. Entre 2010 et 2020, elle va distribuer 84 millions de dollars pour déstabiliser le gouvernement de Daniel Ortega. Plusieurs objectifs (les mêmes, on le notera, que dans tous les pays cibles) : renforcer l’opposition et former de nouveaux leaders ; formater les instruments nécessaires à la guerre médiatique ; travailler les secteurs vulnérables de la société ; créer une masse critique de citoyens à même de se retourner contre le pouvoir en cas de fortes tensions. Avec, s’agissant du Nicaragua, un intérêt particulier pour la côte caraïbe, région où vivent des minorités indigènes – Miskitos, Sumus et Ramas –, jugée prioritaire par le Département d’Etat américain [30].

Dès lors, comme l’a révélé en son temps le site Behind Back Doors, une multitude de programmes vont s’abattre, se succéder, s’enchevêtrer, se compléter pour faire tomber le pays rebelle centraméricain [31].

Renforcement institutionnel (Institutional Strengthening Program) : amélioration de la capacité de mobilisation des organisations d’opposition (Dexis Consulting Group et Chemonics ; 8,99 millions de dollars).

Subventions à la société civile (Civil Society Grants Program) : réactivation et formation d’organisations chargées de discréditer les processus électoraux et de dénoncer les cas présumés de corruption commis par les institutions gouvernementales (Ethique et Transparence ; 1,98 millions de dollars entre 2013 et 2018).

Développement d’un leadership démocratique (Democratic Leadership Development Program) : dirigé vers les jeunes en vue d’un renouvellement générationnel au sein de l’opposition (Institut national démocrate ; 19,65 millions de dollars).

Promotion du développement économique et social (Promotion of Economical and Social Development in Nicaragua) : promouvoir l’image nationale et internationale de l’ONG nicaraguayenne Funides (Fondation nicaraguayenne pour le développement économique et social) chargée de tailler en pièces, dans ses rapports, la politique économique du gouvernement (2,50 millions de dollars entre 2011 et 2016).

Côte caraïbe (A Quality Technical Education for the Caribbean Coast  ; Community Action for Reading and Security  ; Education for Success  ; Technical Vocational Education and Training Strengthening for At-Risk Youth TVET SAY) : ensemble de programmes destinés à créer un sentiment hostile au pouvoir sur une base communautaire en agitant les conflits passés et en formant des dirigeants (sur l’ensemble, 46,4 millions de dollars).

Gouvernance locale (Local Governance Program) : renforcement des forces antisandinistes dans les instances locales afin d’affaiblir le gouvernement central ; remise en cause des projets d’infrastructure – à commencer par celui d’un canal interocéanique concurrent de celui de Panamá, envisagé entre 2010 et 2015 (Global Communities ; 29 millions de dollars sur la période 2016-2018).

Renforcement des capacités pour la défense de la société civile (Capacity Building for Civil Society Defense) : quand ce programme se termine en 2018, l’USAID se vante d’avoir créé 126 « alliances et associations » et d’appuyer 224 organisations de la société civile (Dexis/Chemonics ; budget non connu).

Le Programme de renforcement des médias mis en place en 2014 par l’USAID et la Fondation Chamorro a prévu que cette dernière superviserait la modeste somme de 9,4 millions de dollars mise à disposition. Charité bien ordonnée commençant pas soi-même, « la reine Cristina » arrose La Prensa, le média digital Confidencial et le « think tank » Funides, propriétés de la famille Chamorro, puis une myriade de supports tous plus « ultras » les uns que les autres – 100 % Noticias, Artículo 66, Nicaragua Investiga, Nicaragua Actual, BacanalNica, Despacho 505  ; les chaînes de télévision Canal 10, Canal 11, Canal 12 et Vos TV  ; Radio Corporación et Radio Café con Voz. Par d’autres canaux, le Centre d’investigations de la communication (CINCO) engrange 3,24 millions de dollars, Hagamos Democracia 1,11 millions, la Fundación Popol Na 207 762 dollars, Movimiento por Nicaragua 803 154 dollars [32]

La suite, tout le monde la connaît (ou devrait la connaître).

Coopération USAID – Institut national démocrate concernant un « Programme de développement de leadership démocratique » (2010-2015)

L’USAID et le Nicaragua (2018)

On ne peut jeter une foule dans la rue qu’une fois mise en condition et soigneusement encadrée. Attaquant sous tous les angles, c’est cet écosystème au chef d’orchestre censément invisible qui a préparé l’opinion (y compris internationale) au soulèvement d’avril 2018. Il en a choisi les leaders. Il les a formés. Il les a organisés.

Les affrontements entre la droite nicaraguayenne et des nervis armés d’un côté, la police puis des groupes sandinistes mobilisés contre la tentative de renversement d’Ortega de l’autre, prirent des allures de guerre civile. Pendant les événements, les officines de propagande ont donné à plein. Ultérieurement présentés comme persécutés par un régime autoritaire, les 100 % Noticias et autres Hagamos Democracia ont ouvertement appelé l’opposition à la haine, à la violence, à prendre les armes, à mener un coup d’Etat. Ils ont invoqué une intervention militaire des Etats-Unis, similaire à celle menée en 1989 au Panamá. Les groupes ultra-violents ont pu compter sur les subsides nécessaires à leur déploiement.

Tous ont eu leur content de morts et de larmes. D’après le Rapport de la Commission de la vérité de l’Assemblée nationale (février 2019), 253 personnes ont été tuées – 31 partisans indiscutables de l’opposition, 48 avérés ou probables sandinistes, 22 membres des forces de l’ordre (victimes d’armes à feu de même que 401 des policiers blessés), et 152 victimes dont l’affiliation n’a pu être déterminée.

Intervient à ce moment un aspect particulièrement pernicieux des déstabilisations « Made in US » (généralement accompagnées en deuxième rideau par les pays satellites de l’Union européenne) : l’instrumentalisation de la défense des droits humains. Dans ce domaine, les ONG se multiplient comme champignons sous la pluie d’automne. Il leur suffit d’avoir un siège social et un numéro de téléphone pour exister. Puis de dénoncer les « atrocités » du pouvoir qu’il convient de faire tomber. En comptant sur les grandes multinationales du secteur – Amnesty International (AI), Human Right Watch (HRW), Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH) – pour relayer l’ « information » et provoquer l’indignation, puis, si possible, la réaction de la « communauté internationale ». Avec un principe absolu : seuls les Etats et leurs représentants peuvent être mis en cause. Pour peu qu’ils fassent partie de la « société civile », un concept on ne peut plus flou, des putschistes, des violents ou des meurtriers neutralisés ou emprisonnés deviennent des « victimes de la répression » ou des « prisonniers politiques ». Une vision, somme toute, très « libertarienne » de la politique et de la vie en société.

Il existe au Nicaragua trois leaders en la matière : la Commission permanente des droits de l’Homme (CPDH), l’Association nicaraguayenne pro-droits humains (ANPDH), le Centre nicaraguayen des droits de l’homme (Cenidh). Les deux dernières se livrant à un passionnant concours, le Cenidh a annoncé 302 morts, mais a été battu par l’ANPDH, qui a pu en comptabiliser 560 en fin de conflit. Au doigt mouillé Amnesty a choisi le chiffre de 322, « la majorité aux mains des agents de l’Etat ». C’était un peu trop mou pour les médias dits « mainstream », qui ont préféré suivre l’ANPDH (La Croix, Le Point, CNN en espagnol, El País, etc.). Dans un article du 3 janvier dernier, le « très sérieux » quotidien Le Monde avance encore le chiffre fantaisiste d’ « au moins 350 morts » (comme si 253 ne suffisaient pas !) [33].

Sur un secteur où il s’agit d’agir avec doigté pour ne pas l’exposer aux critiques, ce n’est pas l’USAID qui se trouve en première ligne, mais la NED, sa discrète petite sœur. Pour la seule année 2018, cette dernière avait octroyé 180 000 dollars à la CPDH [34]. Le 23 juillet 2019, à Managua, en conférence de presse, trois cadres de l’ANPDH – Gustavo Bermúdez, Francisco Lanzas et German Herrera – ont dénoncé leur directeur Álvaro Leiva en l’accusant d’avoir « embarqué » au Costa Rica, où il s’est exilé, 500 000 dollars, dont plus de 100 000 dollars alloués par la NED en 2017 et 2018. Ils ont y compris révélé qu’en 2018, l’ANPDH a artificiellement gonflé le chiffre des morts et des blessés pour recevoir davantage de subventions des Etats-Unis.

En bout de chaîne, que ce soit en matière de développement ou sur le thème de la défense des droits humains se trouve l’ONU. L’article 71 de la charte des Nations unies définit en effet l’existence des ONG et leur permet de participer à certaines de ses activités : « Le Conseil économique et social [Ecosoc] peut prendre toutes dispositions utiles pour consulter les organisations non gouvernementales qui s’occupent de questions relevant de sa compétence. » Présentes au sein de plusieurs des 25 commissions de l’Ecosoc, 6500 ONG bénéficiant d’un statut sont devenues des acteurs majeurs des conférences internationales de l’ONU.

Partie intégrante du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme (HCDH), le Comité des droits de l’Homme (CCPR) [35], lors de ses sessions, accueille des observateurs – Etats nom membres, organisations intergouvernementales, institutions nationales des DH et… ONG. Ces dernières peuvent notamment soumettre une déclaration écrite ; faire une déclaration orale ; participer aux débats, aux dialogues interactifs, aux tables rondes et aux réunions informelles. Elles peuvent aussi organiser des manifestations parallèles sur des questions liées aux travaux du Conseil des droits de l’Homme (CDH) – organe subsidiaire de l’Assemblée générale de l’ONU (dont les Etats-Unis de Donald Trump se sont retirés).

De sorte que…

L’USAID (ou la NED, ou George Soros, ou même l’Union européenne) financent des (pas toutes) ONG dites de défense des droits humains. Celles-ci alimentent en « dénonciations » les institutions « honorablement connues » du secteur – Amnesty (AI), Human Right Watch (HRW), FIDH, etc. L’ensemble des accusations nourrit les médias et/ou les instances de l’ONU – sans parler de la Commission interaméricaine des droits de l’Homme (CIDH), dépendant de l’Organisation des Etats américains (OEA). Tout ce beau monde élabore à son tour des rapports. L’une des forces de toutes ces instances réside dans l’autorité morale dont elles jouissent. Dès lors la boucle est bouclée : USAID/NED ; ONG locales ; ONG globales ; médias ; ONU influencée par les ONG locales et globales ; ONG globales répercutant les conclusions de l’ONU ; appareil médiatique amalgamant le tout. Opinion publique confondue.

Que HRW critique Trump ou des dirigeants comme lui illibéraux ne change rien à l’affaire : l’ONG est par définition et depuis toujours beaucoup plus proche du Parti démocrate que du Parti républicain.

Qu’AI prenne des positions courageuses sur Israël, Gaza, ou telle ou telle situation, n’empêche pas ses errances coupables sur d’autres sujets. Qu’on prenne le cas du Venezuela, par exemple. Deux sources particulièrement importantes : le Foro Penal (organisation ouvertement d’opposition) et Provea. En d’autres temps (années 1980), Provea a défendu des militants de gauche victimes de la répression. Pour qui ne l’aurait pas noté : plusieurs décennies ont passé. Ses dirigeants ne sont plus les mêmes. L’organisation a évolué. Depuis 2015, le Venezuela est victime de plus de 900 mesures coercitives unilatérales imposées par les Etats-Unis. Cet ensemble de sanctions a mis l’économie du pays à genoux, provoqué une immense souffrance sociale. Qu’en dit Rafael Uzcátegui, ex-dirigeant de Provea devenu tout récemment chercheur au sein du Bureau de Washington pour les affaires latino-américaines (WOLA) : « Il est faux de prétendre que la levée des sanctions améliorera la qualité de vie des Vénézuéliens. L’argent sera gaspillé dans la corruption cannibale qui règne au sein du chavisme et ne parviendra pas à la population [36]. » Traduction : oui aux mesures coercitives. Le discours de l’extrême-droite vénézuélienne et de l’Internationale réactionnaire (Trump, Javier Milei, Jair Bolsonaro, etc.)…

Bolivie : sous la coupe de sa dirigeante historique, une ancienne religieuse espagnole, María Amparo Carvajal, l’Assemblée permanente des droits humains de Bolivie (APDHB) appuie en novembre 2019 le coup d’Etat contre Evo Morales, défend les membres de la police et de l’armée impliqués dans les faits de violence qui provoquent 37 morts et 800 blessés. HRW dénonce Morales et, plutôt que « coup d’Etat » évoque une « vendetta politique ». La FIDH reprend sans aucun recul les communiqués de l’APDHB.

Dans un article de… VOA [37], Carvajal sera encensée lorsque, le 10 décembre 2024, elle recevra, des mains d’Antony Blinken, le Prix du défenseur des droits humains octroyé par le Département d’Etat américain.

Ce qui précède ne constitue en rien une attaque à la nécessaire défense des droits humains ni une feuille de vigne destinée à dissimuler la répression, la torture, la peine de mort et autres traitements dégradants. Il s’agit simplement d’un constat. A trop jouer de leur instrumentalisation, certains acteurs risquent de décourager les citoyens qui se sentent concernés par la cause et de la décrédibiliser définitivement.

Retour à notre point de départ. Au Nicaragua, la tentative de renversement du sandinisme en 2018 a finalement fait un pssschiiiit retentissant. Dans la perspective de l’élection présidentielle de 2021, l’USAID a réinjecté 2 millions de dollars dans une « Assistance réactive au Nicaragua » (Responsive Assistance in Nicaragua  ; RAIN) destinée à empêcher la réélection d’Ortega. Nouvel échec. Le sandiniste a été réélu. Le programme a donc été porté à 5 millions de dollars jusqu’en 2024. Avec, désormais, un écueil : depuis 2021, de nombreuses ONG partenaires de l’USAID ont fermé, soit volontairement, soit contraintes et forcées pour n’avoir pas respecté la Loi 1040 dite « Loi de régulation des agents étrangers », peu ou prou similaire à celle que fit voter Correa en Equateur ou au Foreign Agent Registration Act (FARA) en vigueur… aux Etats-Unis. Sans être taxé par personne de tyrannique, ce FARA exige que les personnes agissant en tant qu’agents de mandants étrangers « divulguent périodiquement au public leur relation avec le mandant étranger, ainsi que les activités, les recettes et les déboursements à l’appui de ces activités. » L’objectif principal étant de promouvoir « la transparence en ce qui concerne l’influence étrangère aux Etats-Unis. »

Depuis, une obscurité totale s’est abattue sur les modalités de l’ingérence de l’Agence au Nicaragua. La seule chose que l’on sait c’est que de nombreux dirigeants de l’opposition radicale ont été arrêtés – pour avoir refusé de se soumettre à la loi (ce qui est rarement précisé).


Spectaculaire manifestation sandiniste autour de Daniel Ortega, le 19 juillet 2019, un an après la tentative de renversement du chef de l’Etat (ML)

Accrochez vos ceintures, nous entrons dans une autre zone de turbulence : entre 2001 et 2024, si l’on en croit le Bureau américain de l’aide étrangère (US Office of Foreign Assistance), les Etats-Unis ont canalisé 1,27 milliards de dollars vers le Venezuela ; 86,95 % de ces ressources, soit 1,10 milliards de dollars, ont été gérés par l’USAID.

Voici les faits : depuis le 2 février 1999, Hugo Chávez gouverne le pays, devenu République bolivarienne du Venezuela. Le néolibéralisme voit son emprise idéologique contestée. Qui va profiter des énormes réserves de pétrole ? Les plus importantes de la planète ! Le Bureau Ovale et le State Department frissonnent. Sur place, la haute société et les classes moyennes s’entêtent également dans la résistance au changement. En 2001, l’USAID destinait au Venezuela la somme dérisoire de 4 100 dollars. Elle bondit à plus de 2 millions de dollars l’année suivante alors que se multiplient les manifestations des enfants gâtés. En mars 2002, l’USAID (et la NED) créent à Caracas un Bureau des initiatives pour la transition (OTI en anglais). Un mois plus tard, le 11 avril, a lieu le coup d’Etat qui tente d’éliminer Chávez et qui échoue. Coïncidence ? No-no-no ! Le mot « transition » dit bien ce qu’il veut dire. Pour preuve : l’argent se met à couler à flots.

L’OTI ? Explication de l’artiste, au soir du vernissage : il s’agit d’un outil destiné à repeindre un régime « populiste » pour en faire une « démocratie américano compatible ». D’après un câble de l’ambassade étatsunienne de 2006 révélé par Wikileaks en 2013, il s’agit également (et plus prosaïquement) de : protéger les intérêts vitaux des Etats-Unis ; infiltrer et diviser la base politique du chavisme ; isoler internationalement le chef de l’Etat bolivarien. Entre 2002 et 2010, l’OTI canalise 26 millions de dollars en direction de 300 organisations allant des médias aux partis politiques en passant par les syndicats et les ONG. On ne parle là que de l’OTI. L’ensemble des bonnes œuvres de l’USAID atteint 57 millions de dollars [38]. Il convient d’ailleurs d’être prudent avec les chiffres : en août 2006, le Los Angeles Times affirme que l’OTI a envoyé plus de 220 millions de dollars depuis 2002 [39]. Ce qui est sûr, c’est que voient le jour une myriade d’ONG qui bientôt tiendront le haut du pavé : Súmate (d’une certaine María Corina Machado), Ciudadanía Activa, Voto Joven, Sinergia, Cedice, Radar de los Barrios, Espacio Público, etc. Caractéristique commune : elles ne font pas dans la dentelle. Leurs bulletins se lisent comme des communiqués de presse de la CIA. Pour qui ne le l’aurait pas compris, la sociologue vénézuélienne Gladys Rojas éclairera le phénomène en soulignant qu’une grande partie des ONG sont utilisées par la droite pour échapper aux normes juridiques : « Les partis politiques ne pouvant pas recevoir de financement d’entités privées ou de gouvernements étrangers, les partis d’opposition ont créé ces ONG pour leur servir de bras financier recevant ce soutien [40]. »

Encore Wikileaks ! Daté du 15 juin 2007, un câble de l’ambassadeur des Etats-Unis à Caracas fait état d’une discrète rencontre avec des « partenaires » au sein de l’ambassade. Y participent la « coordinatrice spéciale pour le Venezuela » Deborah McCarthy et treize éminents « défenseurs des droits humains » parmi lesquels Carlos Ayala (Commission andine des juristes), Carlos Correa (Espacio Público), José Gregorio Guarenas (vicariat des droits humains de l’Eglise catholique), Liliana Ortega (Cofavic), Rocio San Miguel (Control Ciudadano) [41] et Andrés Canizalez, journaliste et collaborateur de… Reporters sans frontières.

N’ayant rien d’un naïf, Chávez finit par perdre patience et ordonne l’expulsion de l’OTI en septembre 2010.

Désolé pour l’avalanche de chiffres qui va suivre, fastidieuse à lire, mais encore plus déplaisante pour qui en subit les effets. Nicolás Maduro a remplacé feu Chávez. En rythme de croisière, entre 2013 et 2016, l’USAID déverse de l’ordre de 4 millions de dollars par an sur ses protégés vénézuéliens. Augmentation significative en 2017 : sur les 14 millions de dollars alloués par le gouvernement américain, 6,5 millions (dont 3,9 millions pour le secteur « gouvernance et société civile ») proviennent de l’USAID. L’argent, on le précisera, arrose également les exécutants étrangers de l’agression contre Caracas : entité « indépendante » affiliée à l’Organisation des Etats américains (OEA), que dirige le comparse des USA Luis Almagro, la Fondation panaméricaine de développement (PADF en anglais) perçoit 1,6 millions de dollars, dont elle destine 950 000 au programme « Renforcement de la société civile, Projet de participation Venezuela ». On ignore ce qu’elle fait du reste. On sait en revanche qu’elle est cofinancée par les multinationales Merck et Chevron.

Résultat des courses : pendant quatre longs mois – d’avril à juillet 2017 –, alors que se multiplient les barricades, la contre-révolution passe à l’offensive, incendie et détruit bâtiments publics, hôpitaux, centres de santé, crèches, écoles, lycées, maternités, entrepôts de nourriture et de médicaments… Cent-vingt-cinq morts, des milliers de blessés, des millions de dollars de pertes.

En matière de droit international, les seules règles qui ont cours à Washington ne sont pas celles de la Charte des Nations unies, mais les décrets signés dans le Bureau Ovale, de la main du Président. Le 9 mars 2015, Barack Obama fait ainsi du Venezuela « une menace inusuelle et extraordinaire pour la sécurité nationale des Etats-Unis ». Il ouvre la porte à ce qui va suivre : un déluge de mesures coercitives unilatérales destinées à mettre la République bolivarienne à genoux. La guerre économique commence. Le pays souffre, vacille, s’enfonce dans la crise. Puis…

Le 23 janvier 2019, un petit gars marchant au doigt et à l’œil, le député de Volonté populaire (VP) Juan Guaido, s’autoproclame « président intérimaire ». Dès octobre 2019, l’administrateur de l’USAID, Mark Green, signale qu’est « officiel » l’accord d’association avec l’équipe de Guaido : « Son Gouvernement est le seul Gouvernement représentant les intérêts du peuple vénézuélien et nous sommes très fiers de travailler avec eux. » Les fonds déboursés serviront « à payer leurs salaires, des billets d’avion, un entraînement pour la bonne gouvernance, de la propagande, une assistance technique pour organiser des élections et d’autres projets de construction de la démocratie ». L’USAID décaisse à tout va : 98 millions de dollars en 2019 (nous arrondissons) ; 155 millions en 2020 ; 180 millions en 2021 ; 207 millions en 2022 ; 206 millions en 2023 et 211 millions en 2024 (la somme la plus élevée en deux décennies).


Mark Green, administrateur de l’USAID et Carlos Vecchio, « ambassadeur » du « gouvernement » de Juan Guaido aux Etats-Unis (2019)

« Le 23 février [2019] sera le jour où l’aide humanitaire entrera au Venezuela, a défié Guaido en début de mois. Elle va entrer au Venezuela, c’est sûr, et l’usurpateur n’aura pas d’autre choix que de quitter le Venezuela ! » L’idée géniale : Maduro ayant « affamé ses compatriotes », une opération « humanitaire » menée depuis Cúcuta, la principale ville colombienne sur la frontière, permettra à la fois d’organiser un formidable show médiatique et de montrer le soutien de la « communauté internationale » au départ de Maduro. Laquelle communauté, effectivement, n’accorde pas une grande attention à la réaction du ministre des Affaires étrangères Jorge Arreaza lors d’une conférence presse au siège de l’ONU : « Il n’y a pas de crise humanitaire au Venezuela, il y a une économie bloquée et assiégée », déclare-t-il avant de dénoncer le double discours des Etats-Unis : « C’est un gouvernement hostile qui vous tue d’un côté et vous donne à manger de l’autre ! » Sans forcément s’en rendre compte, c’est toute l’action de l’USAID qu’il vient succinctement de résumer.

Sollicitée, la Croix-Rouge Internationale a refusé de participer à la pitrerie. Le directeur de sa section colombienne, Christoph Harnisch, conteste le terme d’«  aide humanitaire  », considérant qu’elle ne respecte pas les principes de neutralité et d’impartialité. De fait, dans les jours qui précèdent l’échéance, ce sont trois énormes C-17 militaires qui décolleront de la base aérienne de Homestead, à Miami, pour atterrir à Cúcuta. Le premier des appareils transporte 70 tonnes d’aide ; les deux suivants, 230 tonnes en tout. Depuis janvier, l’USAID a mobilisé 2 millions de dollars pour transporter ces fournitures et denrées jusqu’ici, mais aussi, pour un total de 368 tonnes, au Brésil et dans l’île caribéenne de Curaçao. En compagnie de l’ambassadeur étatsunien Kevin Whitaker, de hauts fonctionnaires colombiens et de comparses de Guaido (qui arrivera un peu plus tard, aidé par le groupe narco-paramilitaire des « Rastrojos »), le « boss » de l’USAID, Mark Green en personne, vient superviser les préparatifs et répondre aux questions de la presse à Cúcuta.

Tout cela est bel et bien bon, mais ne mène nulle part. Censée entrer comme dans du beurre et être acheminée de façon triomphale par Guaido jusqu’au palais présidentiel de Miraflores, pris d’assaut et occupé par la foule de ses partisans, la pseudo-aide humanitaire reste à Cucuta, bloquée sur la frontière par l’armée vénézuélienne, mais aussi par le petit peuple chaviste, qui résiste vaillamment dans ce qu’on a appelé « la bataille des ponts ». Deux ans plus tard (2021) un rapport de l’inspecteur général de l’USAID révélera que sur les 368 tonnes d’aide annoncées en fanfare, seules 8 tonnes (2 %) ont été distribuées au Venezuela. Le reste, après être resté un temps entreposé en Colombie y a été distribué ou envoyé en Somalie [42].

Annonces, rencontres et poignées de main se succèdent devant les caméras. Dès 2019, l’USAID a signé avec Carlos Vecchio, l’ « ambassadeur » de Guaido à Washington, un accord lui permettant de gérer l’argent qui va être dirigé vers l’ « aide humanitaire ». Bingo ! Indépendamment des 467 millions de dollars (2017-2022) censés assister les migrants échoués dans dix-sept pays de la région [43], il y en a en gros pour 189 millions de dollars à distribuer à l’intérieur du Venezuela. Arrive le Covid : pas un masque ne sera acheté et acheminé. Pas un vaccin. Nul matériel médical. Aucun aliment. Paradant sur Internet avec son complice de l’OEA Luis Almagro, Guaido promet 300 dollars à chaque médecin et infirmier vénézuéliens pour affronter la pandémie. Cinq ans plus tard, ils n’ont encore rien reçu.

En revanche, les billets verts de l’USAID affluent dans les caisses de la coalition des ONG et autres organisations fantômes impliquées dans la déstabilisation du pays – Foro Civico, Ciudadania Activa, Espacio Público, Foro Penal (source privilégiée, on l’a vu, d’Amnesty International), Redes Ayudas, Súmate, Fundación Futuro Presente, Rescate Venezuela, Cedice-Atlas-Libertad, Un Mundo Sin Mordaza (UMSM), Coalición Ayuda y Libertad (crée par Guaidó en personne pour collecter des fonds destiés à « l’aide humanitaire »), Movimiento Ciudadano Dale Letra, Acción Solidaria, Fetrasalud, Monitor Salud, Observatorio Electoral Venezolano, Academia Nacional de Medicina, Movimiento de Sindicatos de Base (Mosbase), Unión Vecinal, etc…


Vol d’ONG au-dessus du Venezuela (DR)

Le 15 septembre 2022, devant la Commission des relations étrangères du Sénat américain, l’administratrice assistante de l’USAID pour l’Amérique latine et la Caraïbe, Marcela Escobari, réitère la nécessité d’ « élever la pression sur le Venezuela ». L’Agence va de fait s’impliquer, à travers le Centre Wilson, dans le financement des primaires de l’opposition (que remportera María Corina Machado), une opportunité, toujours d’après Escobari, pour que la droite « reconstitue son unité et récupère son élan ». Sans périphrases, elle exprime son intention de financer les médias et les ONG qui souhaitent servir de plateformes pour donner plus de poids aux questions de la « crise migratoire » et des « violations des droits de l’Homme ».

Rumeurs, rumeurs, rumeurs. Depuis longtemps déjà s’expriment des interrogations sur l’utilisation des sommes colossales mises à disposition de l’opposition vénézuélienne. Depuis longtemps déjà des débuts de réponse ont été apportés, qu’il fallait être aveugle, sourd, complice ou journaliste pour ne pas relever.

Il n’y a pas que des aigrefins au sein de l’USAID, certains croient en leur mission. Après l’audit des plus de 507 millions de dollars investis à ce moment par le gouvernement des Etats-Unis en direction du Venezuela, un rapport de l’Agence elle-même – « Des processus améliorés et des exigences de mise en œuvre sont nécessaires pour relever les défis et les risques de fraude dans la réponse de l’USAID au Venezuela » – alerte, en avril 2021 : environ 2 % de l’aide humanitaire est parvenue à ceux qui en avaient besoin, tandis que les 98 % restants ont été utilisés à des fins autres que celles prévues initialement. Le rapport accuse le gouvernement intérimaire de Juan Guaidó « d’influencer les décisions concernant l’allocation des ressources ». Parmi les irrégularités, est noté le fait que « les ordres donnés par le bureau de l’administrateur de l’USAID ont été donnés verbalement et sans justification [44] ».

Relation de cause à effet ? Sur la page « Venezuela » du Web de l’USAID, l’administration Biden élimine les données chiffrées.

Et voici que resurgit Trump. Il est « imprévisible », tout le monde vous le dira. Il le prouve au-delà de toute espérance. Il s’en prend à l’USAID ! D’après lui, de nombreux projets de l’agence n’ont pu être financés que s’il y a eu corruption. « Personne n’aurait pu approuver cela. Ils n’auraient pu l’approuver qu’en recevant des pots-de-vin », déclare-t-il en ordonnant la fermeture de l’agence avant qu’elle ne dévore définitivement l’argent des contribuables américains.

Des langues se délient. Des faits remontent à la surface. Des séquences « YouTube » de gros chèques remis en grandes pompes ressurgissent. Des individus déguisés en types respectables sont montrés du doigt. Juan Guaidó, Carlos Vecchio, David Smolanski, Julio Borges, Leopoldo López, Roberto Marrero, Yon Goicoechea, Miguel Pizarron Freddy Guevara, Lester Toledo, Antonio Ledezma. La fine fleur de l’anti-chavisme radical luxueusement exilé à Madrid ou à Miami. Sans oublier Sainte María Corina Machado. Analyste politique et expert en matière de sécurité vivant aux Etats-Unis, l’opposant vénézuélien Anthony Daquin accuse publiquement les leaders du « gouvernement intérimaire » et des dizaines d’ONG d’avoir détourné 856 millions de dollars – dont 150 millions de dollars pour le seul « gouvernement » de Guaido.

Patron de SilverCorp, mercenaire qui a organisé, en mai 2020, depuis les Etats-Unis et la Colombie, l’Opération Gédéon, destinée à renverser ou éliminer Maduro, Jordan Goudreau refait surface. Le coup a échoué. Guaido avait signé un contrat avec Goudreau. Goudreau n’a jamais été payé. Goudreau « balance ». Goudreau exhorte Elon Musk, à enquêter sur Guaidó et Leopoldo López dans les affaires de corruption impliquant des fonds de l’USAID.

Panique plus que perceptible ! La contre-révolution va-t-elle dévorer ses enfants ? La procureure générale des Etats-Unis, Pam Bondi, a annoncé le 25 mars la création d’une équipe spéciale au sein du ministère de la Justice pour enquêter et poursuivre toutes les personnes impliquées dans les fraudes découvertes par l’équipe DOGE de Musk. « Un groupe de travail intérimaire travaille avec toutes les agences concernées, a-t-elle averti, et si vous avez commis une fraude, nous vous poursuivrons. » Trump 2 a entre les mains le sort des corrompus vénézuéliens qui ont trompé Trump 1 en s’empiffrant de l’argent des contribuables, argent qu’ils ont allégrement détourné – tout en contribuant à ruiner leur pays.


Juan Guaido, chef d’une « pandilla » d’escrocs de haute volée

Année après année, pays après pays, l’histoire est toujours la même. Le 11 avril 2015, lors du VIIe Sommet des Amériques, au Panamá, la présidente argentine Cristina Fernandez de Kirchner mettait en cause ces ONG qui « se battent toujours pour la liberté ou pour les droits de l’homme ou pour toutes les choses louables que nous partageons tous, ONG dont on ne sait jamais d’où elles tirent leur financement, qui sont toujours prêtes à lancer les accusations les plus ésotériques, impossibles à vérifier, mais qui visent clairement à déstabiliser les gouvernements de la région et, curieusement, ces gouvernements qui ont fait le plus pour l’équité, pour l’éducation et pour l’inclusion sociale. »

A plusieurs reprises, en 2021, 2023 et 2024, le président mexicain Andrés Manuel López Obrador (AMLO) s’est publiquement plaint auprès de son homologue Joe Biden de ce que l’USAID se consacrait au financement d’associations « ouvertement d’opposition ». Et de citer le cas emblématique de Mexicains contre la corruption et l’impunité (MCCI). Constituée en tant qu’association à but non lucratif en 2015, MCCI n’a commencé à recevoir des fonds de l’USAID qu’en 2018, comme par hasard pendant la première année du gouvernement d’AMLO. Président de l’association, González Guajardo a démissionné en 2020 pour se consacrer au soutien de Va por México, alliance électorale d’opposition composée du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), du Parti d’action nationale (PAN) et du Parti de la révolution démocratique (PRD). Selon le chef de l’Etat mexicain, les ressources transférées à cette association très hostile au pouvoir se sont élevées à 5,92 millions de dollars de 2018 à 2023.

Dans ces conditions, on ne s’étonnera pas que, dans leur projet de démantèlement de l’USAD, Trump et Musk aient trouvé un soutien en apparence inattendu : celui de Claudia Sheinbaum. « L’agence est impliquée dans tellement de choses que, honnêtement, il serait préférable qu’elle soit purement et simplement fermée, a déclaré le 4 février, en conférence de presse, l’actuelle présidente mexicaine. Si l’aide doit être fournie, elle devrait passer par d’autres canaux transparents – c’est là le véritable problème. »

Arrivé à ce stade, il n’est plus besoin de multiplier les exemples à l’infini. Ceux précédemment cités n’interdisent d’ailleurs pas que, dans moult circonstances, les relations ne soient excellentes entre l’USAID et tel ou tel gouvernement. Pour peu qu’il soit de droite, évidemment. Particulièrement important depuis quarante-cinq ans, l’appui inconditionnel de Washington à Bogotá a encore augmenté à partir du gouvernement de Bill Clinton (1993-2001) et du Plan Colombie [45], puis sous les mandats d’Álvaro Uribe, Juan Manuel Santos et Iván Duque. Depuis 2016, l’USAID s’implique notablement dans le financement des programmes liés aux Accords de paix signés avec l’ex-guérilla des FARC – appui à la Juridiction spéciale pour la paix (JEP), réforme rurale, substitution des cultures illicites, développement des zones stratégiques –, situation d’autant plus paradoxale que ces accords ont été torpillés et rendus totalement inopérants par le président Duque. Dès lors se pose la question : à quoi a bien pu servir une part conséquente de cet argent ?

En 2023, sous le président de centre-gauche Gustavo Petro, avec 389 millions de dollars finançant des centaines de programmes, la Colombie est le pays d’Amérique latine qui a reçu la plus importante contribution de l’USAID – le second étant Haïti (316 millions de dollars) suivi du Venezuela. Le gel de la manne provoque une forte inquiétude : va-t-il mettre en péril les accords de paix ? Dirigeant de l’Armée de libération nationale (ELN), une guérilla historique encore en activité, Antonio García rappelle à cet égard les termes du rapport de la Commission de la vérité, qui, entre autres responsabilités, pointe celle des Washington : « Cela nous laisse avec une question car celui [les Etats-Unis] qui a longtemps été un moteur de la guerre en Colombie agit maintenant, en toute simplicité, comme un moteur “désintéressé” de la paix. »


Aide internationale à la Colombie (2025)

Toutes choses égales, mais dans le même registre, bien que loin de l’Amérique latine, on pourrait citer un autre cas. En novembre 2024, l’USAID a approuvé un fonds de 230 millions de dollars pour soutenir « la reprise économique et « les programmes de développement » dans les territoires palestiniens. Grâce à ces subsides, l’International Medical Corps (IMC) a installé deux grands hôpitaux de campagne à Gaza, l’un à Deir Al Balah, au centre, et l’autre à Al Zawaida, au sud. Alors que le système de santé au sein du territoire est au bord de l’effondrement, ces deux établissements parviennent à soigner plus de 3 000 civils par mois [46]. Pour de très nombreux observateurs, un arrêt de l’assistance de l’USAID est « inimaginable », dans les circonstances que l’on connaît.

Ce qui est encore plus inimaginable, c’est que les bombes qui martyrisent les Gazaouis et les expédient dans les hôpitaux financés par la main gauche de Washington sont fournies par… la main droite du gouvernement des Etats-Unis.

Jamais l’aide au développement n’a été aussi indispensable. Néanmoins, il n’y a lieu ni de se réjouir ni de se lamenter du démantèlement de l’USAID. Trop de plantes vénéneuses se dissimulent sous les vertes frondaisons de cette engageante forêt. Officiellement, 5200 financement ont été supprimés – 83 % de l’ensemble des programmes. D’après le Département d’Etat, seuls un peu plus de 500 ont été confirmés. Parmi ceux-ci, ont été maintenues des subventions « vitales » comme l’assistance alimentaire et des traitements pour les malades du sida, de la tuberculose et du paludisme, ainsi que des programmes destinés à des pays « sensibles » comme le Liban, Haïti et, bien entendu, le Venezuela et Cuba !

Prises dans le maelstrom déclenché par Trump, Musk et Rubio, des centaines d’organisations internationales et d’ONG ont reçu un courriel du Département d’Etat. Parmi les 36 questions qu’il contient, figure celle-ci : « Pouvez-vous confirmer que votre organisation ne travaille pas avec des entités associées au communisme, au socialisme, au totalitarisme ou à n’importe quelle autre entité qui épouse des croyances antiaméricaines ? » Il est bon également pour les récipiendaires de confirmer que leurs projets ne portent pas sur « le climat ou la justice environnementale », sachant qu’il vaudrait mieux pour eux n’avoir reçu « aucun financement de la Chine, de la Russie, de Cuba ou de l’Iran ».

Qu’on ne s’y trompe donc pas. L’actuelle opération de « nettoyage » a principalement pour but de diaboliser le camp démocrate et les causes « progressistes » tout en tapant dans les dépenses non directement liées, en version Trump, aux « intérêts fondamentaux » des Etats-Unis. Sous une forme ou sous une autre, sous le même nom ou sous un sigle différent, la partie sombre de l‘USAID demeurera demain, à n’en pas douter, l’instrument du « hard power » qu’elle a toujours été.

Maurice Lemoine





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